La petite fleur Espérance : les Églises d'Amérique Latine ?

Publié le par Garrigues et Sentiers


Quand nous faisons une analyse de la conjoncture socio-économico-politique des différents pays d’Amérique latine, nous sommes scandalisés par « le désordre établi », selon l’expression d’Emmanuel Mounier. L’immense écart entre riches et pauvres s’est installé depuis la colonisation. Jean-Paul II, à l’occasion du Jubilé des gouvernants et parlementaires, avait dénoncé une fois de plus le scandale permanent : « Les riches deviennent toujours plus riches, parce que la richesse produit la richesse et les pauvres deviennent toujours plus pauvres parce que la pauvreté tend à créer d’autres pauvretés ». Il y a un lien étroit entre la situation socio-économique et politique et les questions d’Églises en Amérique Latine.

Quelques chiffres

En Amérique, il y a 50 % des baptisés catholiques du monde, en Europe, moins de 26 %. Mais est-ce que le fait d’être baptisé veut dire que l’on est catholique ?
Il y a une nette diminution des baptêmes. Au Brésil, par exemple, il y avait 95 % de baptisés en 1950 ; 92 % en 1970 ; 74 % en 2002. Au Brésil, 15 % se déclarent Évangéliques en 2002, alors qu’ils étaient 9 % en 1991. Aujourd’hui 7 % se déclarent sans religion. Ils étaient 5 % en 1991.
On compte 4300 baptisés par prêtre en Amérique, alors qu’en Europe, il y a un prêtre pour 1400 baptisés. 65 % des diacres permanents sont en Amérique, 32 % en Europe. 33 % des séminaristes sont en Amérique, 23 % en Europe.

Regard sur ces Églises : espoir ou désespoir ?

Le regard sur les Églises d’Amérique latine peut amener à un certain pessimisme. Le choix de nouveaux évêques privilégie souvent des types d’hommes plus préoccupés par l’institution-Église que par la situation de leur peuple. Beaucoup de jeunes prêtres suivent l’exemple qui vient d’en haut ! Il y a un net retour au cléricalisme et à l’intra-ecclésial. Le temps des prophètes, tout au moins au niveau des évêques, est presque terminé. Heureusement, dans pratiquement tous les pays d’Amérique Latine j’ai eu la chance de rencontrer des hommes et des femmes, prêtres, religieux, religieuses et laïcs qui chaque jour vivent le prophétisme, souvent en risquant leur vie pour l’Évangile et la cause des pauvres et des exclus.
Dom Helder Camara, le bouillant évêque brésilien avait coutume de dire que les raisons de se décourager et même de désespérer étaient nombreuses. Que de défis apparemment sans réponse possible nous agressent en Amérique Latine ! Mais il ajoutait : « Nous avons pourtant mille raisons pour vivre ! ».
Si nous en restons à un regard sur la macro société latino-américaine et la macro-Église, nous avons bien des raisons d’être pessimistes. Mais si notre attention se porte sur le micro de la vie des peuples et des Églises nous avons mille raisons de garder l’espérance. Que de fois j’ai fait cette expérience dans des rencontres de prêtres ou d’agents pastoraux en Amérique latine.
C’est pour cela que je voudrais vous présenter quelques flashes sur les minorités abrahamiques de ces Églises d’Amérique Latine et des Caraïbes, selon l’expression de Dom Helder.

Des Communautés vivantes

En Europe, on regarde avec envie ces communautés d’Amérique latine qui cheminent par elles-mêmes. Il est vrai qu'elles n’ont jamais connu la présence habituelle d’un prêtre, alors qu’en France chaque village avait son curé et maintenant se trouve livré à une situation à laquelle il n’avait pas été préparé.
Dans leurs réunions latino-américaines, les évêques ont beaucoup insisté sur les bienfaits des CEBs (Communautés Écclésiales de Base) parce qu’elles sont « moteur d’évangélisation et source de libération ». Elles sont « le plus petit noyau ecclésial ». La paroisse, dirent les évêques dans le document de Saint Domingue, doit être un réseau de communautés. Elles représentent une « grande espérance pour le futur de l’Église et la transformation de la société ». Les CEBs ont marqué l’Église d’Amérique Latine et celle-ci a aidé l’Église universelle à retourner à la source de l’Évangile avec « le choix prioritaire pour la cause des pauvres, qui est notre cause et la cause de Jésus-Christ » (Message des Évêques réunis à Puebla, au Mexique, en 1979).
Malgré tous les textes officiels, on sent cependant dans pas mal de régions un certain repli dans une vie communautaire plus centrée sur la liturgie et la vie interne de l’Église que sur les problèmes humains. Il faut dire aussi qu’actuellement, en Amérique Latine, ils sont de moins en moins nombreux les évêques, prêtres, religieux et religieuses qui investissent dans les CEBs. Ces Communautés continuent cependant à vivre leur mission avec dynamisme et persévérance. La 11e rencontre nationale des CEBs, réalisée il y a un an, en est le signe. Elle a réuni plus de 10.000 personnes dont 420 religieux et religieuses, 380 prêtres et 50 évêques.

Les jeunes aussi font l’Église

À la rencontre de Saint Domingue, il y a 14 ans, les évêques d’Amérique latine avaient invité leurs Églises à donner une priorité à la jeunesse. À Puebla, au Mexique, en 1979, ils voyaient déjà dans la jeunesse d’Amérique latine un vrai potentiel pour le présent et le futur de l’évangélisation.
Dans beaucoup de pays d’Amérique Latine les jeunes ont vraiment pris leur place dans les différentes communautés, dans la mesure où les adultes leur ont permis d’être eux-mêmes et ont accepté qu’ils s’expriment à leur manière : rythmes et instruments musicaux, chants, mimes et théâtre, animation des célébrations. La liturgie, la catéchèse, la préparation à la confirmation, l’animation de la communauté sont très souvent pris en charge par des jeunes. Les pastorales de la jeunesse, dans beaucoup de pays, accompagnent ces garçons et ces filles. Elles savent parler leur langage, aller à la rencontre de leurs aspirations et leur faire confiance.
Aujourd’hui, au Brésil, de nombreux jeunes qui ont été formés par l’Église sont devenus des femmes et des hommes politiques respectés par leur cohérence et leurs choix, au niveau des communes et des états.

Un sursaut religieux

Les mouvements populaires avaient cru dans le possible triomphe d’une révolution dans les années 70... D’ailleurs, révolution et avènement du Royaume de Dieu étaient parfois confondus. L’arrivée des démocraties n’a pas amené les changements espérés. Si on ne peut plus compter sur les hommes pour changer le monde, autant s’en remettre à Dieu ! C’est la forte poussée des Églises Évangéliques, des sectes Pentecôtistes et du Pentecôtisme Catholique. Ce sont les prêtres chanteurs qui au Brésil réunissent des foules impressionnantes. C’est l’exacerbation du sentiment religieux et de la religiosité populaire. « La nouvelle religion n’est pas centrée sur la vérité, mais sur le sentiment. Dieu n’est pas reçu comme une vérité, mais une présence sentie. » (Joseph Comblin) La croissance des dénominations Pentecôtistes est énorme. On suppose qu’elles ont réussi à convaincre entre 15 et 20 % de la population. L’essor le plus important a eu lieu en Amérique Centrale ; ensuite viennent le Chili, puis le Brésil. Les Pentecôtistes prêchent une religion de conversion morale, offrant une communication directe avec Dieu. Les dénominations neo-pentecôtistes insistent de plus en plus sur la guérison des malades, l’expulsion des démons et sur les promesses de prospérité matérielle. (c’est la théologie de la prospérité) Dieu est celui qui donne la santé, l’emploi, la paix, la réconciliation des familles... Les Pentecôtistes sont fondamentalistes et habituellement anti-catholiques, considérant ceux-ci comme idolâtres.
Dans bien des pays d’Amérique Latine, l’Église Catholique est décidée à lutter contre l’expansion du Pentecôtisme en imitant les méthodes des pentecôtistes eux-mêmes. Ce qui existe encore d’œcuménisme consiste en une alliance avec d’autres Églises historiques pour endiguer l’avancée Pentecôtiste. Le mouvement du Renouveau Charismatique est souvent vu comme la grande force d’expansion de l’Église Catholique avec l’Opus Dei, Communion et Libération, les Légionnaires du Christ, Focolarini, le mouvement du Schönstatt et le néo-catéchuménat.

Foi Chrétienne, religions Africaines et Indiennes

Au Brésil, en Haïti, à Cuba et dans bien d’autres régions d’Amérique Latine les esclaves africains continuèrent à pratiquer leurs cultes. Au Brésil, ils organisaient des processions avec la statue de l’Immaculée Conception. Les blancs, propriétaires de ces esclaves, étaient admiratifs de voir tant de dévotion à la Vierge Marie. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que ces esclaves invoquaient Iémanja, la déesse de la mer, pour qu’elle rende leur sort moins pénible. Aujourd’hui, le Vaudou, le Candomblé, le Xangó pratiquent un syncrétisme étonnant, que nous ne pouvons que respecter et bien se garder de juger !
Au Guatemala, on pratique toujours les valeurs et les rites ancestraux, même si pendant 500 ans la société et le christianisme lui-même n’ont pas cessé de condamner les croyances et les célébrations, les considérant comme des choses païennes, voire démoniaques. Foi chrétienne et spiritualité Maya ont bien des choses en commun. Le christianisme parle de l’amour, de la solidarité ; les ancêtres disaient qu’il faut respecter les vieillards et les plus petits, qu’ils ont leur place à prendre dans la société, que c’est une faute grave de ne pas aider ceux qui sont dans le besoin. C’est bien le même registre.

La Hiérarchie Catholique en Amérique Latine

Je signalais plus haut que beaucoup d’évêques dans leur diocèse sont souvent plus préoccupés par les questions ecclésiastiques que par les grands défis de société et les drames que vit leur peuple. Peu d’évêques sont fidèles aux idéaux de transformation sociale et à la mission prophétique de l’Église dans la société. Il faut tout de même dire que lorsqu’ils se retrouvent entre eux et font des déclarations communes la plupart des Épiscopats Latino-américains et Caribéens dénoncent avec courage les atteintes aux droits humains et les injustices. L’Épiscopat Argentin, qui a été si lamentable pendant la dictature militaire, semble se réveiller depuis quelques années, comme pour se faire pardonner sa position anti-évangélique. Les diverses déclarations sur l’Alca ou Zleia (Área de livre comércio das Américas) de plusieurs épiscopats sont assez impressionnantes. Les demandes de pardon des Épiscopats Chilien et Argentin, si timides soient-elles, révèlent une nouvelle prise de conscience de leur responsabilité pastorale. Le plébiscite organisé par la société civile Brésilienne, avec l’appui décisif de l’Église, en septembre 2000, sur la dette externe, puis celui organisé en 2002 sur l’ALCA, comme la forte présence de l’Église Catholique dans l’organisation et le déroulement des Forums Sociaux Mondiaux montrent un réel engagement de l’Église Brésilienne.
En mai 2007 aura lieu la 5e Conférence Générale des Épiscopats Latino-Américains et Caribéens. Notre espérance est que le souffle rénovateur de L’Esprit de Dieu préside et anime cette importante rencontre, dont le thème sera : Disciples et missionnaires de Jésus-Christ pour qu’en Lui nos peuples aient la vie.

La petite fleur Espérance

Dans les peuples et les Églises d’Amérique latine, il nous faut savoir découvrir et contempler les petites fleurs cachées qui alimentent l’espérance. La sagesse des pauvres, leur art de vivre, leur religiosité ont soutenu pendant des siècles la résistance des Indiens et des esclaves importés d’Afrique.
Les indigènes des différentes régions d’Amérique latine s’organisent et sont capables de paralyser un pays, comme nous l’avons vu en Équateur, en janvier 2000 et 2001. Au moment de la fête gouvernementale des 500 ans, au Brésil, les sans terre, les indiens et les noirs témoignèrent que leur sagesse n’est ni aliénation ni résignation, mais dynamique de résistance. Les descendants d’Africains qui assument et développent les valeurs culturelles de la négritude permettent au Brésil de s’enrichir de cet extraordinaire patrimoine.
Il est vrai que la dynamique de combat a beaucoup diminué dans beaucoup de pays d’Amérique latine, avec le retour de la démocratie et les déceptions qui l’ont accompagné. Mais nous devons être attentifs aussi aux nouvelles formes de résistance qui apparaissent un peu partout et qui sont des signes d’espérance :
- Le cri des exclus du 7 septembre au Brésil. Il s’est étendu dans 22 pays d’Amérique Latine le 12 octobre de chaque année.
- Le million de signatures qui a exigé et obtenu du Congrès Brésilien une loi sur la corruption électorale.
- Les communautés de paix, en Colombie, geste prophétique d’un peuple qui dit « non à la guerre et à la violence ! »
- La mobilisation des O.N.G. contre le plan Colombie des États-Unis et la politique du Président Colombien Urribe.
- Ces milliers de paysans sans terre qui occupent des terres en friche et résistent pendant des années au risque de leur vie.
- Ces théologiens qui, malgré les incompréhensions, continuent à traduire le message permanent de Jésus-Christ dans l’aujourd’hui de l’Histoire.
- Le prophétisme de nombreux religieux et religieuses. L’action de la CLAR (au niveau de l’Amérique Latine)
- Ces martyrs d’hier et d’aujourd’hui qui, à cause de leur foi en Dieu ou en l’homme, sont persécutés et tués : leaders syndicaux et avocats, prêtres, religieuses et évêques dont le sang est semence de chrétiens authentiques et graine d’espérance.
- Ces femmes qui, dans tous les pays du continent, malgré le machisme existant, sont la force cachée de la famille, des associations, de tous les mouvements sociaux, comme de la vitalité des Communautés Ecclésiales de Base et de l’ensemble de l’Église.
Oui, que de petites fleurs de vie et d’espérance pouvons-nous cueillir dans ces pays où il y a tant de raisons de désespérer.

Regarder ailleurs

Ce qui se vit dans les Églises de continents différents ne peut sûrement pas être copié en Europe. Cependant, l’expérience d’autres Églises peut être une richesse et une lumière. L’Europe a envoyé beaucoup de missionnaires, hommes et femmes, en Amérique Latine et en Afrique. Mais serait-ce que ces continents n’ont rien à nous apprendre, aujourd’hui ? Il nous faut, sans doute, retrouver l’attitude humble du pauvre qui est capable de recevoir : « Donne-moi à boire »” disait Jésus à la Samaritaine. Il ne s’agit pas, bien sûr, de chercher dans ces jeunes Églises des recettes pour résoudre la crise que l’on connaît en France, mais plutôt de nous mettre dans une attitude d’écoute et de communion.
En ce sens la présence de volontaires Français sur le Continent Latino-Américain peut être une grande richesse pour la société et l’Église de France. D’où l’importance qu’à leur retour, ils puissent vivre « autre chose » et témoigner dans leur profession, dans leurs engagements, dans l’Église, de ce qu’ils ont découvert ailleurs.

Père Antoine Guérin

Prêtre de Bordeaux, Antoine Guérin a passé de longues années au Brésil, à Recife (diocèse de Dom Helder Cámara, dont il était proche collaborateur). Après le remplacement de Dom Helder, Antoine (ainsi que plusieurs autres prêtres) fut prié de quitter le diocèse et il fut reçu dans le diocèse voisin de Paraïba, à João Pessoa. En 2000, il revint en France pour assumer, durant quelques années, le Secrétariat du CEFAL (Comité épiscopal France-Amérique Latine). Depuis la fin de son mandat, il continue à vivre à João Pessoa au service de ce diocèse.

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