À la recherche de soi, un parcours entre deux étapes
C'était au début des années '70, une période où l'impact des mouvements sociaux qui avaient bouleversé le monde étudiant et une
partie du monde ouvrier retentissait largement dans une partie du monde chrétien. Le Concile y avait suscité maints espoirs d'une ouverture au monde, jadis sanctionnée sous Pie XII (affaire des
prêtres ouvriers en France). Les débats politiques et sociaux (pour exemple, les revendications des femmes pour la maîtrise de leur fécondité, la voie autogestionnaire comme mise en question du
fordisme, etc.) trouvaient des échos chez un certain nombre de chrétiens. Dans le monde religieux, une forte mise en question de structures inadaptées par leur taille ou leur mode de
fonctionnement poussait les uns à un travail de réforme ou d'autres à abandonner un bateau, dont la direction leur paraissait mener nulle part. Dans ce milieu, l'échauffement des esprits
suscitait des espoirs, des questions, des remises en cause. Sur un plan personnel, des interrogations, des inquiétudes pouvaient naître dans ce contexte et la question se posait à l'un ou
l'autre, moins de l'orientation originelle que de son mode d'expression. Finalement, une clarification apparaissait utile quand l'inquiétude et le trouble en venaient à poser la question de
l'identité. Ce fut pour moi l'origine de la recherche d'un chemin à travers la psychanalyse.
Un éveil à ce mode d'investigation personnelle m'avait été apporté à travers une session donnée dans le cadre de l'institution
religieuse où je vivais. La supérieure, femme d'une rare ouverture d'esprit, à laquelle je m'ouvrais des mes questions, me conseilla de rencontrer des personnes qui pourraient m'aider. Après
diverses démarches, je trouvais celle avec qui je pouvais engager ma recherche. En abordant la psychanalyse, je n'envisageais pas un seul instant une mise en question de la foi et, à l'origine,
pas même celle de la vocation religieuse. J'avais besoin de trouver ma propre identité, d'aller à la difficile découverte des images dans lesquelles je m'étais enfermée, m'exilant en quelque
sorte de mon corps pour mieux vénérer l'idole qu'était l'image paternelle, et du coup refuser l'image de la femme. Nul besoin de dire que cette voie fut rien moins que facile, modifiant
radicalement ma manière d'envisager la sexualité. Période éprouvante, certes, que ces trois années de travail analytique ; cependant, des amitiés extrêmement riches, fortes et diversifiées
quant à leur forme de soutien constituèrent des contrepoids puissants et bien nécessaires au moment où un certain nombre de ruptures s'imposèrent, conséquences des choix à
poser.
À aucun moment ce type de parcours n’alimenta une mise en cause de la foi en l'Évangile. Ce travail-là s'était fait beaucoup plus
tôt, l'Évangile agissant comme fonction critique de mes engagements politiques ou religieux. De ce fait, il me semble avoir échappé à une crise souvent constatée chez des religieux ou
religieuses amenés à quitter leur ordre, qui leur faisait assimiler "institution religieuse" et "foi". Finalement pour moi, me semble-t-il, la foi en la vie l'a emporté ; chaque jour, elle
se trouve interpellée, aujourd'hui comme hier; l'Évangile est de l'ordre de la vie, du moins dans l'expérience que j'ai pu en faire jusqu'ici.
Revenant a posteriori sur ce parcours, je pourrais le comparer à celui du cours d'eau qui, happé par un brutal changement de sol,
disparaît brusquement, allant se perdre apparemment dans quelque chemin obscur mais qui plus loin réapparaît, résurgence chargée d'une énergie nouvelle irriguant les campagnes voisines. Ainsi
peut-il en être de ce qui, dans un parcours de vie, apparaît, à un moment donné, comme rupture et souffrance dans l'obscurité et s'avère, avec le temps, un véritable travail souterrain :
entre deux étapes a pu s'opérer alors une nouvelle maturation et, avec elle, la capacité de choix, ceux-ci fussent-ils difficiles. Ruptures certes, et continuité pourtant : celle de la vie
qui n'est pas un long fleuve tranquille.