Je doute, mais je Le suis !

Publié le par Garrigues et Sentiers

 Parce que tu me vois, tu crois ; heureux ceux qui croiront sans avoir vu !
(Jean 20,29)
 
Le doute, dit-on aujourd’hui, est inhérent à la foi. Le fidèle a, en quelque sorte, acquis le droit de s’interroger, voire d’affirmer son désaccord avec tel ou tel point de la doctrine. Il fut un temps, pas si ancien, où un désaccord connu, voire débusqué par l’enquête ou la dénonciation, conduisait au mieux à l’exclusion, au pire au bûcher.
Je me souviens de mon désarroi lorsque, vers 11 ans, j’appris par la lecture d’un document historique que Jésus n’était pas né le 1er janvier de l’an 1. Un prêtre consulté en confession - je me sentais fautive ! - me rassura. Ce fut le début d’une existence de recherches et de confrontations aux doutes, au doute.
 
Je considère aujourd’hui qu’il y a une graduation dans l’objet du doute : il y a les sujets sur lesquels, en fin de compte, on peut penser ou faire ce qu’on veut, nonobstant le catéchisme… Et les autres, ceux qui seraient inhérents à la foi.
Et puis, finalement, il y a le message de Jésus, proclamé par Paul : « si je n’ai pas la charité, je ne suis pas du Christ ». Et si la seule chose qui ne tolère pas le doute était, pour un chrétien, cette vérité là ?
 
Le premier niveau du doute, c’est celui qui touche l’institution, autrement dit l’Église et ses exigences : « Le magistère de l’Église engage pleinement l’autorité reçue du Christ quand il propose, sous une forme obligeant le peuple chrétien à une adhésion irrévocable de foi, des vérités contenues dans la Révélation divine ou bien quand il propose de façon définitive des vérités ayant avec celle-là un lien nécessaire » (Catéchisme de l’Église catholique, art 88.)
 
D’abord, les exigences qui touchent aux apparences sociales : le mariage, le divorce, l’homosexualité, l’affaire du préservatif, sont celles qui viennent en premier à l’esprit. Alors qu’elles furent longtemps déterminantes pour être considéré comme chrétien, il est vrai que la majorité des chrétiens s’est aujourd’hui affranchie de ces règles normatives : la « désobéissance » ainsi marquée ne leur pose souvent pas le moindre problème, ni à eux, ni à leur communauté ; à peine cela pose t-il question aux prêtres qui les accueillent.
Les fidèles considèrent plutôt cela comme un archaïsme qui, un jour ou l’autre, le plus proche possible, finira par céder. Plus : beaucoup pensent que ces principes éloignent injustement des quantités d’hommes et de femmes, de façon dommageable pour la survie de l’Église. Question réglée, dans nos communautés occidentales… et ailleurs, dans la mesure où les communautés africaines et orientales, habituées à d’autres modes de vie, et présentées comme l’avenir de l’Église, ne se posent même pas la question. À peine la question de l’avortement est-elle plus complexe, mais celle de la contraception est une affaire « réglée ».
 
Ensuite, la question sociale : l’attitude de l’Église qui est souvent du côté du pouvoir établi… Évidemment, la condamnation de la théologie de la libération, ou seulement la remise au pas de Don Helder Camara, ou plus récemment celle des franciscains, fait argument dans ce sens ; de la même façon que les prises de position conservatrices des clergés locaux préférant bénir des régimes tortionnaires qui préservent l’institution ecclésiale comme au Chili ou plus loin dans le temps en Espagne. Beaucoup, trouvant l’écart trop grand avec l’enseignement du Christ, rejettent à la fois l’Église « dévoyée » et les enseignements fondateurs.
La conséquence la plus ordinaire, on l’entend encore aujourd’hui, c’est que des pauvres et des opprimés n’y trouvent pas leur place. Ce n’est presque plus du doute, c’est du rejet !
 
Après cela, viennent les dogmes établis au fil du temps par les théologiens : commençons par la création du monde, la virginité perpétuelle de Marie, la question des frères et sœurs de Jésus…
Que dire de l’immaculée conception de Marie ou de l’Assomption (dogmes récents s’il en est) ?
Là encore, chacun s’accommode de ses incroyances, aux marges en quelque sorte. Même l’Église ne peut plus soutenir certaines thèses, mais il a fallu beaucoup de temps pour qu’elle renonce à quelques-unes (la réhabilitation de Galilée date seulement de Jean Paul II.
 
Je réalise aujourd’hui, que le nom de ce savant est aussi celui du pays de Jésus, porteur de la Vérité si longtemps ignorée et/ou combattue : hasard ?
 
Les progrès de la recherche (archéologique et historique, d’abord) remettent en cause des points qui semblaient évidents : ainsi David et Salomon ont-ils vécu aux dates envisagées jusqu’alors et furent-ils les grands rois que les textes décrivent ? D’autres événements sont décalés dans le temps, ou complètement mis en cause, comme l’Exode, le massacre des enfants juifs innocents de l’évangile de Matthieu… Les progrès de l’exégèse aussi contestent certaines traductions, certains rajouts... Y aurait-il une vérité pour les savants - des moines et des gens d’Église, souvent - et une autre pour les fidèles de  « base » ? Une vérité qu’il vaudrait mieux ne pas dire pour ne pas les désorienter ? Sans doute du temps perdu sur l’Histoire…
 
Pourquoi ne pas montrer plutôt la grandeur de ceux qui ont écrit l’Histoire du peuple de Dieu dans le Premier Testament, puis l’Histoire de Jésus ? Ils ont construit une cosmogonie, sans doute à base de réalités concrètes, mais aussi en élaborant des schémas qui se voulaient non pas de la littérature mais bien des outils pour forger les consciences et accueillir une révélation, celle de Jésus. Dans ce cas, peu importe si les trompettes de Jéricho n’ont pas sonné pour faire tomber les murailles : l’important, ce qui est porteur de sens, c’est la victoire du peuple fidèle de Dieu accomplissant son parcours.
L’important pour moi, c’est Jésus, Dieu incarné, homme jusqu’au bout de la condition de l’Homme, qui par sa mort et sa résurrection, manifeste l’inanité du mal et transforme la mort en victoire.
 
Viennent ainsi les « vraies » questions : Jésus fils de Dieu ? Mais qu’est-ce qu’être fils de Dieu ? La résurrection de Jésus a-t-elle un sens physique ? Comment nous-mêmes sommes nous reliés à cette filiation et à cette résurrection ? Comment se manifeste la vie après la mort ? Qu’est-ce que la vie éternelle ?
 
Certains chrétiens ne se posent sans doute jamais ces questions ; par manque d’esprit critique ? Par inculture ? Par obéissance ? L’Église ne l’exige plus, et c’est tout à son honneur.
Aujourd’hui au contraire, la foi de chacun ne peut se concevoir sans la liberté de penser et l’on ne saurait accepter une foi contrainte. Du coup, cette liberté oblige à examiner loyalement ses propres croyances.
Quelle est ma foi ? En quoi est-ce que je crois ? Qu’est-ce qui, pour moi, « ne passe pas » ? Cet examen de vérité est un devoir à l’égard de moi-même et à l’égard de l’Église qui m’accueille en son sein : mais veut-elle le savoir ? et qu’en fait-elle ?
On a beaucoup dit que dans l’Église chacun construisait son petit catéchisme : une foi à la carte en quelque sorte. Mais y-a-t-il un socle minimum de la foi ?
Au plan personnel, que peut-on avouer ? Et, sauf à devenir schizophrène, que peut-on soi-même accepter de ne pas croire quand on se dit chrétien ? Y a–t-il un seuil en deçà duquel il convient, par honnêteté envers les autres mais aussi pour sauvegarder sa propre intégrité, de renoncer à se dire chrétien et à quitter la communauté ? Jusqu’à quel point de doute, ou d’incroyance, peut-on se dire d’Église ?
 
Je peux me dire que je doute, mais que le doute a justement une face positive : je ne suis pas sûre que Dieu ait physiquement ressuscité, mais je ne suis pas sûre non plus qu’il n’ait pas ressuscité ! Alors, c’est le pari de la foi : nous voici dans ce qui est à mon sens un grand confort, le « on verra bien et je fais comme si », la garantie sur l’avenir en quelque sorte. Et pour assurer le tout, je me mets en situation de conformité, je fais les gestes, et je dis les paroles. Oui, mais il y quelque chose de malsain dans cette attitude de profiteur. Pourtant, dans le même temps où on se veut lucide et honnête, chacun d’entre nous a au fond de son âme comme une lumière qui s’allume et signale que, malgré tout, rien n’interdit d’espérer : instinct de survie, effet de la foi ?
 
Et pourtant, je suis là, dans la communion avec Jésus ; même, je reste ! , je reste dans l’Église, malgré les doutes et les insatisfactions. Je dirais même les frustrations.
 
Un dominicain qui me fait parfois l’amitié d’une rencontre a écrit : « Dieu, cette chose qui n’est rien, que l’on peut nier sans aucune conséquence, dont le croyant même perd cent fois la trace, et qui, lorsque le moment est donné, remplit tout, éclaire tout, semble suffire à tout. »
 
Je reste ! Et c’est rester qui démonte les accusations de scandale et de folie des croyants que soulignait Paul.
Je reste pour autre chose ; c’est parce que la résurrection de Jésus, physique ou non, a signifié au monde le retournement de l’ordre des choses : c’est cette nouvelle création qui est ma foi.
« Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » : là est ma foi.
Dieu m’aime-t-il ? Dieu me connaît-il ? Dieu peut-il m’aider, me protéger ? Souvent, je souffre du silence de Dieu. Je ne sais pas comment établir le dialogue avec Dieu. Il est dur de surmonter la déception de l’attente.
Mais j’ai une vision, celle du Monde de Dieu, où l’amour et la justice triomphent et je suis, à ma modeste place, un artisan de ce monde nouveau. Il n’en reste pas moins que la foi engage une vie. Et ce ne sont pas seulement des mots : aider au fonctionnement d’une paroisse, s’engager dans la recherche religieuse, travailler aux œuvres de charité, tout cela prend du temps, et on ne suit pas le message de Jésus sans implication de tout l’être.
Est-ce cela l’essentiel de la foi ? le vrai signe de la foi ? Est-ce là qu’il n’y a pas de place pour le doute ? Mettre les forces de notre vie au service du Message, c’est notre foi. C’est dans le monde où il s’est incarné que Jésus nous envoie. L’Église dont nous sommes les membres est une Église pour le monde.
 
Matthieu 22,36 : « quel est le plus grand commandement, Maître ? Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur… : voilà le premier et le plus grand commandement. Le second lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même. À ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les prophètes. »
 
Car la foi n’est pas de croire en des choses incroyables ! La foi, c’est de vivre le Message au quotidien, et, comme le bon samaritain, d’être le prochain de tous nos frères :
« Aimez-vous les uns les autres comme Dieu vous aime ».
 
Danielle Nizieux

Publié dans Réflexions en chemin

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