La parole, les actes… et nous ?
Il y a quelque chose de surréaliste dans la juxtaposition des discours actuels des principaux dirigeants de la planète sur la nécessité de revenir à des comportements éthiques dans le monde de la finance et les pratiques très frileuses qu’ils engagent pour modifier un système à l’origine de la crise majeure que nous connaissons.
Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Témoignage Chrétien 1, Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie sollicité aussi bien par le Président des États-Unis que par des chefs d’États européens, se montre très pessimiste sur l’évolution actuelle. À la question de savoir si le Président Obama, dont il a été un supporter pendant la campagne présidentielle, a pris les bonnes mesures face à la crise, il répond ceci : « L’administration Obama a tiré les mauvaises leçons de la crise. Le gouvernement a tiré un chèque en blanc aux banques. C’est le meilleur moyen de sauver le capitalisme : on socialise les pertes et on privatise les gains. Il aurait d’abord fallu se poser les bonnes questions : quel système financier voulons-nous, de quelle taille, sous quelle forme ? ». Et il conclut son entretien par ces mots « Nous sommes remontés du précipice tout en préservant le système qui nous y a poussés. Il n’y a pas grand-chose à célébrer. Tout cela a un coût. Le prix à payer se fera sentir par de graves répercussions sociales ». Et celui que le Président Sarkozy a nommé à la tête d’une commission « sur la mesure de la performance économique et du progrès social » d’annoncer que, dans son pays « le taux de chômage devrait dépasser les 10 %. Environ deux millions de maisons vont encore être saisies ».
Depuis quelques semaines, Nicolas Sarkozy s’est transformé en chevalier blanc de la finance internationale, notamment en attaquant les bonus invraisemblables que s’attribuent les spéculateurs mondiaux. Mais on doit constater que ces discours ne s’accompagnent pas d’une réelle volonté de transformer profondément le système. Ainsi, le budget élaboré par la Ministre des finances présente un déficit record sans que soient remis en cause les avantages fiscaux que, dès son arrivée au pouvoir, le Président a consenti aux plus riches.
L’ancien Président tchèque Vaclav Havel est un des hommes politiques contemporains qui a le plus réfléchi et écrit sur les contradictions entre les discours éthiques et les pratiques. Dans une lettre à sa femme écrite de la prison où l’avait enfermé la dictature communiste, il écrivait ceci : « Le pouvoir social, les “establishments” et les groupes sociaux (…) infiniment aliénés aux idéaux anciens, ne servent plus qu’à eux-mêmes, mais ne cessent pas pour autant de se justifier par la morale d’idéaux depuis longtemps violés et trahis. Ce processus aliénant résulte de la contradiction gigantesque entre les paroles et les actes, si caractéristiques du monde d’aujourd’hui ». Et il ajoutait: « Ce “monde des apparences” mensongères, des slogans grandiloquents et des rituels phraséologiques n’est qu’un impôt social à payer par l’homme à son souvenir de la conscience ».
Cela dit, il serait indécent d’analyser les contradictions des dirigeants sans nous interroger sur les nôtres. Aussi, on ne saurait trop méditer ces mots par lesquels Havel conclut sa réflexion : « Mais qui doit commencer ? Qui doit briser ce cercle vicieux ? Je suis d’accord avec Levinas quand il dit qu’on ne peut prêcher la responsabilité, mais qu’il faut la prendre et commencer par soi-même. Cela peut sembler ridicule, mais c’est vrai : c’est à moi de commencer » 2.
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 03.10.09
1 - Hebdomadaire Témoignage Chrétien n° 3363, 24/09/2009, pages 22-23
2 - Vaclav HAVEL : Lettres à Olga Éditions de l’Aube, 1990 pages 402-404