Non, ma fille, tu n’iras pas danser

Publié le par G&S

de Christophe Honoré

                                                                      

D’ordinaire, je vous parle de films dont j’ai apprécié les qualités et que j’ai aimés. Aujourd’hui, j’attire votre attention sur un film dont je me disais à la sortie : « Un très grand film, que je n’aime pas du tout ».

Oui, à la réflexion, ce me semble un film important, sur lequel j’aimerais avoir votre avis si vous le voyez. Je ne le conseille à personne, car c’est assez dur et très loin de ma conception de l’existence.

Mais c’est ce qui en fait l’importance, du point de vue philosophique et du point de vue psychologique. Peut-être le film qui va le plus loin sur la difficulté d’exister, de se trouver dans le monde actuel. En particulier sans doute pour une femme : le personnage principal, Léna, très bien interprétée par Chiara Mastroianni. Difficulté à se situer dans les relations familiales (déjà abordées par Arnaud Desplechin dans « Conte de Noël »). Difficultés à se situer dans une vie de couple. Difficulté à se situer par rapport à ses enfants (cf déjà entre autres « Libero » de Kim Rossi Stuart, 2006). L’enfermement en soi, le désir absolu de se trouver soi-même sans aucune contrainte (L’amant lui-même, joué par Louis Garrel, va jusqu’à affirmer : « On ne peut pas vivre sans être prêt à renoncer »), l’incapacité à toute relation vraie, ont rarement, me semble-t-il, été montré si fortement (En France, car il y a eu auparavant toute l’œuvre de Bergman). Le film soulève donc une question radicale : ce n’est ni la famille, ni la relation homme-femme, ni bien sûr la crise économique, qui sont la difficulté centrale de la modernité, mais la capacité à devenir soi-même, sans rejeter la culpabilité sur qui que ce soit d’autre que soi. Qu’en pensez-vous ?

Ce film m’importe pour une seconde raison.

Le diable est très présent dans ce film, et en particulier dans la légende bretonne (admirablement filmée) qui est au cœur du film et s’y présente comme une clef d’interprétation. Dans un monde sans Dieu, évidence culturelle de la modernité, le diable aurait-il la vie plus dure ? Dans sa soif de devenir soi-même, c’est-à-dire de trouver l’absolu, de se trouver comme absolu, l’être humain ne pourrait-il que rencontrer la face obscure de la vie spirituelle ? Dans ses films précédents Christophe Honoré était déjà pessimiste sur la condition humaine. Est-il celui qui exprime aujourd’hui le mieux en France le nihilisme comme philosophie caractéristique de notre société ?

Voici quelques questions jetées à chaud (j’ai quitté la salle il y a une heure).

Que cela ne vous empêche pas de voir d’autres films : j’ai beaucoup aimé « Les regrets » de Cédric Kahn (Valeria Bruni-Tedeschi y est remarquable), « Rien de personnel » avec Jean-Pierre Darroussin), « L’armée du crime » de Guédiguian et « A propos d’Elly », film iranien d’Ashgar Farhadi, tous films de qualité pour des raisons diverses.

Jacques Lefur
23 septembre 2009

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