Qu’a donc fait l’Église de notre Pauvre Père ?
Le christianisme originel équilibré, s'est éloigné du Père en se coupant du judaïsme. Le christianisme, même s'il retrouve aujourd'hui le visage paternel de Dieu en recherchant ses racines juives, a de toute façon laissé des traces de ses déviances dans les sociétés chrétiennes. Ces sociétés de culture chrétienne souffrent violemment de cette vision partielle de Dieu. En France par exemple, nous sommes victimes de cette déformation de l'image de Dieu en nous. Cela touche notre cœur car notre manière d'aimer est affectée. Aussi pouvons-nous dire que notre cœur, à cause de la déchirure du Nom de Dieu, est devenu malade. Et cette maladie ne concerne évidement pas seulement les chrétiens mais tous ceux qui font partie des sociétés chrétiennes. On pourrait même dire que les chrétiens qui retrouvent leurs racines trouvent le remède et que ceux qui se croient hors de l'influence chrétienne sont en réalité victimes d'une christianisation « partielle ».
Pour simplifier on pourrait résumer en disant que dans le christianisme le Père est inconnu. Jésus est le Fils d'un géniteur lointain qu'on appelle Dieu. Puisque Jésus l'appelle « Mon Père », nous l'appelons « Notre Père » mais nous ne savons rien de lui sauf ce que nous entendons de la bouche de Jésus. Mais entendons-nous bien ce que dit Jésus ? Non puisqu'en réalité nous n'avons pas cherché à entendre ce qu'il a dit puisque nous n'avons pas tenu compte du contexte dans lequel il parlait. Nous nous sommes contentés de lire les Évangiles, sans prendre en compte la Bible tout entière et sans nous appuyer sur ceux qui l'ont écrite.
Alors, ne sachant presque rien de notre Dieu-Père, nous nous en sommes fait une image déformée. Soit nous l'avons déguisé en « Bon Dieu gentil qui pardonne tout », une sorte de « Père Noël » ; soit nous l'avons maintenu à distance en le qualifiant de Juge qui nous scrute et qu'il faut craindre, une espèce de père méchant, sans pitié, à la virilité sans douceur. Bref, dans ces deux sortes de déformation de l'image de Dieu en nous c'est notre cœur qui est atteint, c'est notre perception de la paternité qui est malade.
Ainsi, il ne nous reste plus que le Fils qui dort dans la crèche ou dans les bras de sa mère et meurt sur une croix. Nous nous réfugions dans un Fils orphelin ou dans sa mère, qui sont plus rassurants qu'un père soit trop maternel soit géniteur sans cœur. La paternité de Dieu est soit rejetée soit niée. Il est normal de rejeter ou nier cette sorte de paternité car elle est insupportable. Cette paternité-là est insupportable car elle est Justice sans Amour, force sans douceur, Jésus sans le Père ou maternité sans paternité.
Par conséquent, ce qu'il nous « reste » c'est l'amour, mais l'amour sans la justice, l'amour sans points de repère, l'amour édulcoré, sans réalisme, sans force, sans consistance, un amour mielleux, un amour étouffant, un amour qui tue l'amour. Nous ne savons pas comment aimer. Nous sommes convaincus qu'il faut aimer mais nous pensons que pour aimer il suffit de donner à celui qui a moins. Notre vision de l'amour se réduit au mot charité dans le sens d'avoir pitié de celui qui est malheureux. Ainsi être chrétien signifierait être du côté confortable afin de pouvoir donner à celui qui est dans une position inconfortable.
En donnant à celui qui est dans le besoin, je ne m'occupe pas de la personne qui est dans le besoin, mais de donner. Ce qui me préoccupe c'est de donner, peu m'importe le pauvre, ce qui m'intéresse c'est la pauvreté. Cette déformation de l'amour n'est qu'un exemple parmi tant d'autres des conséquences dramatiques de l'amour partiel, de l'amour sans la justice, de l'amour sans amour.
L'amour équilibré et harmonieux cherche la justice et la justesse. Cet amour-là ne nie pas l'autre mais le considère d'égal à égal, il n'est pas pitié malsaine mais compassion. Il s'agit alors plus d'entrer en relation avec le pauvre qu'avec la pauvreté. Il s'agit plus d'être avec l'autre qu'au-dessus de lui pour l'aider. Il s'agit plus d'écouter le pauvre et de passer du temps avec lui que de lui envoyer un chèque. Bref, nous savons bien au fond de nous que l'amour a besoin de justice, mais dans notre monde obscurci par une vision biaisée de l'amour, nous avons beaucoup de difficulté à soigner notre cœur affaibli.
Quand nous sentons que notre cœur est malade et que l'image de Dieu qui flotte dans les sociétés moderne est celle d'un Dieu déséquilibré, alors nous sommes tentés de haïr ce Dieu « inhumain » et injuste. Étouffés par un amour maternel qui ne laisse aucune place à la justice, nous finissons par rejeter la maternité et notre cœur agonise. Nous ne savons plus où chercher l'amour et nous ne savons même plus ce qu'il faut chercher, car notre image de l'amour est abîmée.
Et quand le christianisme semble véhiculer un amour malade ou une image déformée de Dieu, il est normal que notre instinct de survie nous pousse à rejeter cette religion.