Du bon usage des pauvres (partie 1)

Publié le par G&S

Un préalable politique : accepter le péché originel et la loi naturelle

Au détour du Moyen-âge, et surtout après, sonne le glas pour les pauvres. Dans l’espace urbain, les relations sociales, les politiques. Fini le primitivisme des récits créationnistes, de Genèse 1 à Rousseau ! A l’encan l’angélisme niais du « nul n’est méchant volontairement » socratique, tout comme l’utopie féroce républicaine d’égalité. Rationalité oblige, il faut verser dans la froide lucidité : les hommes ne sont pas égaux, un point c’est tout. Pour le dire en quelques banalités caricaturales : ils ne sont pas égaux par « nature » : ils sont malades ou bien portants ; intelligents ou imbéciles ; talentueux ou bon à rien ; il y a l’homme fort et la femme faible ; le maitre et l’esclave ; le riche et le pauvre. Non vraiment, les hommes ne sont, ne peuvent être égaux. Pis : on ne change pas cette nature humaine, ces lois naturelles que sont l’égoïsme, (l’individualisme en plus actuel) l’instinct jouisseur, l’intérêt propre etc. Et rien n’y a fait : la religion, la philosophie, la politique, la morale, la révolution. Indécrottable nature humaine ! Aussi, et cela fait système, en laissant faire cette nature humaine indépassable, arraisonnés de quelques décalogues a minima quand même, la somme des intérêts individuels produira nécessairement un équilibre général où chacun y trouvera son compte. Mais dans tous les cas, l’inégalité naturelle ou construite commande une unique et saine philosophie, une incontournable conduite anthropologique, une seule et efficiente politique : il faut être

RÉ-A-LIS-TEUX !

Le mal existe, depuis le péché originel. Il est physique, spirituel, social, économique : l’homme « réaliste » acceptera en ce sage réalisme ce péché originel par quoi il sera un homme « moderne ». Au contraire, ne pas l’accepter comme un fait revient à prouver au mieux de son idéalisme, au pire de sa connerie néandertalienne.

Cette acceptation est libératrice d’énergie puissante : décomplexé de lui-même et délesté de la honte d’une commune humanité, le plus naturellement talentueux, intelligent, travailleur, méritant etc s’en sortira pourvu qu’il trouve un système pour optimaliser sa différence et favoriser son ascension. Quant aux « défavorisés » ils sont partie intégrante du système. Péché originel aidant (ou dans la version laïque, la loi naturelle, mais c’est pareil), ils justifient l’ambivalence du réel naturellement inégalitaire et implique forcement l’exaltation de la liberté humaine comme reprise victorieuse de l’initiative de la culture sur la bête, ou sur le péché, en attendant de devenir le foyer nucléaire de l’expansion civilisatrice des énergétistes à la Bergson. Vous pouvez aussi l’appeler « concurrence », « mondialisation » et autres euphémismes de la puissance revancharde. La duperie est la même.

Ce raisonnement, qui vient de loin, est central, non seulement parce qu’il traverse les hommes entre eux mais aussi leurs doctrines et croyances et il serait bien trop fastidieux ici de montrer comment il a fait et décliné l’histoire, à tout le moins voudrait-on le faire croire. Et il m’ennuie profondément parce qu’en fait de « modernité », c’est un grand bond en arrière. C’est très simple à comprendre, et plutôt que d’étaler des pages de références de « classiques » préférons quelques raccourcis réducteurs. On pose pour point de départ des potentialités substantielles évidentes. Peu importe ici qu’on les nomme « don » « prédisposition »,« vocation »,« charisme »,« talent »,  «intelligence» pour rester dans l’idéologie psychologique ambiante, ou  « essence », « âme » « nature humaine », « être générique » sans oublier la théorie de « l’existence qui précède l’essence » et autres liqueurs séminales ou philosophales en guise de virtualités préalables de l’hominisme spirituel. Puis ce donné d’avance n’aurait qu’à devenir manifeste, à « se réaliser » et à « s’actualiser » au gré du réel et de ses désagréments et des écoles de la « seconde chance ». C’est simple et « ça marche » depuis l’ancienne à la nouvelle « modernité ». Voyez par quoi commence la première et grande encyclique de la « pensée sociale » de l’Église :

« Le premier principe à mettre en avant, c'est que l'homme doit accepter cette nécessité de sa nature qui rend impossible, dans la société civile, l'élévation de tous au même niveau. Sans doute, c'est là ce que poursuivent les socialistes. Mais contre la nature, tous les efforts sont vains. C'est elle, en effet, qui a disposé parmi les hommes des différences aussi multiples que profondes; différences d'intelligence, de talent, de santé, de force; différences nécessaires d'où naît spontanément l'inégalité des conditions. Cette inégalité d'ailleurs tourne au profit de tous, de la société comme des individus. La vie sociale requiert dans son organisation des aptitudes variées et des fonctions diverses, et le meilleur stimulant à assumer ces fonctions est, pour les hommes, la différence de leurs conditions respectives » Léon XIII, Rerum Novarum (Des choses Nouvelles…), 1891.

Cinquante ans plus tard :

 « Le régime nouveau sera une hiérarchie sociale. Il ne reposera plus sur l’idée fausse de l’égalité naturelle des hommes mais sur l’idée nécessaire de l’égalité des chances, à tous les français de prouver leur aptitude à servir (…) Ainsi naîtront les élites véritables … (Ph. Pétain, 11 Octobre 1940).

Encore cinquante ans plus tard :

« Il y a chez chaque enfant un potentiel qui ne demande qu’à être exploité. Chaque enfant a une forme d’intelligence qui ne demande qu’à être développée (…) Le but c’est de chercher à donner à chacun le maximum d’instruction qu’il peut recevoir en poussant chez lui le plus loin possible son goût d’apprendre, sa curiosité, son ouverture d’esprit, son sens de l’effort. L’estime de soi doit être le principal ressort de cette éducation … Donner à chacun de nos enfants à chaque adolescent de notre pays l’estime de lui-même en lui faisant découvrir qu’il a des talents qui le rendent capable d’accomplir ce qu’il n’aurait pas cru de lui-même pouvoir accomplir : telle est à mes yeux la philosophie qui doit sous tendre la refondation de notre projet éducatif ». Lettre aux Éducateurs du Président de la République Française, 4 septembre 2007 1

L’aliénation, la pauvreté du pauvre type, viendrait alors des déterminations, (ou de la « liberté du sujet », mais c’est la même chose) et des empêchements qui viennent contrarier la réalisation de ce donné préalable. La réalisation, l’excellence du riche et son épanouissement, quant à elle, viendrait pareillement du système, le meilleur étant celui qui favorise la liberté et la rend responsable de sa réussite. En somme, ce qui vient de l’extérieur est toujours second, sans être secondaire, ce principe pouvant alors articuler tout ce qu’on veut, en particulier, les systèmes fonctionnant sur « l’égalité des chances ». Reste ensuite à la rhétorique d’expliquer comment là où il y a de la « chance » il peut y avoir de « l’égalité » et vice-versa, peut-être en recourant au darwinisme social, quitte à faire dire à Darwin n’importe quoi. Ainsi d’un bout à l’autre de l’anthropologie, du politique et de l’économique le retour à la loi naturelle est devenu la modernité et malheur aux dinosaures qui prétendent que l’homme est un fait de culture et non de nature. Rousseau doit se retourner dans sa tombe.

Que l’individu historique soit à mettre en rapport avec ses antécédents c’est sûr. Mais encore faut-il bien préciser ce rapport. Et ici, n’importe quel neurologue vous dira que des neurones ne fabriquent pas le langage, mais que c’est le mimétisme de la bouche, des lèvres et des sons de la mère, du père et des autres sur le petit d’homme qui devient sa parole. J’ai pris le langage, mais on pourrait en dire autant des autres possibilités formelles. Autrement dit c’est dans et par cette activité sociale que des neurones font personne. Autrement dit encore, c’est l’activité même, et non plus seconde, qui fait l’individu, ce qui n’empêche nullement l’individu comme tel de faire histoire. Bien au contraire, il en est la condition. De l’histoire comme du Royaume. Donnez du travail, ensemble des rapports sociaux, à un pauvre, au lieu des présuppositions naturalistes, et il ne deviendra peut-être pas riche, mais il deviendra homme, comme les « lis des champs », parce que la nature travaille, et non parce que les lis ne travaillent pas, deviennent ce qu’ils sont et au demeurant, beaux …

Il va de soi que chacune de ces conceptions anthropologiques véhicule deux visions opposées et irréconciliables de la société. Pour en rester à la première, faute de temps, il faut bien voir qu’elle tient ferme le fait d’une oligarchie inévitable de la construction sociale, allez disons gouvernance pour faire moderne. Ici tous les arrangements sont bons à prendre, des sacrés au naturelles, mais à terme la dilution même de la notion de peuple est préconisée : « la société n’existe pas, il n’y a que des individus » (M Thatcher) d’une part. D’autre part, la dilution du peuple programme le discrédit de l’État dans sa fonction sociale, laquelle, en rigueur de terme, est sa légitimité première, et ce au bénéfice d’un particularisme, d’une société de la particularité, livrée au « contrat » entre individus et dont l’appréciation, celle des déclassés en priorité, est évidemment confiée aux bons soins de l’oligarque. Et nous y sommes : « [L’État-providence] ne peut plus seulement consister en une protection statique, mais doit aider les personnes à gérer de façon dynamique leurs projets et les événements auxquels ils doivent faire face. Les approches en termes de classes générales de risques (maladie, invalidité, chômage) qui étaient traitées sur un mode assuranciel s’ouvrent à l’appréhension de situations plus individualisées. Alors que l’État-providence classique était un guichet distributeur d’allocations visant des populations-cibles, l’objectif est maintenant davantage de donner à chacun des moyens véritablement adaptés à la résolution de son problème spécifique. Les chômeurs de longue durée ont par exemple longtemps été appréhendés comme une population économique cohérente, population à laquelle étaient attribuées des indemnités déterminées et pour laquelle étaient prévus des mécanismes standards de formation. S’il y a un million de personnes qui composent cette population, on considère désormais qu’il y a un million de cas particuliers à traiter et à prendre en charge de façon spécifique. Cela a une conséquence majeure : l’exercice des droits devient indissociable d’une appréciation des comportements. Le développement d’une société de la particularité donne ainsi dans le domaine social une place accrue à des tiers intervenants, à des évaluateurs, qui jouent un rôle plus direct dans la vie des individus ». Sous la plume de Pierre Rosanvallon 2 ces évidences ne surprendront personne. Mais qui sait lire et partage le vécu du chômage, « l’exercice des droits devient indissociable d’une appréciation des comportements … [soumis] à des tiers intervenants, à des évaluateurs » comprend vite où il faut en venir. Et surtout qu’il s’agit là de l’abdication d’une République, qui a pourtant fait de l’égalité son principe fondamental, au profit d’une politique de la morale, de l’appréciation des comportements, du coaching, de l’accompagnement, et finalement de la démocratie participative et autres gabegies féodales de l’article II de la déclaration de 1789 : « La souveraineté réside essentiellement dans la nation »  A quand le suffrage universel à la poubelle au nom de l’ordre anthropologique, celui de l’individu spécifique bien sûr : « La notion de majorité a un sens arithmétique, mais elle ne correspond à rien dans l’ordre anthropologique », dixit-le même. Admirable logique n’est ce pas ?

Telle est la juste et dure loi du péché originel, de la morale naturelle…Il ne faut pas alors s’étonner de ce que l’ordre anthropologique boude régulièrement l’arithmétique lors de grandes convocations sur les affaires du monde, comme l’Europe par exemple : c’est que les enjeux de ces affaires « ne comportent pas la charge d’émotion, d’égoïsme ou d’envie sans laquelle on ne mobilise pas les masses » 3

Reste qu’il fallait bien, dans le peuple qui parfois parle encore de justice, d’égalité, des pauvres, de fraternité, la négocier, surtout quand les réalités contraires de ces grandes utopies sociales vont croissants et que le virage forcé est pris par ceux-là même dont la tradition politique les a fait sienne. Mieux, il fallait l’associer, afin que pauvres et riches fassent consensus, sans ressortir les ficelles usées, mais toujours utilisées, du populisme : les mauvaises habitudes de la main tendue qui donnent aux assistés l’habitude de tenir la leur toujours tendue, le « coût » des pauvres pour les budgets publics et les feuilles d’impôts des autres, la paresse naturelle de la nature humaine, les pauvres qui ont un portable quand des honnêtes gens n’en ont pas, l’insécurité des ghettos et autres banlieues, la puanteur des pauvres, les fraudes... Ou, en moins trivial, l’incitation au travail par la redistribution monétaire sans laquelle la consommation se grippe. Et quand la consommation se grippe, les débouchés se ferment, l’argent n’étant pas fait pour rester dans les bas de laines. Le tout sans rien remettre en cause de la fabrication des pauvres : licenciements, petits boulots, le contrat plutôt que la loi, la démolition de la protection sociale, la liberté des prix, l’asymétrie fiscale, etc.

Sur cette marge de manœuvre ténue, il fallait donc rétablir des valeurs sures, du gagnant-gagnant. Ici aussi l’histoire des contorsions de la justice, de l’égalité et autres idéaux serait longue. Mais il en est une qui a bien homogénéisée la morale politique issue du péché originel et de la loi naturelle : c’est la SO-LI-DA-RI-TÉ.

Puisque l’inégalité, véritable fait de l’anté-prédicat sacré ou naturel, est une incontestable évidence, alors la solidarité est le seul dispositif possible pour pallier la fabrication du pauvre provenant de l’injuste condition humaine. Elle a en outre plusieurs vertus : celle d’être individuelle et discrétionnaire, efficiente et qualifiante, sans conséquence sur la causalité de l’ordre établi et ses aléas, mais extensible à n’importe lequel d’entre eux : « L’État doit contribuer à la réalisation de ces objectifs, directement et indirectement. Indirectement et suivant le principe de subsidiarité. Directement et suivant le principe de solidarité. » 4 La morale, car la solidarité est une notion morale et émotionnelle, est donnée pour réponse éthique aux exigences politiques, du moins ceux posées par la devise républicaine. Aux exigences religieuses aussi : pratiquer le droit, la justice, la miséricorde, la charité. Et j’ai quelque difficulté, sans doute parce que je ne suis pas suffisamment théologien, à interpréter Jésus Christ « justice de Dieu » comme une « solidarité », même si celle-là relève davantage du christianisme paulinien. Je ne le peux vraiment pas, sans que l’angoisse de la trahison ne me noue la gorge parce que sa vie et sa mort appellent à autre chose qu’une solidarité avec les pauvres, ou les riches.

Pourtant la bifurcation fut faite et ce ne fut pas la moindre des enjeux idéologiques. Pour rester dans le contemporain : « J’ai le premier emprunté aux légistes le terme de solidarité pour l’introduire dans la philosophie, c’est-à-dire suivant moi dans la religion : j’ai voulu remplacer la charité du christianisme par la solidarité humaine » disait P. Leroux. 5 Et plus proche, pour célébrer « Noël 2008 dans la crise et donner rendez-vous à l’Espérance », un appel solennel et vibrant des habituelles vibrations d’éminences chrétiennes progressistes du monde politique et économique :

« Au moment où le monde entier se trouve engagé dans une crise économique qui frappera en priorité les plus démunis et dont personne ne peut mesurer la durée et la gravité, Noël demeure une espérance. La naissance du Christ parmi les plus pauvres, autant dire presque dans la rue (sic !), mais aussi de nombreux textes bibliques et écrits sociaux des Églises chrétiennes nous renvoient à des références éthiques essentielles pour affronter la crise. La pensée sociale chrétienne, qui s’appuie sur ces références, n’est pas une alternative à un quelconque système économique, mais un socle de réflexion qui a vocation à inspirer tout mode d’organisation durable de la société. Ce socle repose sur deux priorités : celle de l’homme sur l’économie, l’économie est au service de l’homme et non l’inverse, et celle des pauvres sur les privilégiés, l’équité condamne une trop grande inégalité entre les revenus. Ces deux priorités définissent les six piliers fondateurs de la pensée sociale chrétienne : la destination universelle des biens (la propriété privée est légitime si son détenteur en communique aussi les bienfaits à ceux qui en ont besoin), l’option préférentielle pour les pauvres, le combat pour la justice et la dignité, le devoir de solidarité, le bien commun et le principe de subsidiarité … Ce faisant, les chrétiens ne condamnent pas l’économie de marché sous toutes ses formes. Ils rappellent - et sur ce point, ils sont d’accord avec l’économiste Adam Smith - que ce type d’économie ne peut fonctionner que dans des sociétés basées sur les valeurs morales que sont le respect des autres et une certaine sobriété dans l’usage des biens matériels. Il s’agit donc de ne récuser ni le profit ni les investisseurs qui prennent des risques dans l’entreprise, mais d’appeler à une indispensable régulation de leur fonctionnement » 6 et bla bla bla. Que l’on adhère au philosophe-économiste Adam Smith est une option comme une autre, on l’accepte ou on la combat. Mais que dans un même discours et mouvement de pensée, nos éminences chrétiennes fassent dériver cette adhésion de la référence à « la naissance du Christ presque dans la rue »  est à vomir et j’ai honte. Au moins, dans ce cynisme, y aurais-je  touché de près l’idée de l’Infini. Aussi, est-ce sans surprise, hélas, que passant du discours des saints à celui de Dieu le Père, j’ai pu lire : «La solidarité signifie avant tout se sentir tous responsables de tous, elle ne peut donc être déléguée seulement à l’État. Si hier on pouvait penser qu’il fallait d’abord rechercher la justice et que la gratuité devait intervenir ensuite comme un complément, aujourd’hui, il faut dire que sans la gratuité on ne parvient même pas à réaliser la justice. Il faut, par conséquent, un marché sur lequel des entreprises qui poursuivent des buts institutionnels différents puissent agir librement, dans des conditions équitables. À côté de l’entreprise privée tournée vers le profit, et des divers types d’entreprises publiques, il est opportun que les organisations productrices qui poursuivent des buts mutualistes et sociaux puissent s’implanter et se développer. C’est de leur confrontation réciproque sur le marché que l’on peut espérer une sorte d’hybridation des comportements d’entreprise et donc une attention vigilante à la civilisation de l’économie. La charité dans la vérité, dans ce cas, signifie qu’il faut donner forme et organisation aux activités économiques qui, sans nier le profit, entendent aller au-delà de la logique de l’échange des équivalents et du profit comme but en soi… La « gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux. La mondialisation réclame certainement une autorité, puisqu’est en jeu le problème du bien commun qu’il faut poursuivre ensemble; cependant cette autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique pour, d’une part, ne pas porter atteinte à la liberté et, d’autre part, pour être concrètement efficace. Le principe de subsidiarité doit être étroitement relié au principe de solidarité et vice-versa » 7

Morale pour politique, social-évangélisme pour socialisme, économie du salut pour économie du marché, moralisation du système pour légitimité du système, équité pour égalité, devoir de solidarité pour action publique, et finalement « abdication de la démocratie » 8.  Chaque fois qu’une idéologie dominante bat de l’aile, ou pour la lui limer davantage, ou encore en partager la force, on voit apparaitre les discours de la solidarité, du dialogue social, de la cogestion, de la coresponsabilité, de l’efficacité, du partenariat et autres fadaises du consensus, du conservatisme classique où convergent, comme vers Jérusalem où tout ensemble fait corps, (Ps.122) les intérêts des catégories qui ont bien intégré le péché originel et la loi naturelle.

Sans compter la supercherie du schéma économique qui fait surgir la charité dans la vérité de la confrontation sur le marché, du profit, du publique et des buts mutualistes et sociaux. N’importe quel étudiant de première année  sait parfaitement que sans une base sociale et une dette publique pour la financer - autant qu’elle finance les pertes privées -, construites par des politiques publiques, le marché (le fait de commercer et d’échanger) ne serait le Marché instrumentalisé. Autrement dit, sans avoir compris, que le schéma économique donné en modèle (hybridation) est celui-là même qui a cours depuis des lustres et qu’il résulte précisément de la contradiction interne et fondamentale de l’économie de marché entre la socialisation publique des forces productives et leur détournement pour le profit, contradiction que résume désormais la notion d’État Social, après celle d’État-Providence. Quand le « Christ renvoie à des références éthiques » et qu’on enfonce des portes ouvertes pour donner le change du neuf, il est fort à parier que tout change… pour que rien ne change.

Proposition molle et présentable sous forme de question : comment faire en sorte que les hommes deviennent égaux sur terre tout autant qu’ils le seront au Ciel? Ou, comment poser la question de l’égalité ?

Angelo Gianfrancesco

 

1 – Consultable sur le site de l’Élysée :

http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/2007/septembre/lettre_aux_educateurs.79338.html

2 – P. Rosanvallon, La légitimité démocratique, Paris, Seuil, 2008, p. 110

3 - J. Boissonat,, Le Figaro, 28/01/2004

4 – Jean Paul II, Centesimus Annus, 1991

5 – C’est l’un des fondateurs du socialisme républicain : cité par E. Pieillier, « Le couteau sans lame du social-libéralisme », Le Monde Diplomatique, avril, 2009.

6 – Le Monde du 24 décembre 2008 : quelques signataires : Jacques Delors, Jean Boissonnat, Daniel Casanova, Xavier Emmanuelli, Jean-Baptiste de Foucauld, Sylvie Germain, Jean-Claude Guillebaud, Jean-Pierre Hourdin, François Regis Hutin, Alain Juppé, Patrick Peugeot, Michel Rocard …

7 - Benoit XVI, Caritas in Veritate, juillet 2009, § 38 et 57-58. Dans ce document de 67 pages tel que le publie le quotidien La Croix, le mot « solidarité » revient 33 fois. Pour rappel : Traité Instituant la Communauté Européenne (TICE), reprenant art. 3 B du Traité de Maastricht : "La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité. Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire". Ce principe s’inspire directement de Rerum Novarum (1891) et de Quadragesimo Anno (1931). J’ajoute que ma critique de certaines opinions du texte pontifical Caritas in Veritate ne signifie pas son rejet total, au contraire.

8 – L’expression est de P. Mendès-France, à Assemblée Nationale, le 18 janvier 1957, quelques deux mois avant le traité de Rome : « Le projet du marché commun tel qu’il nous est présenté est basé sur le libéralisme classique du XXème siècle selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes. Soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel. Soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique au sens le plus large du mot, nationale et internationale ». L’opinion qui a toujours vu en lui un libéral pur jus est à reconsidérer : « l’heure est venu de substituer aux  dogmes du laisser-faire, laisser-passer, le statut économique de l’avenir, celui de l’État fort contre l’argent fort ». C’était quelques mois avant le krach de Wall Street, en avril 1929. Cf. Œuvres Complètes, t.1, Gallimard, 1984, p.104.

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Publié dans DOSSIER PAUVRE(TE)S

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