Du bon usage des pauvres

Publié le par G&S

Il y a les pauvres des statisticiens qui font valoir le plus souvent des inégalités de toutes sortes, d’autant plus frappantes que les écarts dans les chiffres y sont criants. C’est qu’ici, la pauvreté se découpe en tranches : pauvreté monétaire ; de niveau de vie ; de salaire ; de coefficient de Gini, de culture, etc. Le problème est que ces indicateurs disent certes des choses, mais restent globalement insuffisants surtout lorsqu’ils sont produits par les boites à penser du système, telle que l’OCDE. Un exemple : on est tous d’accord pour reconnaitre que la pauvreté, ces vingt dernières années, ne peut se mesurer à partir des seuls paramètres du revenu monétaire et de l’emploi, ceux-ci ne permettant pas de saisir une évolution majeure de l’emploi qui est le travail précaire et ses effets sur les niveaux de vie et la pauvreté.

Il y a les pauvres des politiciens, toujours un enjeu politique, pour les uns et les autres qui savent au demeurant en faire leur miel. Clinton, le démocrate qui a gouverné avec un congrès républicain dans la plus pure dogmatique libérale n’a-t-il pas en 1991 validé son mandat en déclarant : « Il faut d’abord penser au peuple. Comment peut-on demander aux gens qui travaillent ou aux pauvres de faire preuve de responsabilité quand ils savent que les patrons des grosses entreprises ont augmenté leur paie quatre fois plus vite que celle de leurs employés et trois fois plus vite que les profits de leur société ? Et quand ils ont provoqué la faillite de leur entreprise et que leurs employés se sont retrouvés à la rue, qu’ont-ils fait, eux ? Grace à leur parachute doré, ils ont atterri dans une nouvelle vie bien douillette » 1 Chirac, chez nous, n’a-t-il pas fait de la « fracture sociale » le ticket gagnant de son élection, tout en annonçant les deux versants de sa formule magique : « C’est vrai, il y a deux France. De plus en plus de Français sont laissés sur le bord de la route et de plus en plus sont lourdement taxés pour venir en aide aux autres » 2. Et que dire de l’ouvrier, voire l’ouvriérisme, des politiciens de gauche. Fond de commerce donc, ici au figuré. Voir infra pour le sens propre.

Il y a les pauvres estimables des croyants et autres religieux qui légitiment et convoquent fatalement l’argent apostolique puisque, fatalement, les pauvres, eux qui modélisent le Ciel et le Spirituel, il y en aura toujours à chérir. Mais en attendant que le modèle devienne leur réalité, ils devront se contenter d’être à leur place. Charité bien ordonnée…

Il y a les pauvres des humanistes, de tous bords, version laïcisée des précédents. Pour eux la pauvreté est une affaire de « culture », une pauvreté culturelle parce que le souverain bien étant la Culture, cette culture qui se célèbre entre le cocktail et le plongeon dans la piscine ou après un bon gueuleton, ceux qui ne sont pas de la fête, une sorte d’internationale des cons, sont les pauvres à éduquer pour qu’ils accèdent à la culture, la culture dominante des inculturés bien sûr, celle qu’ils se prennent pourtant tous les jours sur la tronche. Et, après tout, un pauvre bien se dire pourquoi pas moi ?

Il y a les pauvres des gens ordinaires, ceux qui se regardent à la télé, se croisent dans la rue ou au détour d’une page de journal. Ceux qu’on voit par la fenêtre ou dans les livres quoi. Mais les gens ordinaires ne se sentent pas concernés parce qu’ils sont persuadés que, toutes choses étant égales par ailleurs, pensent-ils, ils valent mieux que « ça ». Et puis, la saturation programmée du temps de cerveau disponible par les medias fait que plus on voit de pauvreté plus on l’ignore. Pauvres, restez invisibles et muets, vous avez tout à y gagner !

Et puis il y a la pauvreté des pauvres, celle qui est informelle, au sens où elle n’est ni formulée par les intéressés, et ne fait donc pas discours, ni formalisée en des catégories « scientifiques » et qui reste donc impensée. Circulez, il n’y a rien à voir.

Chacun a ses pauvres en somme.

È cosi ! De toute façon des pauvres vous en aurez toujours parmi vous autant donc aller au meilleur tout de suite… Quand on peut.

Les focalisations sur les riches et la richesse sont plus choquantes : et pour cause, elles sont plus rares. C’est que les riches ont la richesse pudique, peut-être en raison d’un vieux fond de morale à l’encens, mais surtout parce que tellement plus assurée d’elle-même qu’elle n’a guère besoin d’être défendue où justifiée, sinon pour faire rêver, c’est tout. Car la Loi y veille : le code pénal, pour protéger les riches des pauvres, le code civil pour autoriser les riches à s’enrichir sur les pauvres. Les bonnes clôtures font les bons voisins, disait un poète dont j’ai oublié le nom. C’est connu. C’est que le milieu de la richesse est un milieu clos, en des hauts-lieux clos, difficiles d’accès, protégés par des meutes de chiens de garde institutionnalisées, des prix au m2 prohibitifs et des plans d’urbanisme férocement socialisés. Les ghettos ne sont pas toujours là où on le croit.

Il y a donc, à quelques exceptions près 3, un vide du côté des projecteurs sur les riches par rapport aux pauvres sans doute parce que nous sommes humains et que la pauvreté nous indigne et nous scandalise, tout en faisant appel à la compassion, alors que la richesse nous écœure et suscite le mépris. Quoi que, des fusils sensiblement différents n’ont jamais empêché de tirer dans la même direction.

Cela dit, l’ironie des analyses mis à part, il y a à prendre dans tout cela. Mais, vacherie pour vacherie, au moins sémantique, le système et ses protagonistes sont… « suffisants et insuffisants » (Bourdieu). Comme la majorité des discours sur les pauvres, dont le ci-avant.

Aussi plutôt qu’un discours, voici quelques réalités dont j’ignore si elles évoquent la pauvreté.

Angelo Gianfrancesco

 

1 - Bill Clinton, déclaration de candidature à la présidence USA, 3/10/1991

2 - Les Echos, 2/5/1995

3 - Voir par exemple les études de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon ; Louis Chauvel ; Thomas Piketty dont pour ce dernier je ne partage pas toutes les vues.

 

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Un préalable politique : accepter le péché originel et la loi naturelle
Les exclus, des exclus ?
L’argent n’a pas d’odeur… mais il a des idées
La fabrication de l’impuissance

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Publié dans DOSSIER PAUVRE(TE)S

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