Temps de prison… Temps de retraite ?

Publié le par G&S

Dans ma vie, j'ai connu deux périodes de prison.

La première, la plus pénible, fut celle que je vécus, par force, chez mes parents. Certes, cette prison n'avait pas de barreaux, mais la souffrance y était pire. J'étais nourri comme on nourrit un chien, je ne pouvais avoir de contact avec mes frères et sœurs, j'étais levé seulement après leur départ et j'ai vécu ainsi pendant 5 mois sans pouvoir sortir de ma chambre. C'était ma prison-famille, celle que je n'avais pas choisi et dans laquelle je n'étais que de passage. Enfermé sans avoir commis la moindre faute, comme ça, peut-être était-ce un moyen d'éducation ? Ce fut en tout cas mon enfer.

Ce fut ensuite une longue errance de foyer en foyer, sans connaître l'amour, sans même connaître Dieu : il n'y était pas invité, et puis, comment pourrais-je l’avoir connu puisqu'on n'en parlait pas ? Je n'avais qu'une hâte : devenir adulte pour oublier cette « enfance » qui rimait si facilement avec « souffrance ». Dans ces foyers, il m'arrivait parfois d'aller à la messe, à la recherche de quelque chose que je sois incapable de définir mais dont je ressentais profondément le manque. J’allais de lieu de prière en lieu de prière sans jamais rien trouver. La profondeur de Dieu, son amour ? Uniquement des paroles qui ne me touchaient pas. Comment ne pas reproduire sur nos enfants les sévices subis si personne n'est là pour poser les barrières qui s'imposent à notre instinct ? Lourd fardeau à porter pour l'ado que j'étais !

Dans mon premier métier, animateur d'enfants, j'ai pu, sans doute grâce à Jésus, utiliser mes « compétences » en matière de souffrance pour mieux comprendre la souffrance de certains de ces enfants. Je pouvais les aider à y faire face et j'en étais heureux. Aider, était-ce là un appel ? Je suis rentré cher les scouts comme « chef » et là, un jour, certains d'entre eux préparaient leur confirmation ; j'ai donc sauté sur l'occasion et ai demandé au prêtre d'être confirmé avec eux. Es-tu baptisé ? Je n'en savais rien, il m'a fallu courir après ce renseignement qui semblait d'importance ; la réponse fut pour moi, sur le coup, un véritable choc : je n'étais pas baptisé, je ne pouvais donc pas être confirmé. Mais ce fut tout de même une joie, car cela m'a permis, pendant deux ans, de faire une préparation en vue de ce sacrement auquel je tenais.

Je suis ensuite allé à Lourdes dans le but de servir. Là, j'ai rencontré des gens emplis de souffrance, mais aucun plus que l'autre, tous égaux. C’est là aussi que j'ai rencontré celle qui allait devenir ma femme. Dieu donne à temps les choses essentielles à la vie car cette personne m'écrivit un jour que sans doute elle ne devait pas être aimée. Comme quoi les chemins de la souffrance se rejoignent à la face de Christ. Pâques 97, jour de renaissance pour moi puisque c'est là que je fus baptisé. Six mois plus tard, ce fut le mariage avec cette personne remplie de l'amour de Dieu. Le 4 avril 98, naissance de mon fils ; ce sera, à mes yeux, la plus belle chose et la seule chose de bien que je réussisse dans ma vie. Ma vie chrétienne commençait.

Mais le passé court bien souvent plus vite que nous ; il ne manque pas de me rattraper et, dans la nuit du 7 février 2002, deux gendarmes sont venus me chercher pour me conduire à la maison Sainte-Anne d'Avignon. L’adaptation fut assez pénible, il m'était difficile d’être des détenus et d'y déceler l'amour de Dieu. La vie en prison est comme un pèlerinage dans une terre inconnue. Sur cette « nouvelle » terre, j'ai connu l'esclavage, la souffrance physique et morale, l'isolement, l'oubli de soi, le découragement. La vie y est lancinante, les journées se ressemblent et sont ponctuées par les mêmes cris, les mêmes ordres ou aboiements, les mêmes bruits de clés dans les serrures et des portes qui claquent. Tout y est rythmé du lever au coucher ; notre seule attente devient celle de la gamelle. Parfois un parloir vient redonner un peu de luminosité à ces ténèbres ambiantes, un souffle d'air frais dans cette promiscuité fétide et forcée.

Pourtant, c'est dans ce cloaque infâme que j'ai rencontré un être merveilleux, une personne d'exception : l'aumônier protestant. Lors du premier entretien que nous avons eu, j'étais plutôt méfiant et, de ce fait, j'avais pris un peu de recul car, il faut le dire, dans ce lieu où j'étais, la peur faisait partie du quotidien. Il m'était donc impossible de m'ouvrir et je trouvais même à lui dire qu'elle ne pourrait pas me faire entrer dans son église, que c'était peine perdue et qu'elle perdait son temps avec moi. Cependant, je l'écoutais quand même et, de retour en cellule, je me suis dit qu'elle n'était certainement pas là pour rien et qu'il fallait que je lui fasse confiance. C'est ce que je fis dès le second entretien. Bien m'en prit, car depuis, je ressens profondément chez mes frères et sœurs protestants cette chaleur indicible, cette douceur et cette sincérité à nulle autre pareille.

La parole de Dieu n'avait pas le même sens avec elle qu'elle n'en avait avec mon prêtre. Sans doute est-ce parce qu'il y avait l'amour en plus ? Au fil du temps, elle devint cette « maman » que je n'ai jamais eue. Les pendules pour moi furent remises à l'heure, et c'est souvent qu'après ces entretiens les larmes coulaient sur mes joues, signe que Dieu œuvrait en moi et était présent en elle. Ma vie s'en trouva transformée, la prison prenait un tout autre visage, il me semblait qu'à présent un « codétenu invisible » partageait les quelques mètres carrés qui m'étaient alloués. Mes moments de découragement se transformaient en moments de prière et j'acquis la certitude que Jésus-Christ, invisible dans notre réalité, ne l'était plus dans mes souffrances ni dans mes appels à l'aide que je lui lançais. Il était là pour faire naître en moi cet amour jusqu'alors inconnu. En un mot, il était VIVANT. Le bon Berger avait laissé ses 99 brebis pour venir chercher sa 100e que j'étais pour me conduire dans ses verts pâturages, près des eaux paisibles où il restaure mon âme. Il était venu jusque dans la prison, non pas pour me juger, mais pour me sauver, non pour me jeter la pierre,  il pouvait le faire, il est sans péché – mais pour me pardonner, pour me montrer une autre voie, pour m'amener à la repentance, pour m'emplir de son amour et m'offrir sa grâce. J’ai aussi en moi cette certitude que ce qu'il a fait pour moi il peut et veut le faire pour toi, pour tous, car il veut que tous soient sauvés.

J'obtins par la suite – était-ce lié à tout cela ? – un poste d'auxiliaire à la bibliothèque. J'ai pu rencontrer d'autres détenus à qui j'ai pu témoigner de mon expérience avec le Seigneur. Des amitiés sont construites et il subsiste encore dans mon cœur des moments de partage très forts. Mais, le meilleur moment de la semaine, hormis le parloir avec ma femme, fut la messe ou le culte selon la semaine. Là, nos prières sortaient ; si nous avions pu tricher, voler, tuer, dehors autrefois, là nos prières sortaient de nos tripes car nous ne pouvions pas tricher devant Dieu. Ces moments merveilleux et vrais qui contribuent à l'église de demain, j'en étais friand, voire même « un profiteur » ; j'avais tant besoin de ce baume qui fait tant de bien au cœur, qui panse les plaies et qui guérit les blessures de l'âme. Pour rien au monde je ne les aurais ratés ! Ils étaient devenus pour moi source de vie et je m'en gavais pour toute la semaine. Chaque matin, et chaque soir je demandais à Dieu son soutien en le remerciant de ce qu'il avait voulu me donner et pour ce qu'il allait me donner encore. Chose qu'auparavant il ne me serait jamais venu à l'idée de faire.

Le plus dur pour moi fut de demander pardon à ma femme, mais aussi à tous ceux que j'avais pu faire souffrir. C’est là que je me suis aperçu qu'il était beaucoup plus facile de donner le pardon que le recevoir, surtout de la part de Dieu. Il s'avère nécessaire, pour accepter d'être pardonné, de s'imprégner de cette parole de Jean 3,16 : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. »

La sortie approchait à grand pas. La veille, Catherine, l'aumônier protestant, souhaita que nous ayons ensemble un dernier partage. J'avais en moi cette peur de sortir et en même temps j'étais heureux de revoir le dehors malgré ma tristesse de laisser à l'intérieur tous ceux que j'aimais. Nous avons discuté pendant plus d'une heure et, à la fin, nous nous sommes embrassés pour nous dire au revoir ; les larmes coulaient de nos yeux. Elle me dit : « c'est dommage que tu partes, car tous ces moments passés ensemble étaient bien riches. » Alors, je lui ai dit que j'aimerais continuer avec elle au-dehors cette communion fraternelle. C'est ce qui se produit encore aujourd'hui : nous nous rencontrons souvent, nous déjeunons ensemble et partageons notre foi. Dès qu'un peu de découragement m'assaille, je lui téléphone et nous discutons ensemble. Elle est vraiment « ma petite maman ».

Ce que j'en déduis, c'est que la prison n'est pas un lieu où on reconstruit l'homme ; c'est un endroit où il est détruit en quelques instants. Dans ce lieu de ténèbres on devient plus facilement un loup qu'un agneau, à moins que nous acceptions dans notre cellule d'abord et dans notre vie ensuite, la présence et des les conseils et l'amour de ce détenu invisible mais pourtant tellement présent qu'est Jésus-Christ. Alors, comme moi et comme tant d'autres, laissez-vous envahir de sa présence, laissez-vous sauver ! Et vous, détenus déjà convertis, ne laissez pas vos codétenus demeurer dans les ténèbres, apportez-leur la lumière que Christ fait briller en vous, aidez-les à être leur tour sauvés.

Aujourd'hui, je suis devenu un témoin de la Fraternité Bon Larron et je viens, avec l'aide de Gérard, du Centre Pénitentiaire de Caen, de créer le groupe de prière du bon berger pour les Détenus du Centre Pénitentiaire du Pontet. Depuis juin 2007 j’ai repris le groupe de prière des Prisons de France après le décès de son fondateur.

Vous pouvez m'écrire si vous le souhaitez. Je peux aussi venir donner un temps de témoignage pour parler de cette rencontre personnelle avec le Seigneur, pour vous dire que le Seigneur touche les petits, ouvre les portes des cœurs mais nous laisse libre !

Ludovic

 

Si vous voulez correspondre avec Ludovic, envoyez-nous un mail en cliquant sur le bouton Nous écrire en haut de cette page, en mentionnant en objet : pour Ludovic. Nous ferons suivre sans lire.

Ou connectez-vous au site de la fraternité Le Bon Larron : http://www.bonlarron.org.

Publié dans Fioretti

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