Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre
Dans son édition du 23 juillet dernier, le journal Le Monde titrait ainsi sa Une : « Les banques américaines renouent avec la folie des bonus »1. L’auteur de l’article note qu’au moment où le chômage atteint aux États-Unis un niveau record (9,5% en juin) et que les contribuables paient au prix fort la facture du sauvetage des banques – largement responsables d’une crise qui, souvent, leur a coûté leur emploi ou leur logement, voire les deux, le président Obama constate que les dirigeants de Wall Street n’ont tiré aucune leçon de la crise. L’ancien patron d’AXA, Claude Bébéar exprimait ainsi son dégoût des comportements des dirigeants des banques américaines : « La cupidité généralisée, en grande partie responsable des dérives qui ont conduit à la crise financière, a été stigmatisé par M. Obama qui a promis des mesures énergiques. (…) Où en est-on aujourd’hui ? Goldman et Sachs affiche des bénéfices records après avoir mis 11 milliards de côté pour payer des bonus. 20 milliards sont prévus en 2009 ». L’économiste Paul Jorion note que les salaires et les bonus offerts par les banques américaines : « sont de l’inconscience. Ils ne tiennent pas compte du poids que représente la garantie du gouvernement américain. C’est de la provocation pure et simple. Cela va mal finir ».
Dans la Grèce antique, un dicton disait que les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre. C’est donc aux politiques, et d’abord au gouvernement états-unien de s’opposer de façon beaucoup plus ferme à des comportements qui relèvent de l’accoutumance à la drogue dure de profits immédiats déconnectés de tout investissement économique, et a fortiori citoyen. Ils risquent d’entraîner les économies dans de nouvelles catastrophes.
Le dogme libéral consiste à confier à l’argent le soin de régler les rapports entre les hommes. Toute volonté politique qui contrarierait cette logique apparaît comme nocive. Laissons, nous dit-on, le marché réguler la vie des sociétés et contentons-nous d’en assurer le fonctionnement. À ceux qui émettraient des objections, il est répondu que le marché sait apporter les corrections nécessaires et qu'il est le nouvel horizon indépassable de notre temps. Quitte, lorsque ça va mal, à se précipiter vers l’État et le contribuable pour lui faire porter le poids des catastrophes financières.
Pendant des lustres, on a pu dénoncer, avec justesse, les errements de partis communistes au pouvoir dont la dogmatique faisait des goulags et autres opérations fraternelles musclées avec les pays satellites de simples corrections sur la route radieuse du progrès. Les protestations des personnes brisées par le système soviétique étaient alors taxées d'idéalisme petit-bourgeois. Aujourd’hui, ceux qui refusent aux marchés financiers le rôle de régulateur de la planète sont perçus par les intégristes libéraux comme des nationalistes attardés ou des perdants qui seront rejetés dans les poubelles des marchés.
L’argent n’est ni dieu ni diable. Il est un outil qui facilite l’échange. La religion financière en a fait non plus le moyen mais la mesure de
tout rapport humain et une sorte de destin, contre lequel on ne pourrait rien faire.
Il est urgent de démystifier cette idolâtrie pour se réapproprier l’argent comme un moyen au service d’un développement solidaire et durable des sociétés tant au niveau mondial qu’au niveau local.
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône-et-Loire le 25.07.09
1 - Anne MICHEL : « Les banques américaines renouent avec la folie des bonus. Wall Street et certains établissements
européens redistribuent primes et rémunérations gargantuesques. Barak Obama, Christine Lagarde et Jean-Claude Trichet s’inquiètent du renouveau de ces dérives » in Le Monde du
23 juillet 2009, pages 1 et 9.