Monter sur l'Échelle pour être plus grand ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

Sur l’échelle de Jacob, il y a bien aussi un échelon pour la psychanalyse…

Longtemps il fut de mise qu’un psychanalyste ne pouvait pas être un chrétien, par exemple. Le bon ton du moment veut que les choses changent, bien qu’elles ne changent, au fond, qu’entre l’hypocrite tolérance et la dissolution. Les années 70 marquèrent un tournant à cet égard : L’Évangile au risque de la psychanalyse que signait alors Madame Dolto, dans sa fougueuse honnêteté, n’en restait pas moins Rénanesque. La psychanalyse au risque de l’Évangile eût été un titre plus décent et autrement plus vrai.
Nos Écritures Saintes juives et chrétiennes nous enseignent au fil d’inoubliables récits combien l’orgueil des créatures renverse du monde les rapports d’équilibre, prenant le symbole lui-même pour ce qu’il représente. Le comble venant avec le psychanalyste, lacanien ou pas, de ne prendre le signe que pour la chose ou l’idée signifiée !
Il est vrai que le thérapeute naît dans un monde où la science avilit sa louange jusqu’à la pollution (diurne aussi bien que nocturne) et son émerveillement jusqu’à l’industrie.
Or, les déterminismes ambiants frappent les analystes avec autant de vigueur que leurs frères jumeaux, les déterminismes familiaux de nos névroses infantiles.
Certains confrères, ici et là, s’emploient à éviter le pire, et leurs efforts pourraient bien confiner à quelque sainteté…
Avec sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, nous savons combien tout est don, et combien « celui qui reçoit le don est lui-même le premier don reçu ». La psychanalyse, dans le sillage de cette mystique et de cette science de la foi, a ses mots profonds à dire sur la personne humaine dans son élan de désir et de discernement, dans la fraîcheur de ses rapports entre conscient et inconscient. Et elle se donne son rang quand elle définit le péché par le nom redoutable de symptôme, de dégoût, de peur et de destruction. Invitant à dépasser l’introspection étroite, elle sait conduire à la simplicité de l’amour vrai et pur. Religieux, religieuses, prêtres et laïcs, la psychanalyse leur suggère de ne plus prendre l’écorce pour le noyau, ainsi que de faire table rase des mesquines distorsions de la nature humaine. La constante opération d’une honnêteté envers soi-même est une auxiliatrice précieuse pour la foi et découvrirait une meilleure sève de piété et d’apostolat. Peut-être même pourrait-on enfin porter sur son visage quelque chose de la face du Ressuscité, qui sait ?
Mais voilà que devant la mort, le passage au creuset de la mort, la psychanalyse se réduit à la vertu d’un opium. La relation narcissique au semblable, elle l’approfondit comme décisive dans la structuration du sujet ; le moi, elle le piste comme une formation d’abord étrangère puisée dans un autre plus avancé, idéalisé. C’est toujours par une relation anticipée et imaginaire que l’enfant se réalise en vue de « devenir grand ». Une fois devenu « grand », il s’agit ensuite de s’échiner à devenir « encore plus grand », cependant que le grand théâtre du monde, lui, tourne au carnaval triste et tragique. Tout cela, la psychanalyse le sait et l’enseigne bel et bien. Pourtant, il ne se trouve personne, pas même un(e) psychanalyste, pour oser vivre cette inséparable expérience de mort interne : car elle est spirituelle, en fait, cette mort à soi ; car notre psychisme se trouve balayé, et sa nature affolée de sublimation et de compensation en tout genre enfin réduite à néant.
Alors réapparaît la simplicité biblique de nos Évangiles, selon laquelle notre vie ne nous appartient pas, et (…) celui qui s’y raccroche la perdra.
Alors le psychanalyste pourrait atteindre son sommet de thérapeute et proclamer magnifiquement que « soit le mal existe dont nous avons peur, soit le mal consiste à avoir peur. »
Ce serait parfait, quoique un peu tard, montés que nous sommes sur des épaules de géants, et Saint Augustin nous ayant devancé voici seize siècles.
 
Jean-Marie Serra
Psychanalyste

Publié dans DOSSIER PSY ET FOI

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