C'est toi qui donnes son sens à ta souffrance...
Tu as considéré ton mal avec amertume et tu as dit : « Je suis blessé à mort » ; et tu voulais te coucher sur le flanc et consommer le reste de ta vie dans la méditation de l’injustice qu’on t’avait faite. Or, le Christ est venu pour nous racheter ; il est venu pour souffrir et nous montrer comme il faut en user avec la souffrance. Car il ne faut pas la ruminer, ni mettre son honneur à souffrir plus que les autres, ni non plus s’y résigner.
C’est une chose toute naturelle et toute ordinaire que la souffrance et il convient de l’accepter comme si elle vous était due et il est malséant d’en parler trop, fût-ce avec soi-même. Mets-toi en règle avec elle au plus vite ; installe-la bien au chaud, au creux de ton cœur, comme un chien couché près du foyer. Ne pense rien sur elle, sinon qu’elle est là, comme cette pierre est là sur la route, comme la nuit est là, autour de nous.
Alors tu découvriras cette vérité que le Christ est venu t’apprendre et que tu savais déjà : c’est que tu n’es pas ta souffrance. Quoi que tu fasses et de quelque façon que tu l’envisages, tu la dépasses infiniment, car elle est tout juste ce que tu veux qu’elle soit. Que tu t’appesantisses sur elle comme une mère se couche sur le corps glacé de son enfant pour le réchauffer ou que tu t’en détournes au contraire avec indifférence, c’est toi qui lui donnes son sens et qui la fais ce qu’elle est.
Car en elle-même, ce n’est rien que de la matière humaine, et le Christ est venu t’apprendre que tu es responsable envers toi-même de ta souffrance. Elle est de la nature des pierres et des racines, de tout ce qui a une pesanteur et qui tend naturellement vers le bas, et c’est elle qui t’enracine sur cette terre, c’est à cause d’elle que tu pèses lourdement sur le chemin et presses le sol avec la plante de tes pieds.
Et si tu acceptes ta part de douleur comme ton pain quotidien, alors tu es par-delà. Et tout ce qui est par-delà ton lot de souffrances et par-delà tes soucis, tout cela t’appartient, tout, tout ce qui est léger, c’est-à-dire le monde.
Le monde et toi-même, car tu es à toi-même un don perpétuellement gratuit.
Réponse à la QUESTION-JEU
Ce texte est extrait de la pièce Bariona ou le Fils du tonnerre. Récit de Noël pour chrétiens et incroyants, écrite par Jean-Paul Sartre alors qu'il était prisonnier en Allemagne, durant la seconde guerre mondiale...