Faut-il descendre pour monter ?
L’histoire de Zachée (Luc 19,1-10) est plus qu’une anecdote pittoresque ; elle donne à réfléchir sur la procédure de notre relation au Seigneur.
Zachée était riche, donc “important” sur le plan social, quoique – étant collecteur des impôts romains – il ait été mal vu par les Juifs. Mais l’homme est petit de taille. Pour “voir Jésus”, par delà la foule, il grimpe à un arbre. En fait, c’est lui qui sera vu et appelé par Jésus. Pour le rencontrer en vérité, celui-ci l’invite à “descendre”. C’est Dieu, toujours, qui s’abaisse jusqu’à nous, et non pas nous qui pouvons nous élever “volontairement” à lui.
Sans doute sommes-nous sincères quand nous prétendons désirer aller à Dieu. Cependant, nous avons, nous aussi, tendance à nous appuyer d’abord sur “notre” arbre : notre “militantisme”, nos connaissances théologiques, nos dévotions, la relative ascèse que nous prétendons nous imposer… C’est la “théologie des mérites”.
L’homme est tenté, lorsqu’il s’adresse à Dieu, de vouloir “monter” (aux cieux) par lui-même, c’est un des sens si riches du mythe de la tour de Babel1. Comme si nous gardions espoir que les “briques” de nos mérites nous permettront de bâtir la tour pour nous élever jusqu’à lui. Mauvais calcul : d’abord, nous risquons de ne pas grimper bien haut ; ensuite, n’oublions pas la parole de Jésus : « quiconque s’élèvera (de lui-même) sera abaissé… » Au total, on risque le ridicule de celui qui croit pouvoir se hausser et se retrouve, affalé sans parole – sans langage adéquat – sur un tas de boue. Descendons, au contraire. C’est lorsque l’invité se place de lui-même “au bas de la table” que l’ordonnateur du festin le fait monter plus haut. Et pour une recherche de Dieu, les mystiques nous invitent à “descendre en nous-mêmes” plutôt qu’à nous projeter parmi les lointains mirages de notre imagination.
Il ne s’agit pas de tomber (= encore un mouvement de haut en bas) dans l’illusion du quiétisme, en nous “abandonnant” sur tous les plans : il nous reste au moins à faire notre travail d’homme et de femme. Pour coopérer à l’œuvre de Dieu en ce monde, le principe est simple, comme disait Guillaume d’Orange : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » Mais, en matière d’auto-salut, il faut bien constater que nous ne pouvons pas faire grand-chose d’efficace. Car nos pensées ne sont pas celles de Dieu, et pour en revenir à Babel : nous ne parlons pas la même langue que lui, même si quelques-uns semblent croire encore que Dieu parle latin (ou hébreu, ou arabe…).
En outre, lorsque, “à la fin du jour”, nous cherchons à dresser le bilan de nos vies, nous constatons que, très souvent, ce qui nous apparaissait comme une chute, un accident apparemment malencontreux, s’est avéré finalement positif pour notre progression. Désespérés, nous proclamions : « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ? », dans le sens de : « quel mal ai-je fait pour “mériter” (encore !) cette punition ? ». En réalité, à terme, des événements “malheureux” ont pu nous profiter, comme le triomphe final offert à Job sur son funeste destin, parce que, contrairement à ce que pensent les amis de ce dernier, il n’y a pas une logique absolue, ni d’automatisme entre causes et effets du bien et du mal.
L’essentiel dans la relation entre l’homme et Dieu n’est pas forcément un yoyo entre “monter” et “descendre”, mais réside dans l’horizontalité de la Fidélité.
Le frère d’Albert
1 - Pour une étude plus substantielle, reportez-vous à l’article Une petite tour et puis s’en vont… de René Guyon dans le dossier n° 5 de Garrigues et sentiers, “Citoyens et chrétiens”.