Nos sociétés ne manquent pas de morale...
... mais de spiritualité
Lors du 150e anniversaire de l’inauguration de la basilique Saint Clotilde à Paris, un débat fut organisé entre le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon et Luc Ferry, philosophe, ancien ministre de l’éducation nationale sur le thème : Quel devenir pour le Christianisme ? 1. Cet échange apporte des éclairages intéressants sur la crise que traversent actuellement les Églises.
En bon philosophe, Luc Ferry s’emploie d’abord à dissocier la notion de morale de celle de spiritualité. « Contrairement à ce que l’on lit ou entend un peu partout, nos sociétés ne manquent nullement de morale ; elles en sont, au contraire, remplies ad nauseam. Pas un jour qui se passe sans qu’un nouveau débat éthique envahisse le débat public. (…) En revanche, nos sociétés sont totalement dépourvues de spiritualité – ce qui est une tout autre affaire que la morale »2. Pour lui, la morale traite « du respect de l’autre et de la bienfaisance », tandis que la spiritualité affronte « les questions de la mort, de l’amour, du deuil de l’être aimé, de la vieillesse, de l’ennui, de la banalité du quotidien, etc. »3.
Se définissant comme un « chercheur d’une spiritualité laïque », Luc Ferry dénonce les deux tendances lourdes par rapport à notre héritage spirituel. La première est celle de la déconstruction de toutes les valeurs traditionnelles qui, sous l’apparence sympathique d’une bohème soixante-huitarde, n’est en fait que le fruit d’un capitalisme débridé tendant à tout réduire à la consommation individuelle marchandisée. Mais, continue le philosophe, et c’est sa deuxième « tendance lourde », l’individualisme promu par le capitalisme libéral a eu pour effet d’inventer « le mariage d’amour », c’est-à-dire la séparation de la vie affective et familiale d’avec les intérêts socio-économiques de son milieu ou de son clan. Et, pour le philosophe, il y a là comme une résurrection de la valeur fondamentale du Christianisme, l’amour4.
Pour le cardinal Barbarin, « le fond de la vie de l’Église n’a jamais reposé sur la quantité mais sur la grâce », ce qui lui fait dire : « Le christianisme va-t-il bien ou mal en France, aujourd’hui ? En fait je n’en sais rien. Qui suis-je pour en juger ? De plus, ce n’est pas mon problème »5. Pour lui, le christianisme n’est pas un avoir que l’on aurait perdu ; il est toujours devant nous, À ses yeux, il ne s’agit pas de défendre une forteresse assiégée mais d’accueillir et d’annoncer la « bonne nouvelle » de l’amour inconditionnel de Dieu. Prenant ses distances avec le mythe de sociétés qui auraient été chrétiennes, il écrit : « À aucune époque il n’y a eu de situation de chrétienté ; le christianisme tranquille n’existe pas. Celui qui prend sa situation de chrétien au sérieux dérange tout le monde »6.
On comprend alors que le Cardinal nous dise que son rêve ne soit pas d’abord d’améliorer les statistiques de son Église. « Je rêve personnellement de partir avec des Juifs et des Musulmans en un pays d’Afrique pour ouvrir un centre de soins du sida, de la lèpre ou de toute autre maladie qui fait des ravages. Ce jour-là, on verra que pour tous ceux qui ont donné leur vie à Dieu l’unique but est que son amour de Père atteigne le cœur de ses enfants »7. Et il conclut ainsi : « Ce n’est pas nous qui allons restaurer le monde, et l’Église n’est pas une entreprise à organiser ou dont il suffirait de bien planifier le travail pour qu’elle prospère. Nous sommes, vous êtes des pierres entre les mains du Christ, et lui c’est l’architecte. C’est la raison pour laquelle je ne suis inquiet de rien »8.
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 19 juin 09
1 - Philippe Barbarin, Luc Ferry : Quel devenir pour le Christianisme ? Éditions Salvator, 2009, 126 pages, 12 euros.
2 - Pages 23-26
3 - Page 29
4 - Page 52
5 - Page 69
6 - Page 76
7 - Page 107
8 - Page 124