La place de l’enfant dans la (sainte) famille

Publié le par Garrigues

La contemplation de la "sainte famille", lors de son pèlerinage à Jérusalem pour la fête de Pâques (Luc 2,41-52), permet de mieux saisir certains changements profonds qui ont pu s’effectuer depuis ce temps dans les relations entre les membres d’un groupe familial et entre adultes et enfants (ou, ici, “pré-ado”, comme on dirait aujourd’hui). Soit cet épisode de Jésus demeuré au Temple parmi les docteurs, tandis que ses parents retournaient à Nazareth (Luc 2,39).

Lors de ce déplacement de plus de 100 kilomètres, suffisamment important pour qu’il s’effectue en "caravane", Marie et Joseph, pourtant attentifs à tout ce que faisait leur fils ("Marie gardait tout cela en son cœur "), ont attendu une journée entière avant de s'inquiéter de la disparition de leur fils unique. C’est la preuve qu'ils pensaient l’enfant en sécurité dans la communauté de leurs "compagnons de route". Or cet enfant de 12 ans – c’est à dire n’ayant pas atteint la majorité légale, qui est pour un garçon juif de 13 ans et un jour – n’a pas suivi le groupe ; il est resté à Jérusalem, dans le Temple. Confiants, ses parents ne s’étaient donc pas assurés qu'il était bien parti avec eux.

Ils ne le retrouvent qu'au bout de trois jours. Même si l'on soustrait les deux jours du voyage aller-retour, ils ont passé une journée entière avant de le rencontrer. Ils ne l'ont donc pas cherché d'abord au Temple, où ils s’étaient rendus eux-mêmes, avec lui, pour leurs actes de dévotion ; et ils n’ont pas pensé qu’il pouvait y être resté pour s’occuper des "affaires de son Père ". Ainsi, cette idée n’était pas encore une évidence pour eux. D’ailleurs, en le voyant, “ils furent saisis d’étonnement” et ils ne comprirent pas ce que Jésus disait de sa “mission” (Luc 2,50). Pourtant, d’après saint Luc, ils étaient depuis longtemps dans l’admiration des choses qu’on disait de lui (Luc 2,33). Et Siméon et Anne avaient prophétisé sur l’enfant dès l’aurore de sa vie. Siméon avait annoncé les contradictions qu’il provoquerait et la douleur de Marie…

Dans le Temple, que Jésus devait connaître puisque Joseph et Marie y venaient “chaque année” (Luc 2,41), il s'entretient avec les “docteurs”, c’est-à-dire avec les interprètes patentés de la loi. L’enfant sait les écouter avant de les interroger (Luc 2,46-47). Y aurait-il aujourd'hui beaucoup de théologiens ou d’évêques qui accepteraient non seulement de discuter, mais de “dogmatiser” avec un enfant, et apparemment d'égal à égal, puisque les docteurs juifs posent à ce “jeune” des questions probablement difficiles, et qu’ils admirent la pertinence de ses réponses ?

Et voilà que, malgré sa précocité1, l'enfant "surdoué" rentre sagement avec ses parents à Nazareth, "il leur était soumis ". Sûrement pas par crainte, car tout le récit prouve que Marie et Joseph respectaient la liberté de l’enfant : la “remontrance” de Marie est minimale et ne traduit que la crainte que son cœur de mère a éprouvée. Remarquons que le culte des Sept-Douleurs de la Vierge, qui s’est développé depuis de XIIIe siècle, a placé en troisième l’affaire du Temple. Jésus obéit-il par simple amour filial ? Par humilité (l’Incarnation était déjà un bel exemple d’“abaissement” volontaire) ? Par désir d’attendre son “heure”, comme il le fera plus tard à Cana, hésitant à se découvrir prématurément ? Cet “enfant” connaissait-il déjà totalement son “à venir” comme on l’a longtemps prétendu ? De nombreux théologiens ne croient plus, aujourd’hui, à une préscience de Jésus sur son destin, dès sa plus tendre enfance, mais plutôt à une prise de conscience progressive de sa filiation divine. Il est bien dit, après l’épisode du Temple : «il croissait en sagesse, en stature et en grâce, devant Dieu …»

Albert OLIVIER

1 - Il faut rappeler, pour ne pas commettre d’anachronisme sur cette précocité que jusqu’à la découverte de l’enfance comme d’une période de vie à part, de fragilité et de formation (XVIIIe-XIXe s.), la jeunesse n’interdisait pas la prise d’initiatives vitales. Un ado partait souvent “faire sa vie” dès 14-15 ans ; les généraux de la Révolution et de l’Empire étaient souvent de tout jeunes hommes, etc.

Publié dans Réflexions en chemin

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