L’Europe que nous voulons est l’Europe de la Pentecôte
La plupart des instituts de sondages prédisent une abstention record aux prochaines élections européennes. Beaucoup d’observateurs mettent en cause le caractère bureaucratique et élitiste d’une Europe aux mains de technocrates et de groupes de pression divers. Certes, les institutions européennes sont critiquables. Mais, dans ce flot de récriminations contre l’Europe, il y a aussi, et peut être surtout, une paresse politique et citoyenne. Loin de nous sentir concernés par la plus formidable aventure politique de notre époque, nous nous contentons trop souvent de réduire l’Union Européenne à ses subventions.
Il est indéniable que redistribuer les richesses est un des rôles majeurs des institutions politiques. Mais cette redistribution ne prend sens qu’à travers le sentiment du partage d’une communauté de vie et de destin porté jusqu’ici par les États-nations. Or il nous est demandé aujourd’hui une chose difficile, celle d’élargir ce besoin d’appartenance et de solidarité. Faire cela n’est pas le résultat d’un calcul d’experts ou de la foire d’empoigne de politiques se servant de l’Europe pour régler des querelles au niveau de leurs nations respectives. C’est d’abord le fruit d’une évolution des consciences des citoyens.
Jeremy Rifkin analyse ainsi ce « défi européen » qu’il voit peu à peu se substituer au « rêve américain ». Il s’agit, écrit-il, de « définir le nouveau lien qui pourrait inciter les hommes à transcender leurs loyautés traditionnelles et à faire du rêve européen un rêve universel viable. Pour dire les choses simplement, bien que la tâche ne soit pas facile, il faudrait que nous soyons prêts à renoncer à notre attachement aux droits et aux obligations de propriété enracinés dans le territoire, pour laisser place à des droits et obligations humains universels, fondés sur la cohabitation sur une planète qui appartient à tous »1.
À la fin de ses Mémoires où il raconte l’odyssée de la construction européenne dont il a été un acteur éminent, Jean Monnet affirme que, pour lui, l’aventure européenne n’est pas une fin en soi, mais, écrit-il, « une étape vers les formes d’organisation du monde de demain »2. Cette citoyenneté mondiale ne peut résulter que d’une ouverture plus grande des consciences. Tâche politique, mais d’abord spirituelle. C’est le sens de l’événement de la Pentecôte comme le rappelle l’éditorial du dernier numéro de l’hebdomadaire protestant Réforme :
« Les élections ont lieu le dimanche qui suit la Pentecôte. Le rapprochement entre les deux dates peut susciter une résonance. Le message de la Pentecôte repose sur une articulation particulière entre le respect de la singularité de chacun et le don d’une parole commune qui ne passe pas par la suppression des langues particulières. (…) Depuis la Pentecôte, l’uniformité est un péché contre l’Esprit saint. L’Europe que nous voulons est l’Europe de la Pentecôte, de la diversité des langues et des peuples, de la rencontre des cultures, du dialogue entre les systèmes de pensée. Le défi de sa construction est spirituel dans la mesure où chacun est invité à ne pas prendre toute la place pour laisser de l’espace à l’autre dans sa différence. »3
Bernard Ginisty)
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire les 29 et 30 mai 2009
1 - Jeremy RIFKIN : Le rêve européen ou comment l’Europe se substitue peu à peu à l’Amérique dans notre imaginaire. Éditions Fayard 2005 page 343. Jeremy Rifkin est Président de la Foundation on Economic Trends à Washington.
2 - « Nous ne pouvons nous arrêter quand autour de nous le monde entier est en mouvement. Ai-je assez fait comprendre que la Communauté que nous avons créée n’a pas sa fin en elle-même ? Elle est un processus de transformation qui continue celui dont nos formes de vie nationale sont issues. (…) Les nations souveraines du passé ne sont plus le cadre où peuvent se résoudre les problèmes du présent. Et la Communauté elle-même n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain » Jean MONNET, Mémoires, tome 2, Éditions Le livre de poche, n°5183, page 794.
3 - Hebdomadaire Réforme, Éditorial du 28 mai 2009