Éditorial
Garrigues & Sentiers on the Net
Dossier n° 11
Oh ! « une femme pilote de ligne » ! Tiens ! « une femme ministre de l’économie d’un pays » !… Aurait-on dit : « tiens, un homme pilote » ? : ces étonnements médiatiques sont révélateurs d’une misogynie latente persistante, plus dangereuse peut-être – parce qu’ordinaire et généralement inconsciente – que des pamphlets virulents, comme a pu en produire la “Querelle des dames”, aux XVIe-XVIIe siècles, plus choquante que les gauloiseries de tel livre ou de tel film, immédiatement décelables et donc faciles à récuser. Les femmes ne sont-elles pas des Humains (homo en latin) comme les autres ?
Une évidence quant à leur place dans la société : si la législation a progressé dans le sens d’une plus grande égalité entre les femmes et les hommes, il subsiste dans les esprits un fort préjugé sur l’infériorité du “sexe faible”. Tout se passe, depuis longtemps et sans que cela soit généralement dit explicitement, comme si LA femme était d’une autre nature que l’homme-mâle, considéré, lui, comme l’archétype de l’espèce. Sa “faiblesse”, son “instabilité” affirmées ont semblé justifier, dans la plupart des civilisations, la soumission de la femme, et la répartition hiérarchisée des rôles dans la société. «Il faut bien que ce partage [des fonctions entre hommes et femmes] soit fondé dans la nature, puisqu’il est le même dans tous les temps et dans tous les pays », constatait Charles Rollin († 1741), pédagogue pourtant plutôt intelligent et généreux puisqu’il est favorable à l’éducation des filles, ce qui n’était pas alors si courant.
Il est apparu à l’équipe de rédaction de G&S qu’il ne serait peut-être pas inutile de faire un numéro sur les Femmes aujourd’hui, la réalité économique, sociale, culturelle,… de leur destinée. L’un de nous rappelait que : « Beaucoup “en bavent”, quoi qu’en dise le discours masculin, qui fragmente toujours cette réalité féminine (les droits, la maternité, la sexualité, l’approche victimaire, etc.), mais ne propose jamais une analyse historico-critique globale, l’évolution du mouvement féministe et sa récupération-neutralisation par l’humanitaire, la représentation patriarcale persistante dans les rapports sociaux, institutionnels, les hiérarchies salariales, etc. » Sans doute n’avons-nous pas réalisé idéalement ce projet, mais les textes qui suivent – et ceux qui devraient les compléter – voudraient contribuer modestement à cette analyse, qui pourra se poursuivre avec la participation de nos lectrices et lecteurs.
L’histoire a longtemps méconnu l’existence et les droits de la moitié de l’humanité. Marcel BERNOS, dans un très bref survol, Femmes et hommes : une longue histoire, en rappelle quelques jalons. Divers mouvements, organisés ou non, ont annoncé la “révolution culturelle” qu’ont provoquée les diverses tendances du féminisme, qui ont su mettre en évidence les carences du statut des femmes et les injustices qui leur sont faites, comme l’analyse Yvonne Knibiehler dans L’archéologie du féminisme et Les mouvements féministes.
Le féminisme, outre les mouvements qui ont joué un rôle initiateur, reste toujours une prise en charge des problèmes propres aux femmes et un combat de femmes, et parfois d’hommes, pour les résoudre, comme le rappelle Renée Aillaud dans Tant que les femmes ne seront pas libres… Ce témoignage auquel est annexée la Charte mondiale des femmes pour l’humanité atteste que le féminisme peut étendre son espérance jusqu'à désirer changer totalement le sort du monde… qui en a bien besoin. Ce peut être aussi un “point de vue” résolument féminin qui permet d’appréhender des questions intellectuelles ou spirituelles autrement que sous l’angle masculin, considéré habituellement comme “normal”. Cette vision renouvelée est forcément enrichissante. Il en est ainsi de l’œuvre d’Élisabeth Parmentier, Les Filles prodigues, qu’analyse Nathalie Gadéa.
Partie des pays anglo-saxons, l’étude du “genre” a rendu plus claire la discrimination maintenue entre les femmes et les hommes, qui ne relève pas seulement des réalités “naturelles” (vraies ou supposées) du sexe biologique, mais est une construction sociale et culturelle. Elle peut se cumuler contre les femmes avec d’autres discriminations ; leur confrontation permet de mieux les comprendre. C’est ce que fait Béatrice Borghino dans Le genre et les autres rapports sociaux inégaux.
Soit que la femme reste cantonnée à la maison (le principe des 3 K : Kinder, Küche, Kirche ne s’applique pas qu’à l’Allemagne de Guillaume II ou d’Hitler ; on pourrait en trouver des prémisses chez Xénophon), soit qu’elle participe activement à la production et pas seulement comme une aide discrète de l’homme, son travail compte pour l’économie des familles et des nations. Mais il est toujours entaché d’inégalités, selon Anne-Marie Daune-Richard dans Femmes, travail : quels enjeux ? et, autrement dit, selon Angelo Gianfrancesco dans Précarité des femmes : moteur de l’économie !
On remarquera les convergences entre les deux articles précédents à propos des conséquences du travail féminin à temps partiel, et celles qu'il y a entre les articles de B. Borghino et d'A. Gianfrancesco pour l’effet des discriminations.
Un domaine privilégié de controverses, c’est la place, jusqu’ici minorée, des femmes dans les religions monothéistes. Avec Clémence Cursol et Moi, Ève, nous apportons le témoignage de la première des femmes. Déjà, le statut des femmes dans le monde juif était débattu. Et si on ne peut extrapoler une attitude moyenne à partir des cas si particuliers des quatre “Matriarches” : Sarah, Rébecca, Rachel et Léa, on éliminera, grâce à elles, quelques idées reçues (René Guyon : Les Matriarches, ou la force tranquille). Plus tard, la situation des femmes en Islam semble défavorisée (héritage, témoignage, etc.), quoiqu’elle marque un progrès par rapport à celle de la période “pré-islamique”. Sacrément femmes !, le point de vue de Monique Bondolfi-Masraff sur une vision féminine de la foi chrétienne donne à penser.
L’attitude de l’Église romaine est la plus souvent critiquée, surtout depuis que la société civile a officiellement abandonné, sous nos climats, une misogynie jadis commune. Certes, on sait maintenant que le prétendu débat du second concile de Mâcon (585) pour savoir si les femmes avaient une âme est une pure légende, née probablement au XVIe siècle et bâtie sur un malentendu philologique rapporté par Grégoire de Tours. Relayée par Pierre Bayle en 1697, elle est toujours utilisée par les pamphlétaires anticatholiques. Cependant, il apparaît encore, à l’occasion, que, par préjugé traditionnel ou manque de réflexion dans leurs cercles d’hommes sur cette question, des clercs demeurent sinon vraiment misogynes, du moins méfiants vis-à-vis des femmes1.
Des revendications s’expriment afin que des femmes puissent être ordonnées prêtres dans l’Église catholique apostolique et romaine. Elles ne manquent pas d’arguments. Ainsi, si Jésus n’a pas “appelé” de femmes parmi les apôtres, encore que le cas de Marie-Madeleine ait pu être réexaminé en ce sens2, il n’y a pas non plus appelé de non-juifs… ; et si la “pratique” de l’Église n’a effectivement jamais accordé le sacerdoce aux femmes, il ne semble pas y avoir – d’après d’éminents théologiens tels qu’Yves Congar ou Joseph Moingt – d’obstacles théologiques majeurs pour l’empêcher.
Nous abordons rapidement, avec Philippe Louveau, la question :
Femmes-prêtres : un dossier clos pour Rome ?, qui mériterait à elle seule un dossier. On peut se demander, pourtant, si dans l’état actuel du fonctionnement de l’Église romaine, et des problèmes que pose l’exercice du
sacerdoce, les femmes gagneraient réellement en efficacité et en “dignité” (Cf. Jean-Paul II, Mulieris dignitatem, 1988) à cette “promotion”. « Oui, l’Église Catholique est misogyne, mais nous y
restons ! », témoigne l’Atelier-femmes d’Évreux 13
Marseille.
Avec une argumentation serrée, Odette Debrenne reprend, dans Thérèse Martin : une contestataire inattendue, la question de la place de la femme dans l’Église. Elle se réfère au témoignage de Thérèse de Lisieux. Or cette jeune femme pieuse, obéissante, sainte incontestablement catholique, sentait en elle d’autres “vocations” que les rôles traditionnels dévolus aux femmes. Sans doute n’était-elle pas “féministe” au sens parfois agressif que ce terme a pu avoir dans les années 70, mais ce qu’elle dit montre une prise de conscience d’autres potentialités que Dieu mettait en elle —”simple femme”— et que l’Église-institution ne reconnaissait pas.
Incomplet, assurément, mais perfectible, ce dossier devrait susciter – nous l’espérons – autant de réactions et aussi vives que le précédent, Entre Esprit et institution : l’Église.
1 - Sur les nuances nécessaires dans ce débat, on peut consulter Marcel BERNOS, Femmes et Gens d’Église dans la France classique XVIIe-XVIIIe siècle, Cerf, 2003.
2 - Cf. Élisabeth. SCHUSSLER-FIORENZA, En mémoire d'elle, Paris, Le Cerf, 1986