Sacrément Femmes !

Publié le par Garrigues

Au commencement Dieu dit… et il fit.

Ainsi commence notre saga humaine, qui relate symboliquement la création du monde et des vivants.

Puis tout à coup apparaît une rupture syntaxique (Genèse 1,26) Dieu dit : faisONS l’humain, masculin et féminin, à notre image et ressemblance.

Le couple n’est pas à l’image d’un JE – peu importe qu’il soit masculin ou féminin – mais d’un NOUS, pluriel. Nuance essentielle, pour nous situer !

En effet deux écueils nous guettent en tant que femmes :

1 - Identifier Dieu au masculin – masculin patriarcal, longtemps subi – avec toutes les perversités que cela implique ; aujourd’hui le plus souvent rejeté…

2 - Recourir à des images purement féminines de la transcendance – culte de la déesse-mère, retour aux divinités féminines, formes de notre inconscient.

Un Dieu en « nous » – faisONS : comment le comprendre ? Quand les chrétiens prient, ils se retrouvent tous autour d’une prière commune, le Notre Père. Or, que nous dit Jésus dans cette prière ? Que celui auquel il se réfère n’est pas un chef ou un gourou, mais un père, en araméen abba, papa. Entendez : quelqu’un qui a besoin de l’autre pour être – on n’est pas père sans des enfants… – quelqu’un dont le nom n’est pas chef, solitaire, mais papa, en relation, solidaire.

Ainsi, si l’on creuse le sens de cette bonne nouvelle dont Jésus est le cœur, ce qu’elle nous révèle c’est un visage totalement neuf de Dieu : non pas le Dieu qui commande et juge, mais le Dieu qui donne. Un Dieu donné qu’on pressent bien déjà à travers les alliances répétées dont témoignent les textes bibliques, d’Abraham à Jacob et Moïse. Et qu’on découvre radicalement quand, comme le croient les chrétiens, Il épouse la condition humaine en son fils Jésus.

Un Dieu qui est Vie, toujours en croissance à travers sa création, dont l’homme et la femme sont les jardiniers majeurs. Rappelons que dans la suite du récit de la création, après que Dieu a dit : faisons l’homme et la femme à notre image et selon ressemblance, le texte continue : Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. Dieu crée à son image, sans que la ressemblance soit reprécisée. Il ne crée pas des clones de Dieu, mais des êtres propres ; outillés pour devenir, à leur tour, créateurs.

Au reste, tous les textes du Premier Testament nous présentent un Dieu à visages variés : tantôt « masculin » – Dieu des armées – tantôt  « féminin » chez Osée, qui parle du sein maternel de Dieu. Un pluralisme qui dit en relief ce qu’affirme en creux le refus de prononcer le nom de Dieu – le tétragramme sacré – dans la tradition juive. Dieu excède nos images, parce qu’il est l’un et l’autre, puissance de vie au-delà de toutes nos séparations.

Dieu de la relation, avec toutes et tous. Et, en fils totalement relié à son Père, Jésus ne cesse de vivre cette relation. En particulier avec des étrangers, des enfants, des malades, et des femmes. Regardez combien de femmes l’entourent, au grand scandale d’ailleurs de ses disciples et de ses amis : des femmes qui, de surcroît, sont souvent des étrangères ou des femmes mises à part, telles la Syro-Phénicienne et la Samaritaine.

Femmes qu’il écoute, qu’il guérit, voire dont il reçoit les dons. Don de l’eau de la Samaritaine, don des parfums de Marie-Madeleine.

Bref le Dieu de la Tradition chrétienne est un Dieu profondément relationnel.

Loin de s’imposer comme un Puissant impassible il se révèle pauvre. D’une pauvreté qui n’est pas faiblesse, mais amour, surabondance. Il n’est pas en étant impassible, mais en donnant (cf. son nom au buisson ardent, en Exode 3, : je suis qui je serai…), mieux, en SE donnant. En donnant Son être même (cf. Paul, Épître aux Philippiens : Lui qui n’a pas épargné son propre fils mais l’a livré pour nous tous).

Le Père s’abandonne, se livre en son Fils, de la même façon que le Fils s’est abandonné filialement sur la croix. Une croix qui n’est pas le dernier mot, tragique, d’une humanité livrée à elle-même, mais le chemin, dramatique, vers la Résurrection.

En d’autres termes, majeurs pour nous, l’alliance implique toujours la dépossession, conduit à se faire pauvre pour rejoindre l’autre. C’est tout le message des Béatitudes, bienheureux les pauvres, ceux qui pleurent, ceux qui souffrent (Matthieu 5)…

Ainsi les termes s’inversent, l’ultime mystère de Dieu ne se trouve ni dans sa force – dieux masculins – ni dans sa fécondité – déesses – mais dans sa pauvreté ; entendez : cette confiance sans fin dans l’homme, nonobstant ses limites – qui ouvre la brèche insondable de la liberté : cf. Saint Paul : Il n’y a plus ni Juif ni grec, ni homme libre ni esclave, ni homme ni femme.

C’est à ces messages de base qu’il faut revenir pour lutter, hier comme aujourd’hui, contre toutes les formes de machisme ordinaire et extraordinaire. Ce renversement ne peut que fonder d’autres pratiques.

Nos alliances tant humaines que divines ne passent :

- ni par l’écrasement de l’un des deux, machisme contre féminisme exacerbé, sacré contre profane ;

- ni par la fusion ou l’indifférenciation : l’un EST l’autre ;

- ni par la juxtaposition de deux individualismes : le couple contemporain, trop souvent…

… mais par la reconnaissance à la fois lucide et émerveillée de la richesse de l’autre, partant de nos limites, par la volonté de créer un réel échange partenarial.

Ce qui implique également une autre façon de concevoir le sacré : non pas comme un donné, cultuel, face auquel la femme s’aplatirait. Mais comme un à faire, culturel, pour donner souffle et sens à nos relations, pour être des signes de vie, sanctifier (cf. Je suis Celui qui serai) et se mettre debout.

Le Dieu de la relation – les chrétiens l’appellent le Dieu trinitaire, celui qui ne cesse de nous envoyer son souffle – nous incite à sortir de la volonté de séparation – du di-abolos – pour entrer dans la culture du sym-bole, qui unit sans confusion.

Culture de la distance, face à la voracité suggérée par le serpent biblique.

Culture du lien et non de l’individualisme

Culture de la vie et non du pouvoir possessif, ce qui va bien au-delà de l’enfantement, qui est certes la forme la plus naturelle de vie, mais de loin pas la seule.

Culture du courage, dont font preuve tant de femmes au cœur de la guerre, de la misère, de l’horreur, pour aller de l’avant, voire pardonner.

Culture d’un service qui ne soit jamais servile, dans les pas de ce Dieu de don dans l’abandon et le pardon…

Monique Bondolfi-Masraff
Article d’après une conférence à l’Agenda des Femmes
Genève, 15 novembre 2007

Publié dans DOSSIER LA FEMME

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