La Crise Financière 2007-200? (seconde partie)
Deux causes essentielles à la crise
1 - L'inégalité économique
Déjà il y a plus de 25 siècles, Platon prévenait les Athéniens :
« Il ne faut pas que certains citoyens souffrent de la pauvreté, tandis que d’autres sont riches, parce que ces deux états sont causes de dissensions. »
Les profondes réflexions initiées par la guerre de 39/45, la crainte de la contagion communiste, ont amené les responsables politiques et économiques des deux bords de l'Atlantique à mettre au point de nouveaux systèmes économiques, le "fordisme" aux USA (nouvelle sagesse des patrons, puissance des syndicats), l'économie sociale de marché en Europe continentale (régulation par l'État, le Plan, les syndicats, les grandes banques).
Du coup, l'indice de Gini (mesure de répartition du revenu entre les individus ou les ménages d’un pays, c'est un nombre variant de 0 à 1, où 0 signifie l'égalité parfaite, tout le monde a le même revenu et 1 signifie l'inégalité totale, une personne a tout le revenu, les autres n'ont rien. Il a été mis à l'honneur par le PNUD, Programme des Nations Unies pour le Développement, lorsqu'il dresse tous les ans son Indice du Développement Humain à travers le monde) l'indice de Gini, donc, a eu tendance, dans tous les pays occidentaux, à baisser sensiblement jusqu'en 1975 (aux USA, venant de 0.38 en 1947, il atteint 0.34 en 1975, alors qu'en France, venant de 0.322, il arrive à 0.296 en 1975). Mais dès 1975, la prégnance communiste est moins forte, elle le sera encore moins après 1989, le néo-libéralisme commence ses ravages, et l'indice repart dans les hauteurs pour atteindre, aux USA, 0.464 en 2006 alors qu'en France sa croissance est moindre mais il atteint tout de même 0.383 (il est significatif qu'il avait quelque peu baissé de 0.370 en 1997 à 0.365 en 2002 - gouvernement Jospin - pour repartir en flèche jusqu'à 0.383 en 2006).
Cette hausse de l'indice de Gini traduit non seulement la fin de "l'ascenseur social" d'après guerre, mais bien ce qui a été, en fait, une dégradation du revenu des classes basses et moyennes. Pour maintenir l'économie en état de croissance, dogme sacro-saint du néo-libéralisme dominant en Occident à partir du milieu des années 70, s'est alors mise en place à l'instigation d'Alan Greenspan, conseiller économique de R. Reagan, puis président de la FED (Banque Fédérale Américaine) à partir de 1987, une politique d'argent bon marché, particulièrement à moyen et long terme, et de grand laxisme monétaire. Il fallait remplacer l'absence de croissance, ou la diminution, des revenus salariaux par la facilité d'emprunt pour maintenir et accroître la capacité de consommer des ménages américains.
Et c'est la course folle, la multiplication des bulles, internet, voiture… pour finir par le logement, clé de voûte du système, avec une spéculation débridée ! Le Trésor US s'engage pour des centaines de milliards de $ en faveur des organismes semi-publics (devenus totalement publics), Fanny Mae et Freddy Mac, qui garantissent les crédits hypothécaires accordés à tout va par les banques et finalement par n'importe quel courtier qui "refile" ses crédits. Peu importe la quotité de crédit, plus c'est risqué, plus ça rapporte, ce sont les subprimes, à taux variable qui plus est ! Et en plus, on les met sur le marché, on les mixe pour faire perdre leur trace, on les place chez les banques, dans les fonds de pension, dans les compagnies d'Assurances (l'assureur AIG, plus grand assureur mondial, au bord de la faillite, y perdrait de 150 à 200 milliards de $). Et la contagion gagne l'Europe, Grande Bretagne, Espagne, Islande, et même, dans une moindre mesure heureusement, l'Europe continentale.
Pour maintenir et développer la consommation, les grandes surfaces distribuent des cartes de crédit à n'importe qui (à des taux presque usuraires, il faut tenir compte du coefficient de risque !), il faut bien soutenir le marché… Que de dégâts quand ces crédits ne seront pas honorés, ça ne va pas tarder ! Et ne parlons pas des organismes de crédit auto, filiales des grands constructeurs, la boucle est bouclée.
Et, en plus, on camoufle, on essaye de rendre supportable cette inégalité économique croissante par le nouveau concept de la "diversité", qu'enfourchent résolument les néolibéraux de droite … ou de gauche. Plutôt que de se battre sur l'inégalité des revenus, on dépense des torrents d'énergie sur la question du voile à l'école ou l'accès des gamins des banlieues à Sciences-Po. Quant aux Américains, si la question de la diversité est devenue la question majeure magnifiée par l'élection d'Obama, surtout qu'on ne parle pas de l'inégalité des revenus pire que jamais… L'objectif officiel, politique, médiatique, n'étant pas de remettre en cause si peu que ce soit, aux USA, ou en France d'ailleurs, le statut des élites, mais de les rendre plus noires, plus multiculturelles, plus féminines – le rêve américain.
Tant que l'Occident, toutes économies confondues, n'aura pas compris que l'inégalité économique est son principal problème, que c'est de là que la crise a démarré, tout recommencera à la première occasion, dès la première bulle reconstituée.
Et ce n'est pas une question de moralité ou d'immoralité, de cupidité ou d'aveuglement. Le système est fondé sur la consommation croissante et, malheureusement, je ne vois pas pointer, à part quelques utopistes très sympathiques, l'amorce d'une politique de décroissance, si ce n'est même de "croissance durable". Je ne suis donc pas optimiste…
Tant que les États n'auront pas compris qu'il est de leur survie d'États démocratiques de mettre en place de nouveaux contre-pouvoirs, qu'ils soient sociaux ou règlementaires (il ne faut pas compter sur l'Économie pour le faire, on l'a bien vu avec le néo-libéralisme), nous verrons se renouveler les crises avec une ampleur croissante, les mouvements sociaux de plus en plus violents se développer (ce qui vient de se passer aux Antilles est significatif), les guerres finiront par prendre le relais avec les conséquences dramatiques que nous connaissons. Je sais bien qu'on ne gouverne pas le regard sur le rétroviseur, mais nos politiques oublieraient-ils comment s'est terminée la crise de 1929 ?
2 - La question des retraites
Jusqu'aux années 60, la question était bien rodée. Que les retraites soient payées par répartition paritaire, par les entreprises, ou des fonds de capitalisation collectifs, grosso modo un salarié passait une quarantaine d'années au travail, au moins, et une dizaine d'années en retraite, au plus. Les caisses de retraite s'étaient équilibrées.
Tout s'est déréglé sous le triple coup de boutoir de l'allongement sensible et croissant de l'espérance de vie, de la pression sociale pour faire diminuer la durée du travail et du chômage croissant, particulièrement des travailleurs les plus âgés.
Et pourtant, le problème était apparemment très simple, de l'ordre de celui de la baignoire qui se remplit et se vide et que chacun de nous a appris à l'école élémentaire. Mais il fallait trouver plus sophistiqué et, surtout, peu douloureux !
Pour ceux, les moins nombreux (comme en France), qui connaissaient le système par répartition, une solution, provisoire, a été trouvée par l'allongement progressif de la durée du travail, par l'augmentation des cotisations et, même, en partie, par la fiscalisation des déficits… Mais nous savons bien que le problème n'est pas réglé et qu'il faudra y revenir en mettant toutes les parties concernées autour de la table.
Mais pour les pays gérant leurs retraites par des fonds de capitalisation interentreprises ou des fonds de pension, il fallait bien trouver une solution, la moins douloureuse, la moins onéreuse possible : les gestionnaires ont cru la trouver en améliorant la rentabilité (revenus ou plus-values) de leurs fonds de réserve. Leurs calculs, convergents, leur ont montré que l'optimum (et le minimum) tournait autour de 15%. Et en avant donc pour une exigence à 15%, alors même que la croissance tournait autour de 2½ %, la productivité guère plus. D'autant que cette exigence a fait tache d'huile chez tous les investisseurs, facilitée par l'importance croissante des fonds de pension devenus actionnaires de référence.
Impossible, pourtant, dans des conditions normales, de dégager des rendements de 15%. Qu'à cela ne tienne, on va forcer les dirigeants, par tous les moyens, carotte et bâton, à trouver de tels rendements. Et en avant, les liquidations d'actifs sagement mis en réserves pour l'avenir, le rachat de ses propres actions au détriment des investissements productifs (pour soutenir les cours ou diminuer les clés de répartition), la diminution des investissements, notamment de recherches peu rentables dans l'immédiat, les fermetures d'usines insuffisamment rentables, les plans sociaux, les délocalisations, les achats d'entreprises en LBO pour en améliorer la rentabilité (avec un effet de levier toujours croissant et donc de plus en plus risqué), la rentabilité à court terme, toujours, on ne s'occupe plus du long terme.
Et pour exciter les responsables d'entreprises, les "éperonner", on multiplie les avantages pervers, stock-options, bonus s'ils atteignent leurs objectifs, parachutes dorés pour les pousser à prendre le maximum de risques, de toutes façons peu importe l'avenir, le court terme seul importe. Comment s'étonner que dans un tel stress et en cas d'impossibilité à tenir le challenge, les irrégularités commencent, prises de risques insensés, falsifications de bilans, avec la complicité plus ou moins avouée d'audits, fausses annonces, cavalerie, dissimulations dans des paradis fiscaux (le cas d'école ayant été Enron)… Et l'immoralité se généralise !
Le système néolibéral a permis au "capital" de prendre en otage le management des entreprises et au lieu de l'équilibre tripartite capital/management/travail, réalisé après la guerre et source de développement relativement équilibré, la confusion de deux partenaires leur a permis d'exploiter la variable la plus faible, le travail. Et l'on a la cause majeure du problème précédent : l'inégalité économique croissante et explosive à terme. La boucle est bouclée.
Pendant ce temps, les meilleurs esprits inventent des produits de plus en plus sophistiquées pour camoufler ce qui n'est qu'un gigantesque jeu de casino visant à duper le malheureux souscripteur qui permet à la machine de tourner. De jeunes traders, formés à la spéculation, croyant avoir trouvé la "pierre philosophale", ont essayé de nous faire croire que du vent pouvait fabriquer de l'argent. Conditionnés, eux aussi, par des salaires et bonus extravagants, ils ont été les soutiers de cette machine de plus en plus infernale qui ne demandait qu'à exploser…
Quand, en plus toutes les nouvelles techniques d'information et de communication sont là pour accélérer le mouvement dans un certain anonymat, le piège est prêt.
Nous y sommes, il s'est refermé !
3 - Les remèdes
On le comprendra sans peine, je ne suis pas optimiste ! Les responsables de banques en quasi faillite se font encore attribuer des millions de $ ou d'€ de bonus, malgré les rodomontades des dirigeants politiques, les paradis fiscaux ne sont pas près d'être fermés. Le Président du directoire de la Caisse d'Épargne, après avoir mis par orgueil son superbe réseau en quasi faillite se retrouve avec une sinécure dorée, celui des Banques Pop, à peine moins coupable, reste président du nouvel ensemble.
Les Etats continuent à mettre leurs "onguents", par milliards de $, sur des jambes de bois, gangrénées à moitié (si je peux employer cette expression pour une jambe de bois !). Que feront-ils quand leurs planches à billets n'auront même plus d'encre ?
Par contre les "pauvres", aux USA, en GB, et même en France, se retrouvent chômeurs, à la rue, parfois sans plus de retraite ni de couverture sociale et médicale. Combien de temps accepteront-ils cette situation sans réaction brutale ?
Faut-il devenir gauchiste ? Et il faut être bien conscient que si nos responsables politiques, économiques, sociaux, ne prennent pas vraiment la mesure des problèmes et ne s'attaquent pas vraiment à leur cause, tout recommencera, bientôt, et en pire.
Peut-être ne sommes nous pas tombés assez bas !
4 - Une note d'espoir ?
Je suis trop fondamentalement optimiste pour ne pas chercher des pistes d'espérance.
Il faudra bien réorienter les circuits monétaires vers la véritable économie de production. Nous avons la chance de voir cette crise coïncider avec la prise de conscience généralisée de la "finitude" de notre terre et de la nécessité vitale de trouver des énergies de substitution aux énergies fossiles, de mettre en place des outils de production plus économes, de cesser de considérer notre terre, si ce n'est l'espace, comme une poubelle.
Mais combien de responsables politiques arrivent à dépasser les colloques ou autres "Grenelles" ?
A ma connaissance, je ne vois qu'un Président ou plutôt une Présidente de Région qui a lancé un Plan d'Énergie Solaire dans sa Région, avec un investissement de 400 Millions d'€, dont 200 prêtés par la Banque Européenne d'Investissement et 1000 emplois à la clé. Cela veut donc dire que c'est possible !
Tous les fabricants de voitures reconvertissent en urgence leurs chaînes de 4x4 vers les véhicules plus propres si ce n'est électriques. Reverra-t-on repartir les recherches sur le carburant hydrogène abandonné sous la pression du lobby pétrolier ?
Espérons que, les banques renflouées, les circuits financiers productifs arriveront à se reconstituer !!!
Pierre RASTOIN
Ancien Adjoint au Maire de Marseille (Finances)
2 mars 2009
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