Gran Torino
de Clint Eastwood
« Une heureuse surprise : qui aurait pensé que le héros mal rasé… des westerns-spaghetti imaginés par Sergio Leone deviendrait l’un des réalisateurs les plus importants du Nouveau Monde ? », écrivait déjà Jean Tulard dans son Dictionnaire du Cinéma. La surprise continue : non seulement Clint Eastwood est devenu un excellent réalisateur, mais en vieillissant, il ne cesse de s’améliorer : après L’échange, présenté et remarqué à Cannes en 2008, son dernier film, Gran Torino, fait l’unanimité de la critique : « Clint Eastwood signe son film le plus émouvant. Magnifique… Magistral… Une œuvre déchirante ». De fait, tous ces compliments sont mérités, si bien que nous vous conseillons vivement d’aller voir ce film, même si vous n’allez pas souvent au cinéma.
Nous sommes dans une banlieue de Detroit, dans un quartier assez délabré, délaissé par ses anciens habitants. Clint Eastwood y tient avec talent le rôle d’un vieil américain, marqué par la guerre de Corée, toute sa vie ouvrier chez Ford, et qui est le seul à s’accrocher à ce quartier. Autour de lui, des nouveaux venus d’origine étrangère, et des bandes de délinquants. Le film commence par l’enterrement de sa femme : ses enfants sont loin, il reste seul.
En plus de ses qualités de réalisation, soulignées par la critique, le film s’impose à nos yeux pour deux raisons. Ce vieil homme porte avec lui toutes les tares de la culture occidentale : le racisme, l’absence d’hygiène de vie, l’enfermement sur soi-même, la rupture avec toute vie religieuse. On n’est pas loin d’un Bidochon, version américaine, avec en plus une dignité blessée que l’acteur sait donner à son personnage. Et ce sont ses voisins d’origine étrangère, des Hmongs chassés du Viêt-Nam par la guerre, qui peu à peu vont bousculer et transformer sa vie, l’amener à s’intéresser à nouveau aux autres. Comment mieux démontrer qu’il n’y a pas d’existence humaine sans relation, et que ce sont souvent les petits, les laissés pour compte, qui amènent à ouvrir les yeux ? Comment ne pas se souvenir de la parole « Heureux ceux qui ont un esprit de pauvreté, le Royaume des Cieux est pour eux » ?
La deuxième raison est liée à l’évolution du personnage et au thème général du film. Sans vouloir en révéler la fin, on peut dire que ce film est un récit de résurrection, ou de rédemption. Il est rare qu’une dimension explicitement chrétienne soit si clairement présente dans un film. Cela mériterait d’en parler plus longuement, ce que nous avons fait lors d’une soirée-débat à Aix.
Jacques Lefur