La coresponsabilité en Église, on en a parlé !

Publié le par Garrigues

Cet article a été publié (sous un titre un peu différent…) dans la revue diocésaine L’Église aujourd’hui à Marseille, sous la plume de Dominique Paquier-Galliard. Nous la remercions chaleureusement de nous avoir autorisés à le publier.

Il relate les débats du colloque La coresponsabilité en Église, parlons-en !, qui s’est tenu les 16 et 17 janvier à Marseille et dont nous avions « fait la pub » en son temps sur ce blog.

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« Qu'est-ce qu'on a bossé! ». Le cri du cœur de Jean Guyon, animateur du colloque, au terme de la rencontre reflétait bien le sentiment général. Une soirée et une journée de débats avec des « experts », des témoins, des temps de partage, des propositions : les 160 participants n'ont pas chômé.

 

Les Saint-Lucards préparaient le colloque depuis des mois sur un thème choisi « naturellement », car la coresponsabilité est au cœur de la vie de Saint- Luc. La relecture de l'histoire de la communauté avait donné envie à ses membres de partager les fruits de cette pratique.

Un déroulement en quatre temps : d'abord, les éclairages croisés de l'histoire, de la sociologie, de la théologie et de la psychosociologie. Ensuite, des études de cas, avec la présence de communautés vivant la coresponsabilité sur différents modes. Puis des échanges en carrefours et un débat final pour recueillir les échos de ces témoignages.

 

La paroisse, une histoire de dons

Le vendredi soir, Olivier Bobineau, maître de conférences à Sciences Po et à l'Institut catholique de Paris, proposait une réflexion stimulante sur l'institution et le pouvoir, avec un détour par l'histoire pour expliquer l'émergence progressive de la paroisse, « la plus vieille structure politique de l'Occident », et de la figure du curé « gouverneur », puis le démantèlement de cette civilisation paroissiale du fait, notamment, de l'individualisation et de la pluralisation.

Le sociologue a mis en lumière le fonctionnement de la paroisse sur le mode du « pardon, don, abandon » : « don vertical » entre les fidèles et Dieu, « don horizontal » du partage et de la solidarité dans l'engagement paroissial et « don longitudinal » qui est la réception et la transmission de l'héritage de la foi.

Une remarque éclairante: l'Église a résisté contre vents et marées parce qu'elle vit « une tension extrême entre deux pôles opposés : l'agapè (amour), qui a pour figure l'apôtre Jean, et l'institution, véhicule du message, figurée par Pierre ». C'est en « déplaçant le curseur » entre ces deux pôles que l'Église s’est adaptée – ou a résisté – au monde, oscillant entre contrôle et émancipation, repli et innovation...

 

Donnés les uns aux autres

Clôturant cette première soirée, Mgr Pontier (archevêque de Marseille - NDLR) a cité Jean Monnet : « Sans les institutions, les choses meurent ; sans les personnes, elles ne vivent pas », pour reprendre à son compte les deux pôles, qu'il essaie de vivre dans sa mission : « Servir la dimension institutionnelle qui assure la durée, et vivre l'agapè, qui est quelque chose de plus passionnant... ». Il a observé que, dans l'Église, nous sommes tous baptisés et, parmi les baptisés, certains sont ordonnés : « L'ordination ne met pas au-dessus. Prêtres et laïcs, nous sommes donnés les uns aux autres pour faire Église ».

 

Prêtre, prophète et roi

Le P. Alphonse Borras, théologien et canoniste, vicaire général du diocèse de Liège, a rappelé les fondements théologiques : c'est en vertu de leur baptême que tous les fidèles sont coresponsables de la mission de l'Église. Le baptême n'est pas une idée, mais « une action sacramentelle qui nous inscrit dans une filiation et une fraternité ». C'est« un commencement, un devenir chrétien ». Il nous associe à la triple fonction du Christ, « prêtre, prophète et roi », et de l'Église en fonction de nos charismes. Le P. Borras a donné des exemples de la coresponsabilité baptismale dans la vie des communautés : la liturgie, et en particulier « l'action eucharistique qui repose sur le concours de tous les membres du Corps ecclésial », mais aussi les synodes diocésains, les conseils pastoraux et les conseils de paroisses.

Au vu des bouleversements actuels dans le champ paroissial, « la nouvelle gouvernance n'est pas simplement une question de management moderne. Elle est la mise en œuvre d'une ecclésiologie de communion ».

 

La coresponsabilité, un tabou ?

Pour Vincent Hanssens, professeur émérite à l'Université de Louvain, la coresponsabilité en Église n'est pas une revendication, mais une réalité de terrain. Et « elle touche au domaine du sacré, donc du tabou ». Après avoir souligné les deux sens de la responsabilité: la distribution des tâches et leurs modalités d'exécution, le psychosociologue a mis en évidence les résistances au changement – méfiance quant aux compétences, crainte des conflits et de la manipulation – et leur traitement : il faut être au clair, en particulier dans la délégation de pouvoir. « Nous avons tous besoin d'un territoire. Le problème, ce sont les frontières ! ». Cette pratique demande des compétences relationnelles, de l'empathie, la sensibilisation à la dynamique de groupe... et du temps !

 

Un panorama de communautés

Ces paroles d'experts trouvaient un prolongement concret dans les témoignages des communautés. Une palette assez large, reflétant des expériences diverses.

Ainsi, la paroisse Santo Stefano de Paterno, dans le diocèse de Florence, s'est fixé pour objectif de passer d'un fonctionnement « hiérarchique » à un mode de vie fraternel et participatif.

Le Centre pastoral des Halles Beaubourg « cohabite » avec l'église Saint-Merri à Paris. C’est un espace de liberté pour des gens qui se sentent « aux marges », un lieu de recherche sur la liturgie, d'approfondissement de la foi et de solidarité. La proximité du Centre Pompidou a incité le Centre pastoral à s'ouvrir au monde de la culture. Son équipe pastorale est composée de deux prêtres et six laïcs élus par la communauté.

Autre expérience : celle de la Fraternité diocésaine des Parvis, à Lille. Issue du Synode des jeunes, la Fraternité est, depuis 2006, une association publique de fidèles. Elle anime aujourd'hui sept lieux d'Église, avec un modérateur général et plusieurs types d'engagement possibles.

 

Des fonctionnements divers

Quatre communautés marseillaises témoignaient aussi de leur expérience de la coresponsabilité. La paroisse Saint-Pierre-Saint-Paul où les membres de l'équipe d'animation pastorale ont reçu une lettre de mission qui leur donne « charge curiale ».

L'Ensemble pastoral Les Berges de l'Huveaune, créé en 2002 par le regroupement de quatre paroisses, qui réorganise son équipe d'animation pastorale autour de personnes ayant une responsabilité de coordination. L'Escale spirituelle Saint-Ferréol, un projet récent dans un lieu d'accueil et de passage, avec une équipe cooptée et deux responsables, le recteur et une religieuse coordinatrice.

Et enfin la Communauté Saint-Luc, association publique de fidèles depuis 1993, où le conseil de communauté élit son modérateur, qui reçoit une lettre de mission, avec un prêtre accompagnateur nommé par l'évêque.

 

Forces et faiblesses

De la diversité de ces témoignages émergeaient des points forts : autre regard sur la vie en Église, plus grande liberté, créativité, sens des responsabilités.

Mais les problèmes n'ont pas été occultés : difficulté pour réguler la liberté d'expression, risque de voir surgir les conflits, empiétement des responsabilités.

Lors du débat final, des questions sont remontées des carrefours sur la prise en compte de la diversité dans les communautés, le manque de disponibilité des personnes qui pourraient être appelées à exercer des responsabilités, la formation des prêtres et des laïcs, le pouvoir et l'institution, la résistance au changement qui vient souvent des paroissiens eux-mêmes, la difficulté à se renouveler et surtout à toucher les jeunes...

 

Une Église qui grandit

Certes, beaucoup de questions sont restées en suspens, mais, de l'avis des participants, ce colloque a été une réussite. « On a senti un souffle, une liberté de parole et une attache vraie à l'Église, avec une capacité de critique mais pas de ton revendicatif », apprécie Bertrand. Monique, qui était venue « chercher des idées », est ressortie avec la conviction qu'il est indispensable de se former pour vivre sa vocation de baptisé. « Il y avait du sérieux, de la profondeur, de la variété, de l'échange », résume un autre. Pour Dominique Brahier, mocambi de Saint-Luc, ce colloque a été « un temps où l'on a pu voir l'Église grandir, au sens de pousser : la chance d'entendre, de voir la vie qui agrandit une plante de l'intérieur, mais pourtant de manière visible ».

Dominique Paquier-Galliard

Publié dans Signes des temps

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Excellent compte-rendu, qui ne se contente pas de "raconter" ce qui s'est passé, mais en ouvre les perspectives et donne des idées.Il est effectivement temps, pour les "baptisés-confirmés" (et oui, l'Esprit est passé sacramentellement sur nous),   de  faire sentir un souffle, une liberté de parole dans un attachement vrai à l'Église, de manifester une capacité de critique mais sans "suffisance" ni inutile ton revendicatif . 
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