Nous refusons le silence imposé aux pauvres
Tous les pays du monde sont atteints par une crise qui frappe en priorité et de plus en plus durement les centaines de millions d’hommes, de femmes, d’enfants dont les moyens d’existence sont, depuis des dizaines d’années, insuffisants et, pour beaucoup, diminuent encore. Au Nord comme au Sud, autour de chacun de nous en France, cette pauvreté innombrable et multiforme est un scandale face aux richesses produites, aux fortunes étalées et aux moyens scientifiques et techniques qui pourraient permettre un mieux-être mondialisé.
Les médias s’intéressent moins à ces foules démunies qu’aux banques et aux banquiers. Les prises de risque et les malversations des financiers, opérées avec cynisme et conformes le plus souvent à des législations complaisantes, sont présentées comme la cause première de la crise. Or elles n’ont fait que la précipiter. Il faut au contraire rechercher les racines du marasme dans l’amenuisement généralisé et déjà ancien du coût du travail par les délocalisations, l’exploitation forcenée des mains-d’œuvre à bon marché et le développement d’un chômage de masse ; les rechercher aussi dans l’affaiblissement depuis longtemps programmé de la syndicalisation, dans la mise en cause des services publics et des systèmes de protection sociale. On cherche ainsi à en assurer la privatisation et on permet la montée en force des fonds spéculatifs de placement et de pension. La crise est née et elle se nourrit d’un tel système.
La financiarisation a gangrené l’économie dans le monde entier, exigeant une rentabilité de plus en plus rapide à des taux dépassant de très loin ceux que la qualité de la production et la santé des producteurs peuvent normalement supporter. Tous les domaines de l’activité humaine ont été pervertis. La recherche scientifique et médicale, l’éducation, la santé publique, l’information, la création artistique se heurtent aux impératifs financiers comme en témoignent, entre autres, les dérives du marché de l’art. Une idéologie de la rentabilité a été forgée par les tenants du système et les spécialistes du discours à leur service. Elle a été habilement diffusée, opposant l’individualisme et l’égoïsme à la solidarité, aux luttes et solutions collectives. Elle est soutenue et mise en pratique par de nombreux politiciens et gouvernements comme étant la seule valable.
À tous les niveaux, les institutions financières ont restreint les crédits à long terme et à taux bas nécessaires aux investissements productifs et, plus encore, sociaux, ce qui a gravement nui au développement de nombreux pays. Elles ont au contraire développé les crédits à court terme et à taux élevé pour des placements financiers et des consommations immédiatement rentables. L’endettement massif d’accédants à la propriété aux ressources très insuffisantes devait fatalement déboucher sur une catastrophe. Elle a éclaté d’abord aux États-Unis où l’excès est allé le plus loin. Les millions de foyers américains qui se retrouvent sans logis prouvent dans la douleur que la financiarisation aggrave la pauvreté. L’implication des banques du monde entier dans cette perversion du crédit en montre les limites en dépit de ses outils mathématiques sophistiqués. Pendant ce temps de grandes firmes constituent des empires en contrôlant la production et le commerce des matières premières industrielles et agricoles.
Prétendre moraliser un tel système relève au mieux de l’illusion, au pire de la mystification. Les énormes capitaux publics que les gouvernements leur ont distribués n’ont pas modifié les pratiques des banques privées. Si leurs échecs conduisent celles-ci à moins miser, pour l’instant, sur l’endettement des consommateurs, elles refusent encore plus qu’auparavant d’accorder des crédits productifs d’emplois qu’elles continuent à juger insuffisamment rentables de leur point de vue strictement financier. Leurs dirigeants et, en général, les élites de l’économie et de la politique paraissent incapables de penser selon d’autres critères. Sévères envers les travailleurs toujours trop coûteux à leurs yeux, oublieux des sans travail, des sans terre, des sans logis, des sans papiers que leurs décisions multiplient, à l’affût de la moindre accalmie pour reprendre leurs jeux dangereux, ils se montrent très soucieux de leurs faramineux avantages personnels. Peut-on leur faire confiance pour modifier l’ordre ou plutôt le désordre actuel ? Les laisser maîtres des décisions majeures qui doivent être prises ne peut qu’aggraver la crise mondiale et ses dramatiques conséquences pour l’humanité, la paix mondiale et la planète elle-même, dont l’équilibre écologique est de plus en plus menacé.
Nous avons en commun le souci de la libération humaine et de la défense des victimes de l’intégrisme financier. Nous refusons le silence imposé aux pauvres. C’est pourquoi nous lançons, plus qu’un cri d’alarme, un appel à la mobilisation populaire. Comme en d’autres heures graves de l’histoire de la France et du monde, ce n’est pas sur la bonne volonté des privilégiés qu’il faut compter mais sur l’action du plus grand nombre. Nous ne prétendons pas offrir des solutions qui doivent être inventées par les intéressés eux-mêmes. Ce ne sont pas les propositions d’économistes, de philosophes, de syndicalistes, de politiques qui manquent le plus, mais la volonté et le courage de s’attaquer à la racine du mal financier qui ronge nos sociétés afin de remettre la finance à sa place qui doit être seconde. Il faut pour cela mettre en commun les bonnes volontés, faire converger les efforts, développer voire restaurer les solidarités populaires mises à mal par des politiques destructrices du lien social. Il est aussi indispensable de faciliter les prises de conscience, de souligner que la sortie de crise sera collective ou qu’elle ne sera pas et qu’elle nécessite une maîtrise citoyenne de l’économie. Toute action, toute mobilisation en ce sens, si partielle soit-elle, favorisera le vaste mouvement d’émancipation qu’exige la situation en France, en Europe et dans le monde. Si celui-ci ne se développe pas, le risque est grand de voir surgir des hommes prétendument providentiels, inventeurs de solutions autoritaires.
Dès lors, l’action politique se révèle décisive. Elle nécessite bien sûr la recherche de convergences pour des objectifs particuliers ou généraux, locaux, nationaux, européens ou planétaires. Elle nécessite tout autant, sinon plus, une grande détermination. Ce n’est pas en abaissant les ambitions et les visées que l’on parvient aux rassemblements les plus larges. Ce sont au contraire celles et ceux qui donnent à voir le plus loin et à rêver le plus haut qui les aident à naître et à grandir.
Georges Arnold, Jacques Benezit, Antoine Casanova, Jacques Couland,
Patrick Coulon, Joël Dautheville, Yves Dimicoli, Roland Farré, Françoise Hurstel,
Jean George, Jean-Pierre Jouffroy, Jean Magniadas, Jean-Louis Papin,
Jean-Claude Petit, Patrick Ribau, Albert Rouet, Claude Schockert
Ces premiers signataires forment un groupe de réflexions et d’échanges placé sous le patronage de Félicité de Lamennais qui, en son temps, dénonçait déjà le silence imposé aux pauvres. Ce texte est à la disposition de celles et ceux qui veulent l’approuver, le diffuser, l’utiliser à leur gré dans d’autres groupes citoyens.
Contacts : Georges Arnold, 65 avenue Gabriel Péri, 93400 Saint-Ouen
01 40 12 39 93 georges.arnold@wanadoo.fr
Jean George, 48 rue Caulaincourt 75018 Paris
01 42 54 52 11 georgejnj@wanadoo.fr