Idolâtres et repentis

Publié le par Garrigues

Depuis quelques semaines, les différents médias se font l’écho de confessions plus ou moins émouvantes de repentis du capitalisme flamboyant dont ils ont été des acteurs médiatiques. Ainsi, nous avons entendu, Pierre Botton dans l’émission Mireille Dumas Vie privée, vie publique, se féliciter publiquement de son passage par la prison qui l’a libéré des années fastes où, gendre affairiste du maire de Lyon, il se posait en faiseur des carrières politiques. Récemment, Nicolas Demorand recevait sur France-Inter Jean-Marie Messier, ancien Président déchu de Vivendi Universal qui vient de publier un ouvrage pour stigmatiser le capitalisme financier et les paradis fiscaux1.

 

Il y a plus de 10 ans, j’ai participé à la création de l’Association ATTAC. Son but était justement de redonner aux citoyens leur rôle dans la société à l’heure où les marchés financiers dictent leur loi aux politiques. Un éditorial d’Ignacio Ramonet de décembre 1997, alors Président du Directoire du Monde Diplomatique, avait été un des éléments déclencheurs de la création de cette association. Il n’est pas inintéressant de relire ce qu’il écrivait alors :

« Le désarmement du pouvoir financier doit devenir un chantier civique majeur si l'on veut éviter que le monde du siècle à venir ne se transforme en une jungle où les prédateurs feront la loi. (…) Il y a urgence à jeter des grains de sable dans ces mouvements de capitaux dévastateurs. De trois façons : suppression des “paradis fiscaux”, augmentation de la fiscalité des revenus du capital, taxation des transactions financières »2.

Que n’a-t-on pas alors entendu des représentants de la pensée unique qui se sont gaussés de ces militants associatifs incapables de saisir toute la subtilité de la jungle financière censée annoncer les nouveaux lendemains qui chantent. Et beaucoup de ceux qui aujourd’hui ne cessent de vilipender le capitalisme financier en étaient hier des thuriféraires convaincus.

Nous avons assisté au même type de phénomène avec l’écroulement du bloc soviétique. Dans les années 60, toute une génération d’intellectuels avait ratifié le propos de Jean-Paul Sartre selon lequel le marxisme était « l’horizon indépassable de notre temps ». Et nous avons alors connu aussi toute une vague de repentis garnissant les rayons des libraires d’ouvrages sur les méfaits de ce qu’ils avaient hier adoré.

On se réjouirait sans réserve de ces évolutions si, trop souvent, elles ne traduisaient chez bon nombre d’intellectuels médiatiques le changement de l'objet de leur idolâtrie plutôt que l’analyse de leur processus idolâtre. Le passage sans coup férir de nombre d’anciens soixante-huitards du marxisme se voulant pur et dur à un pro-américanisme aussi peu critique illustre ce que le philosophe Henri Bergson appelle la loi de double frénésie3.

La tendance de l’être humain est d’oublier sa condition de passant pour s’installer dans quelque certitude idolâtre à thème religieux, psychologique, politique ou technologique. Cela nourrit un bavardage médiatique qui fait ses choux gras de constructions permanentes d’idoles pour mieux vendre ensuite le récit de leur écroulement. Plus que jamais, il nous faut résister à cette double frénésie pour assumer notre condition humaine de passant que Paul Ricœur définit ainsi : « Nous sommes aujourd’hui ces hommes qui n’ont pas fini de mourir aux idoles et qui commencent à peine d’entendre les symboles »4.

Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône-et-Loire le 16 janvier 2009

(1) Jean-Marie MESSIER : Le jour où le ciel nous est tombé sur la tête  Éditions du Seuil 2009

(2) Ignacio RAMONET : Désarmer les marchés. Éditorial du Monde Diplomatique décembre 1997

(3) Henri BERGSON, dans son ouvrage Les deux sources de la Morale et de la Religion, analyse le fonctionnement des sociétés dans une vision dualiste à travers deux « lois » : la loi de dichotomie et la loi de double frénésie. Loi de dichotomie : pour se réaliser toutes les tendances naturelles dans une démocratie se divisent. Loi de double frénésie : chaque tendance va au bout de son élan, jusqu'au moment où on va trop loin, La frénésie appelle alors la frénésie antagoniste.

(4) Paul RICOEUR : De l’interprétation. Essai sur Freud. Éditions du Seuil 1965. Page 36.

Publié dans Signes des temps

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P
En tant que Passant, j'aime beaucoup cet article qui évoque la citation que vous mettez en exergue de votre (sympathique) blog : nous qui sommes des voyageurs en ce siècle, nous devons nous rappeler continuellement que nous ne sommes pas encore arrivés chez nous (saint césaire d'Arles)... et devons donc éviter de nous installer !
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