Nos enfants et nous
Jean-Claude BARREAU
Fayard, janvier 2009
Ce livre a l’intérêt d’aborder les problèmes de l’éducation dans le monde d’aujourd’hui en prenant de la hauteur et de la distance. Après ses livres sur l’histoire de l’humanité ou sur l’histoire de la France, l’auteur resitue les questions soulevées par la crise de l’éducation aujourd’hui dans un contexte beaucoup plus vaste, celui de l’histoire de l’humanité. Deux grandes idées au départ : la transmission n’est pas un aspect parmi d’autres de la vie humaine, elle est constitutive de l’humain, ce qui le différencie et marque toute son histoire. Deuxième idée : la transmission ne se joue pas seulement à l’école, mais dans tous les cercles de la vie sociale : la famille, le milieu, les autres éducateurs, en sport, en loisir, les médias, l’univers culturel. Transmettre la culture et le courage est aussi important que transmettre des connaissances.
Sous cet angle, les questions soulevées par l’éducation ne sont qu’un élément d’une crise plus vaste, celle de la civilisation. Il a toujours été nécessaire d’humaniser les instincts primordiaux, le besoin d’un territoire, l’instinct sexuel, « l’instinct hiérarchique » (chapitre II). On trouve là quelques belles vérités, comme la citation de Jaurès : « Le patriotisme, c’est aimer sa patrie, le nationalisme, c’est détester celle des autres » (p. 202), comme l’apprentissage de l’obéissance comme chemin d’accès à une liberté adulte (p. 43), vérités qui vont assez à contre-courant des opinions dominantes aujourd’hui. De beaux passages ensuite sur l’importance de transmettre une culture et une éthique (p. 48-53) : « éduquer, c’est permettre aux jeunes gens de réussir leur vie ».
L’auteur jette ensuite un regard très critique sur la situation culturelle actuelle (ch. III et IV). Il le fait en particulier à partir de son expérience de l’inculture générale de nombreux étudiants, et du contraste avec la réussite qu’avait été l’école primaire voulue par Jules Ferry à la fin du 19e siècle. On trouve là dénoncées avec vigueur certaines modes actuelles, le débat sur ces sujets gagnerait en effet à s’engager : le jeunisme, le pédagogisme, le narcissisme, la victimisation. Des formules brillantes et vigoureuses coexistent ici avec des critiques sans doute excessives ou trop répétitives. « L’excès en tout est un défaut » : l’auteur aurait gagné à modérer sa plume pour mieux argumenter.
Dans le chapitre suivant, « Quelques pistes de réflexion », on trouvera aussi bon nombre de suggestions, souvent de simple bon sens, mais qui se heurtent à des tabous (la sélection), ou à des modes (l’école primaire faite essentiellement pour apprendre à lire et à écrire dans sa langue maternelle). Plusieurs de ces suggestions seraient difficiles à mettre en œuvre : parce qu’elles sont utopiques ? Ou parce qu’elles vont trop à contre-courant des idées dominantes ? On gagnerait de toutes façons à s’y affronter et à en discuter.
Dans l’ensemble donc, un livre qui donne à penser, si on ne se laisse pas arrêter parfois par des formules à l’emporte-pièce. Le diagnostic est aigu, ce n’est pas un hasard que Nietzsche soit cité. Des pistes de recherche sont proposées, reste à les affiner, c’est déjà beaucoup si le livre a pu contribuer à des prises de conscience, ne serait-ce que sur l’importance de la culture.
Jacques Lefur