Voulons-nous vraiment l’unité ?

Publié le par Garrigues

 

Chers amis,

Samedi 24 janvier 2009, le Pape Benoît XVI faisait publier par la Congrégation romaine pour les évêques un décret levant les excommunications prononcées en 1988 par le Pape Jean-Paul II à l’encontre des quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X ordonnés sans autorisation pontificale par Mgr Marcel Lefebvre.

Cette décision a suscité de nombreuses réactions dans le monde entier – jusques et y compris dans l’Église catholique –, réactions dont la violence s’est intensifiée après que l’on ait appris que l’un des évêques de la Fraternité avait tenu publiquement des propos négationnistes sur le génocide juif durant la Seconde guerre mondiale.

Aujourd’hui, nombre d’observateurs estiment que l’Église traverse une très violente tempête, une « secousse » de très-très grande magnitude…

1. Je voudrais d’abord inviter les personnes qui se déclarent indignées par la décision du Pape à se calmer. La colère n’est pas bonne conseillère. Elle n’accomplit pas ce que le Seigneur attend du juste (Jc 1. 19-20). Elle peut nous conduire à affirmer aujourd’hui des choses que nous pourrions regretter demain – et je m’adresse ici spécialement à certains jeunes auteurs qui ont commis l’imprudence de flétrir le beau nom de « catholique »…

Aussi difficile que cela puisse être, nous devons nous efforcer de surmonter notre émotion première et chercher à réfléchir sereinement ; à comprendre le sens et la portée véritable du geste du Saint Père. Nous devons pour cela retrouver le sens de la prière, de l’intimité avec Dieu. La virulence de certaines réactions au sein même de l’Église me paraissent trahir un manque d’intériorité chez certains fidèles, et donc : de prière. Cela est d’autant plus regrettable que nous sortons tout juste d’une semaine de prière précisément, et d’une semaine de prière pour l’unité des chrétiens ! A croire que cette semaine n’ait pas porté tous ses fruits dans le cœur des croyants…

D’une manière générale – je parle bien sûr pour les catholiques : les actes d’un Pape doivent être reçus dans un esprit de foi et de paisible confiance. Lui qui est le « doux Christ sur la terre » – selon l’expression fameuse de Sainte Catherine de Sienne –, il est le pasteur universel de toutes les Églises, établi par Jésus-Christ lui-même. Nous devons accueillir chacun de ses actes avec bienveillance, comme un acte du Seigneur en personne, dans une humble et filiale obéissance. Si nous ne comprenons ou n’acceptons pas telle ou telle de ses initiatives, nous pouvons toujours interroger nos prêtres ou nos évêques. Mais la critique ouverte du Pape – ou d’un évêque en communion avec le Pape – est un acte grave pour un catholique, qui sape l’esprit fraternel devant régner entre chrétiens, et constitue un germe de division dont nous aurons à assumer la responsabilité devant le Seigneur de la communion et de l’unité. Cela ne signifie pas bien sûr que le Pape ou les évêques soient toujours exempts de tous reproches ! Cela signifie qu’avant de critiquer le Pape ou les évêques, il faut sans doute beaucoup réfléchir et beaucoup prier ; et qu'en tout état de cause, il convient d'agir avec douceur et respect (cf. 1 P 3. 16), en ayant l’humilité de considérer les personnes que nous critiquons supérieures à nous (cf. Phi. 2. 3).

2. Considérons maintenant l’acte du Saint Père. Il s’agit d’une levée d’excommunication concernant quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X. Qu’entend-on par levée d’excommunication ? Contrairement à ce que beaucoup ont pu croire – sans doute abusés de bonne foi par des journalistes peu rompus au vocabulaire juridique de l’Eglise – il ne s’agit pas de réintégration ! Les quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X n'ont pas été réintégrés dans l’Eglise catholique ; ils demeurent encore à ce jour en dehors de la communion ecclésiale.

Mgr Hippolyte Simon nous aide à comprendre le sens de ces levées d'excommunications : « Pour prendre une comparaison familière, je dirai ceci : quand Mgr Lefebvre est sorti, c’est-à-dire quand il a désobéi en ordonnant quatre évêques malgré l’avis formel du Pape, c’est comme s’il y avait eu, automatiquement, une barrière qui était tombée et un feu qui s’était mis au rouge pour dire qu’il était sorti. Cela voulait dire que si, un jour, il voulait rentrer, il faudrait qu’il fasse d’abord amende honorable. Mgr Lefebvre est mort. Paix à son âme ! Aujourd’hui, ses successeurs, vingt ans après, disent au Pape : « Nous sommes prêts à reprendre le dialogue, mais il faut un geste symbolique de votre part. Levez la barrière et mettez le feu au clignotant orange ! » Le Pape, pour mettre toutes les chances du côté du dialogue, a donc levé la barrière et a mis le feu au clignotant orange. Reste à savoir maintenant si ceux qui demandent à rentrer vont le faire. Est-ce qu’ils vont rentrer tous ? Quand ? Dans quelles conditions ? On ne sait pas. »

3. L’acte du Pape est donc comparable à une main tendue.

Après l’élection de Benoît XVI au siège pontifical, la Fraternité Saint Pie X avait exprimé son désir de renouer le dialogue avec l’Eglise catholique moyennant deux préalables : la libéralisation du Missel de 1962 et la levée des excommunications. Le Pape a répondu à cette invitation en promulguant en juillet 2007 le Motu Proprio Summorum Pontificum, puis en levant le 24 janvier dernier les excommunications pesant sur les quatre Evêques de la Fraternité. Peut-on reprocher au Saint Père de chercher à renouer le dialogue avec des frères chrétiens égarés hors de l’Église ? N’est-il pas dans sa mission de chercher à rassembler tous les chrétiens en un seul peuple, autour d’un seul banquet eucharistique ? N’a-t-on pas prié intensément en ce début d’année 2009 pour l’unité des chrétiens ? Cette unité, la voulons-nous vraiment ?

L’unité des chrétiens implique que soit rassemblées dans l’Unique Eglise du Christ des personnes d’origines diverses, de toutes sensibilités et de tous horizons. Sommes-nous prêts à « cohabiter » en frères avec des personnes différentes de nous, qui, tout en adhérant à la même confession de foi, n’ont pas la même manière de penser ou de vivre la foi? Voulons-nous vraiment vivre ensemble, dialoguer et rechercher les voies de l’unité, de la concorde et du respect mutuel (cf. Phi 2. 2) ? Ou bien sommes-nous de ceux qui raillons volontiers ceux qui ne sont pas comme nous, qu’il s’agisse des « charismatiques-dévisseurs-d’ampoules », des « cathos de gauche » ou des « intégristes de Saint-Nicolas-du-Chardonnet ».

La division entre chrétiens est une profonde blessure, et le plus grand frein à l’évangélisation du monde (cf. Jn 17. 23). Voilà pourquoi il est important d’y remédier, et d’encourager tous les gestes de réconciliation entre frères séparés.

Pourquoi vouloir rejeter a priori toute discussion avec la Fraternité Saint Pie X ? Parce qu’ils sont « intégristes » ? Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Que leur reproche-t-on exactement – mis à part bien sûr l’acte schismatique de 1988. D’être attachés à la Tradition ? Mais un catholique par définition est attaché à la Tradition ! D’aimer la liturgie selon le Missel de 1962 ? Mais de nombreux catholiques dans l’Eglise aiment célébrer la Messe selon l’ancien rite ! De critiquer le Concile Vatican II ? Mais Mgr Lefebvre avait signé tous les textes du Concile ! Leur critique n’est donc pas un rejet, et jusqu’à preuve du contraire, ils ne sont pas hérétiques. Dès lors, puisque nous partageons la même foi, pourquoi devrions-nous laisser perdurer plus longtemps ce scandale de la division ?

Ayant moi-même été converti en 1998, soit 10 ans après le schisme de Mgr Lefebvre, je n’ai pas vécu les déchirures et les souffrances de ce terrible évènement. Je n’ai donc, concernant la Fraternité Saint Pie X, aucune rancœur particulière, ni aucun préjugé défavorable, sinon celui lié à leur positionnement volontaire en dehors des structures de l’Eglise catholique. Mais à partir du moment où la Fraternité manifeste son intention de renouer le dialogue rompu avec Rome, je ne vois pas pour quelle raison l’Eglise devrait s’interdire d’y répondre positivement. J’ai tendance à penser pour ma part que des chrétiens amoureux de la Messe, de l’adoration eucharistique ou de la prière du Rosaire, ne peuvent pas être tout à fait mauvais. Il n’existe plus à ce jour aucun obstacle objectif à l’instauration d’un dialogue fraternel avec les « traditionalistes ».

4. Certains estiment que le Pape fait là un bien mauvais calcul. Qu’en essayant de récupérer quelques centaines de brebis égarées, il risque d’en effaroucher un nombre bien plus important. Pis encore : qu’il risque de compromettre le travail œcuménique réalisé avec d’autres chrétiens, profondément choqués par cette initiative.

A ceci je répondrais d’abord qu’il semblerait que la main tendue aux « traditionalistes » soit plutôt bien vue par nos frères orthodoxes. Ce qui serait un bon point pour le dialogue œcuménique.
Ensuite, je dirais qu’il faut se méfier des réactions épidermiques de masse. Souvenons-nous par exemple du discours du Pape à Ratisbonne en 2006 et des violentes réactions qu’il avait suscitées dans le monde musulman. Qu’en est-il aujourd’hui du dialogue avec les musulmans ? Non seulement il n’est pas compromis, mais encore 138 intellectuels et responsables religieux venus de tous les horizons de l'islam ont récemment écrit une lettre au Pape pour l’inviter à entrer en dialogue avec eux ! Jamais, de part et d’autre, on n’avait autant exprimé le désir de se rencontrer, de se connaître et de s’aimer que depuis la conférence de Ratisbonne ! Eh bien pareillement : nous verrons dans deux ans
ce qu’il en sera du dialogue œcuménique et interreligieux. Ne jugeons pas la main tendue du Pape à l’aune des premières réactions constatées parmi les croyants. Laissons les passions s’apaiser, la raison et la foi reprendre le dessus, et nous verrons bien... Ne préjugeons pas de l’issue des discussions avec la Fraternité Saint Pie X, et de ses répercussions sur l’ensemble du dialogue œcuménique. Croyons que le Seigneur bénira tous les efforts entrepris pour tendre à l’unité, et que l’Esprit Saint agira le moment venu, pour peu que les parties soient de bonne volonté.

Et puis je crois qu’il faut se départir de tout esprit de calcul et de stratégie dans notre recherche de l’unité. Ce n’est pas avec des comptes d’apothicaire que l’on fera l’unité (« si je donne tant aux protestants, je perds tant avec les orthodoxes et les traditionalistes ; et si je donne tant aux traditionalistes, je gagne tant avec les orthodoxes mais je perds tant avec les protestants… »). L’unité des chrétiens ne se trouve pas au bout de nos efforts et de nos plans savamment conçus. Elle n’est pas une œuvre à portée humaine ; elle est une grâce à demander. À vue humaine, l’unité est impossible à réaliser. Nous ne pouvons qu’y tendre et y travailler du mieux que nous pouvons. Ce qui nous appartient, ce sont les gestes d’unité que nous pouvons poser. Mais l’unité elle-même ne peut être qu’un don de Dieu. Dans cette recherche de l’unité, le Seigneur attend aussi de nous que nous comptions sur Lui, que nous faisons appel à Lui, que nous sollicitions de Lui son intervention et sa grâce, que nous croyions avec foi en l’efficacité de notre prière. Si Dieu ne veut pas faire l’unité sans nous et compte sur nos efforts, nous ne ferons pas non plus l’unité sans Dieu et le secours de sa sainte grâce.

5. Dernière remarque. Toute l’agitation – légitime ! – autour des propos – révoltants ! – de Mgr Williamson laisse à penser que le démon aussi se manifeste en ces temps. Signe sans doute que le Pape est sur la très bonne voie ; qu’il a touché là un point « sensible »…

« A qui profite le scandale provoqué par des propos d’une telle obscénité ? » demandait Mgr Hippolyte Simon dans sa Lettre ouverte. Aux opposants à la réconciliation bien sûr, dont semble-t-il Mgr Williamson lui-même... Mais plus encore, à celui-là même qui est désigné dans la Bible comme le « Diviseur », le « Satan ». Ne nous laissons donc pas impressionner par ses basses manœuvres – et encore moins dicter par lui notre conduite ! Réjouissons-nous bien plutôt de l’expression visible de sa colère, de sa tentative – vouée à l’échec ! – de déstabiliser l’Église par la technique – bien éprouvée – de l’amalgame, et opposons à ses flèches furibondes le bouclier de notre humilité, de notre foi et de notre amour pour l’Église et pour le Pape.

Matthieu Boucart
Blogmestre de http://totus-tuus.over-blog.com

Publié dans Signes des temps

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