Lettre à mon Église
C’est avec une certaine émotion que l’on écrit à « son » Église, comme si l’on écrivait à ses propres parents à l’occasion d’un désaccord, c'est-à-dire non seulement respectueusement
comme il se doit, mais plus essentiellement par respect du lien vital par lequel on est uni et auquel on tient.
Mais d’abord, de quelle Église parle-t-on ?
Bien sûr, il ne s’agit pas de la communauté de tous ceux qui sont reliés par l’Évangile, ce qui est probablement la vraie définition de l’Église, mais de ce que l’on appelle parfois « l’Église officielle » ou encore, « l’Église institution ».
Et c’est probablement là que se situe le vrai problème, la gêne ressentie : cette Église-institution, avec ses structures figées, ses « dictats » dogmatiques, ses codes moralistes, ses formalismes liturgiques plus ou moins imposés, n’exprime pas pour moi l’énergie vitale que j’en attends, celle de l’Évangile, ou pire, semble parfois en contredire les messages essentiels, voire le message unique de ce qu’est l’Amour de Dieu.
Comment adhérer au rejet sans appel des divorcés-remariés après la lecture de l’échange du Christ avec la femme adultère ?
Comment justifier ces discussions récurrentes sur les gestes de l’Eucharistie, et notamment la manière de recevoir l’hostie, en relisant les textes de la Cène où le partage du pain et du vin entre ceux qui participent au repas apparaissent aussi essentiels que la présence divine dans ces nourritures ?
Comment retrouver dans les paroles parfois autoritaires, ou les phrases rituelles prononcées comme par habitude ou fonctionnellement par un officiant, l’appel du Christ à ses disciples afin qu’ils soient avant tout serviteurs au service de leurs frères ?
Ce sont quelques exemples, exprimés de façon trop superficielle, comme on le fait lorsque les interrogations puis les rejets s’accumulent sans que l’on ait la possibilité de les exprimer.
Or l’espace de l’Église-institution ne permet pas d’avoir un échange libre à l’intérieur de sa structure, au mieux une écoute indulgente comme on peut être tenté de la pratiquer avec des adolescents en quête de dialogue lorsque ce n’est pas un refus de débat, l’interlocuteur étant jugé immature ou incompétent de telle sorte qu’il ne saurait avoir « voix au chapitre ».
Oui, l’Église officielle a tendance à nous infantiliser dans le mauvais sens du terme : au lieu de nous asséner des réponses figées comme des textes de loi, ne lui appartient-il pas primordialement, en tant que porte-voix de l’Évangile de nous amener, à la lumière de ses textes, à assumer nos propres responsabilités, en confrontant nos évènements de vie au principe d’Amour révélé par le Christ, en nous aidant à en percevoir les dimensions infinies qui dépassent nos conceptions étriquées, limitées par notre condition humaine, à nous rappeler l’exigence de notre liberté de choix, essence même de l’amour de Dieu à notre égard, et dignité exigeante qu’Il nous confère.
C’est cela que nous avons besoin d’entendre.
C’est ce parcours auquel nous sommes appelés, nécessitant, ô combien, d’échanger avec les autres, de « communier » avec eux dans un respect et une tolérance réciproques que nous avons sans cesse à nous rappeler. C’est cela l’Église me semble-t-il.
Ceux qui ont décidé de passer leur vie au service de cette Église sont des aiguillons essentiels pour cet échange et cette communion, mais à condition qu’ils ne soient pas principalement des détenteurs de pouvoir, des diseurs de vérité absolue, des distributeurs de sacrements.
Nous cherchons tous ensemble, et cela probablement jusqu’à la fin des temps. C’est cette quête parfois obscure mais partagée qui est pour moi la Foi de l’Église.
Assurément, lorsque l’on est concerné, on rencontre beaucoup d’interlocuteurs, gens d’Église ou autres, auprès desquels se pratique cet échange vital qui nourrit et fait progresser, ce que l’on ressent parfois comme une certitude ou une évidence.
Mais aussi que de compromis acceptés !
Combien sommes nous à choisir « à la carte » en sachant que cela est « mal vu », le lieu où l’on vient prier à son propre rythme, recevoir l’Eucharistie (mais le plus souvent comme nourriture personnelle, et rarement avec cette dimension de « repas partagé »), écouter une homélie, parfois « supportée » (ou mal supportée) lorsqu’on y entend un discours imposé dont on subodore qu’il est dicté par des autorités, et non pas une expression personnelle appelant aux réponses de chacun, dans cette liberté responsable à laquelle nous sommes conviés.
Et cela est la plainte attristée d’un membre privilégié de cette Église, qui a été suffisamment entouré d’autres âmes en recherche pour avoir été orienté vers des rencontres ou des lectures susceptibles d’une part de le déculpabiliser, d’autre part, d’alimenter sa quête jusqu’à en faire une exigence vitale malgré sa propre faiblesse et malgré les obstacles.
Mais qu’en est il pour tous ceux restés à la porte de ce « royaume », soit parce qu’ils n’y ont jamais été introduits, soit parce que, actuellement, ils n’ont plus envie d’y pénétrer ? Or ce « royaume », ce n’est pas l’Église, c’est l’Évangile.
Il n’y a pas d’être humain qui ne soit pas concerné à un moment ou à un autre, et plus ou moins consciemment, par la question essentielle du « sens de la vie », même si cette interrogation est parfois étouffée pour un confort immédiat.
Et les réponses apportées par l’Évangile ne peuvent pas être rejetées par principe si elles sont présentées dans le respect de la liberté de chacun et de sa responsabilité fondamentale d’être humain, et ce même si elles ne sont pas éclairées par la perception de l’existence de Dieu et sans qu’il y ait lieu d’écarter des chemins spirituels différents.
« Je ne suis pas venu pour les bien-portants mais pour le malades ». C’est cette parole qui devrait nous interpeller par priorité.
Comment faire pour que l’Évangile soit accessible à tous ? C’est probablement la question à nous poser tous ensemble, les « professionnels » de l’Église et les autres, le peuple, tout un chacun, en acceptant de redevenir petits comme des enfants conformément à l’invitation du Christ, à nous remettre en question à la lumière de ce qui fait notre époque actuelle, non en en rejetant les expressions, en particulier celles de sa jeunesse, mais peut-être en partant de ces expressions pour essayer humblement de trouver les façons d’exprimer aujourd’hui, « dans le dire et dans le faire » comme le dit le Père Moingt, les messages du Christ.
Ne savoir répondre à ces interrogations que par des réponses figées et autoritaires et non pas venues d’une écoute humble et attentive, sachant s’enrichir de la vie même de ceux qui les expriment, voilà me semble-t-il ce qui pourrait amener à se poser cette terrible question :
« Est ce que, parfois, l’Église à laquelle nous sommes rattachés ne se présente pas comme un obstacle pour accéder à l’Évangile ? ».