Un consensus mortifère

Publié le par Garrigues


Il y a une vingtaine d’années, convaincu du naufrage assuré des paroisses, si l’on ne prenait pas la mesure de la situation, je m’étais dit qu’il serait bien de se projeter dans dix ou vingt ans, en tenant compte par exemple de l’âge des prêtres, du nombre de baptêmes comparés à celui des enterrements, du nombre d’enfants catéchisés, de l’âge moyen des pratiquants, etc. Je croyais que l’on pourrait,  par des données incontestables, ouvrir les yeux sur le désastre prévisible de l’institution, et faire reconnaître l’urgence des réformes qui s’imposaient. On a préféré la politique de l’autruche. Plus on allait dans le mur, plus il était angoissant de le reconnaître. La « vertu » et l’obéissance voulaient que l’on serre les dents et que l’on fasse son « devoir ». On se consolait en se disant que le Saint Esprit viendrait bien à notre secours, que les voies du Seigneur sont impénétrables… Vertu ou démission ?

Toujours est-il qu’aujourd’hui, dans ma paroisse de retraités et de vieillards, les appels à prendre des responsabilités prennent le caractère d’injonctions d’autant plus pressantes que les rangs s’éclaircissent de jour en jour. Si vous ne vous exécutez pas, vous êtes de fait  un consommateur passif culpabilisé, qui a le toupet de profiter d’homélies de qualité et de la survie de la paroisse sans mettre la main à la pâte. Alors, pour sortir de cette contradiction, j’ai choisi de ne plus participer du tout. Je sais gré à mes amis qui engagent à s’engager de m’avoir obligé à lever une contradiction. Mon choix peut s’expliquer aussi par le fait que je n’ai reçu aucune formation dans le domaine des soins palliatifs à une institution mourante. Je respecte bien sûr et j’ai même une certaine admiration pour  ceux qui font un autre choix et qui partagent pourtant les mêmes analyses que moi sur les réformes qui s’imposeraient. Mais je ne peux plus supporter les non dits entre paroissiens, entre ceux qui considèrent que notre Sainte mère l’Église a raison quoi qu’elle fasse, et les autres qui souhaiteraient des réformes de grande importance pour être fidèles à l’Évangile. Le prêtre, dans une posture très traditionnelle, quelles que soient les réformettes qui donnent l’apparence d’un changement,  est le ciment d’un ensemble lézardé qui s’effondre. On évite soigneusement les questions qui fâchent, au nom d’une fausse conception de la communauté. Le tout ne tient qu’à condition de rester dans le sur-naturel. Évoquer dans ces conditions la vocation missionnaire de chaque baptisé c’est rester à un niveau d’abstraction qui condamne à l’impuissance et au mensonge. On y aborde aucune des questions soulevées par des textes aussi différents et convergents que Vatican 2035 ; les articles de Claude Florival ; les Conversations nocturnes à Jérusalem du cardinal Carlo-Maria Martini ; Imaginer l’Église catholique de Ghislain Lafont ; Dieu qui vient à l’homme-De l’apparition à la naissance de Dieu (2) de Joseph Moingt, etc. J’ai donc choisi de ne plus participer à ma paroisse ; j’aurais fait un autre choix s’il avait été possible de discuter de tout ce qui dans l’Église institution, est un contre témoignage. 

Il n’y a pas si longtemps, je demandais à un ami prêtre s’il avait lu le dernier livre de J. Moingt. Non, il ne l’avait pas lu. Et je lui demandais : que peut-on faire devant l’effondrement de l’institution ? Il me répondait : rien, tant que le pape, ou un pape, ne décidera pas une autre orientation. Cette façon de s’en remettre au pape du destin de l’Église est vraiment insupportable. Pourtant cette servitude volontaire de bas en haut  semble être une des caractéristiques de la religion catholique. Rien ne se décide que d’en haut.  

Guy Roustang

 


Quelques extraits de Joseph Moingt
« Dieu qui vient à l’homme – De l’apparition à la naissance de Dieu – 2 Naissance », Les éditions du Cerf, Paris, 2007.

 « Déclarer a priori que le problème crucial est celui du recrutement du clergé, c’est poser en principe… que l’Église souffre d’un déficit de puissance… et… ne pas vouloir voir que son mal essentiel est d’être désertée de façon continue depuis plusieurs siècles par ses propres fidèles, et cela en grande partie à cause de son attachement obstiné à un mode de gouvernement archaïque et hiératique qui n’inspire plus confiance, tellement il est en désaccord avec l’esprit du temps » (p. 802).

Il y a « un trop grand écart entre les types de socialité vécus à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église » (p.803).

« Sur le plan des mutations structurelles, l’Église hiérarchique et institutionnelle devra prendre conscience de son double éloignement de la vie évangélique et de la condition de l’homme moderne et, par suite, de l’obligation pour elle de se livrer à une lecture critique de sa tradition, de se départir de son conservatisme et de son autoritarisme, et de consentir à des transformations assez radicales » (p. 832, J. Moingt cite dans tout ce passage M. Légaut).

« Dans l’interprétation des signes des temps que constitue la menace d’une extinction de l’Église et, avec elle, de l’annonce de l’Évangile, le devoir majeur… est de faire de l’institution sacerdotale une aide, et non un frein, au témoignage évangélique… » (p.843).

La rupture entre le christianisme et la société occidentale « … met en cause, non seulement la survivance de la religion chrétienne, mais encore l’avenir de la mission évangélique » (p.856).

L’Église « n’aura pas d’avenir sans sortir des chemins battus et rebattus depuis tant de siècles » (p.867).

Publié dans DOSSIER L'EGLISE

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