Revenir à l'Évangile, effectivement
Durant mes vacances estivales, au terme de lectures et rencontres fortuites, j'ai été conduite à méditer sur la présence marquée d'un thème central vers lequel semblent converger
différentes expressions contemporaines du christianisme ; et ceci, qu'il s'agisse du regard de chrétiens engagés concrètement ou d'études philosophiques sur le christianisme
émanant d'auteurs variés, y compris d'agnostiques.
Confronté à ce que l'on appelle la déchristianisation de l'Europe occidentale, ou plus généralement la crise des valeurs que traverse notre civilisation, ce thème central, qui s'offre comme une issue universelle, appelle le retour à la simplicité primitive de l'Évangile.
Il est frappant de constater que ce thème émerge, de façon diffuse ou explicite, dans des secteurs d'activités très variées : engagements de vies consacrées, positionnements théologiques et/ou philosophiques, analyse de l'actualité religieuse selon une dimension historique et sociologique.
Engagements de vies religieuses consacrées
À l'opposé du mouvement monastique du IVe siècle, l'émergence de nouvelles vocations de moines ne répond plus au désir de se retirer vers le désert ou le cloître pour fuir le monde et les dérives d'une Église compromise. Bien au contraire, l'objectif consiste à partager, comme Jésus de Nazareth, la vie et le travail des hommes que l'on appelle le prochain, surtout des plus démunis.
- Je me focaliserai ici sur une initiative particulière, en raison de son aspect caractéristique, à valeur exemplaire. Henri Quinson jeune cadre brillant, quitte une carrière prometteuse pour s'orienter vers une vie monastique : il s'engage d'abord comme novice à l'abbaye cistercienne de Tamié. Mais considérant que « l'Église donne à beaucoup l'image d'une institution en retard de plusieurs siècles »1, il reprend pour son compte les interrogations de Madeleine Delbrêl, elle-même engagée personnellement dans des quartiers déshérités : « sommes-nous assez temporels, sommes-nous assez libres ? ». Il fait également sien l'avertissement de Jean de Chrysostome : « ce n'est pas seulement de votre vie que vous aurez à rendre compte, mais du monde entier ». C'est ainsi qu'au terme d'une recherche laborieuse il adhère à un mouvement qui naît en 2004 aux États-Unis pour susciter un nouveau monachisme, inséré dans les banlieues déshéritées de la mondialisation. Il crée, à son tour, dans la banlieue Nord de Marseille, avec l'assentiment de la hiérarchie ecclésiastique, une fondation nouvelle, la Fraternité Saint Paul, dont il précise qu'elle pourrait avoir comme titre Chemins d'Incarnation, car « le Christ est venu dans un seul but : la rédemption de l'humanité. Et il n'a utilisé qu'une seule méthode : l'Incarnation » (ibid. p. 187). Depuis, d'autres compagnons sont venus le rejoindre et partager une vie de prière et de travail social.
- Ces nouvelles initiatives prolongent et diversifient d'autres expériences modernes de vie monacales insérées dans le monde, telles : les Petits Frères et Sœurs de Ch. de Foucault, Sœur Emmanuelle, etc.
Le nombre de paroisses démunies de prêtres augmente, alors que les fidèles se raréfient et se réduisent aux populations très âgées. Pendant que l'Église fait appel à un clergé extérieur (africain, brésilien ou polonais) pour restaurer un passé révolu, de « nouveaux curés » surgissent, à l'image de l'Abbé Pierre à Paris hier, ou de Christian Delorme à Lyon aujourd'hui. Partageant, sous des formes diverses, la vie des autres, surtout des exclus de la société, ils sont à l'écoute des nouveaux besoins de nos contemporains déshérités. Je citerai, ci-après, un exemple caractéristique, relevé dans mon diocèse.
Olivier Pety, au sein de l'Église d'Avignon (surtout préoccupée par la restauration de la chrétienté passée, sous maquillage de modernité), poursuit et développe une expérience fondée en 1981 par un ancien curé d'Avignon, Joseph Persat. Sous le label Association loi 1901, fut créé alors Le Mas de Carles. Situé dans une ancienne ferme provençale, ce lieu d'accueil répond à deux urgences : « la situation des plus pauvres, leur défense, leur promotion et l'Évangile à vivre au présent de la vie des hommes »2. Le Mas accueille «chaque année environ 150 personnes, en grande difficulté matérielle et/ou morale (SDF et routards notamment) » (ibid. p.114). Le temps de leur séjour est variable. Certains repartent avec confiance, après quelques mois ou semaines, suffisamment préparés pour engager une réinsertion sociale aidée par des formations adaptées. D'autres préfèrent continuer la vie et le travail agricole au Mas.
Les expériences évoquées ci-dessus ne se réduisent pas à l'expression d'initiatives personnelles et variées, mais elles traduisent l'exigence d'une même pensée théologique profonde qui place en priorité le retour à la simplicité évangélique. Cette démarche est fondée sur le mystère de l'Incarnation : « le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous » (Jean 1,14).
- Yves Saoût, bibliste et curé d'une paroisse rurale au Cameroun, s'attache à relire l'histoire de l'Église à la lumière de la parabole du bon Samaritain. Il rappelle que les Pères de l'Église et les artistes médiévaux ont vu le Fils de Dieu dans le bon Samaritain, puis il se livre à une enquête passionnante sur la place effective de cette figure dans notre culture moderne et nos actions humanitaires.
- De même, O. Pety (évoqué ci-dessus) et B. Lorenzato, , appellent à l'urgence d'un retour aux sources, dans la pensée et dans les pratiques. Eux aussi s'appuient longuement sur l'Écriture et les Pères de l'Église ; ils reprennent les mots du pape Pelage au VIe siècle : « la nouveauté absolue d'une religion qui se distingue en faisant de l'autre, préférentiellement de l'autre pauvre et petit, la voie majeure de la rencontre de Dieu »3. Ils rappellent aussi que le concile Vatican II a fait du pauvre le « sacrement du Christ ».
- Le cardinal Martini, représentant important de la hiérarchie catholique, dénonce l'occultation du message évangélique par des pratiques disproportionnées de rites, de leçons de morale. Il affirme, serein, « je ne me préoccupe pas tellement de la visibilité du chrétien, parce que je pense que si le chrétien vit le Sermon sur la Montagne, il est visible »4.
- Maurice Zundel et François Varillon, deux auteurs à veine mystique, qui occupaient jusqu'ici une place assez marginale dans l'Église, voient aujourd'hui leurs œuvres rééditées, notamment pour des jeunes. Tous deux avaient souvent insisté sur le fossé équivoque qui sépare l'athéisme moderne du christianisme, fossé creusé par une image déformée du Dieu chrétien, lequel paraissait intervenir comme une puissance extérieure. Ils insistent sur la place prioritaire qu'il faut reconnaître haut et clair à la proposition, inconcevable et révolutionnaire, de l'humble Passeur de Galilée : le mystère de l'Incarnation d'un Dieu qui s'est livré à nous jusqu'à l'extrême du dépouillement. Chaque personne se trouve ainsi placée face à l'Autre, un être absolu et infini d'amour, à un « Dieu, plus intime à nous-mêmes que le plus intime de nous même » selon la phrase célèbre de Saint Augustin. Au cours de ce face à face, encore obscur, l'homme peut répondre à cette proposition gratuite de partage de vie divine dans des actes de co-création. Cette évolution fulgurante suppose au préalable un choix libre. À l'image de la parabole de la graine (qui doit mourir pour éclore à une nouvelle vie), l'homme est placé devant un dilemme : ou la désappropriation et le dépassement de son écorce ancienne, ou le maintien possessif de son moi, enfermé dans un confort illusoire. « Il faut sauver Dieu de nous-mêmes, comme il faut sauver la musique de notre bruit, la vérité de nos fanatismes et l'amour de notre possession (...). La croix est la mesure de notre aventure infinie, parce qu'elle dit tout le crédit que Dieu nous fait »5.
Cette aventure de l'Incarnation opère au sein d'une humanité qui n'est pas créée toute finie, mais en cours permanent d'évolution. Ils rappellent ici la pensée d'un Teilhard de Chardin qui, lui aussi, fut situé à la lisière (si ce n'est au banc) d'une l'Église officielle, trop frileuse devant la nouveauté.
- Joseph Moingt rejoint ce thème central dans un article intitulé Transmettre la foi ?. Face à la crise actuelle, il se livre à une prise de conscience d'une rare lucidité. Pour lui, « le but ne peut pas être de restaurer le passé, mais de retrouver la sève de l'origine (...). Jésus n'a pas laissé à ses apôtres un modèle de religion à perpétuer (...), mais communiqué en tous lieux la Bonne Nouvelle. L'enseignement de la religion et de sa morale a trop souvent recouvert entièrement l'Évangile, chemin de vérité et de vie, chemin vers Dieu. Mais aussi vers l'homme »6.
Joseph Mongt insiste : Le christianisme est un vrai humanisme. « Car l'amour vient de Dieu, il est Dieu lui-même (...). L'Évangile apprend ainsi à ne pas séparer le salut éternel et céleste du salut temporel et terrestre (....) car Dieu veut l'homme accompli en humanité (....), parvenu à la vraie ressemblance à Dieu. »
Actuellement, on parle beaucoup d'évangélisation, sans trop préciser ce qu'il convient de faire ou dire. Joseph Moingt insiste sur ce point fondamental pour préciser : « comme Jésus le faisait » (ibid. p.7).
Or, communiquer ne veut pas dire transmettre ou enseigner selon une voie hiérarchique. Tenant compte des pratiques de communication en usage dans le monde actuel, surtout dans les jeunes générations, « il n'est plus question d'enseigner avec autorité mais de dialoguer d'égal à égal, de débattre ensemble, d'entrer dans le débat public et d'échanger des arguments » ; cela « ne s'annonce pas seulement en paroles, mais davantage par des actes (...) dans les réalités concrètes de la vie et de la société. Tout cela relève particulièrement du travail des laïcs, du fait qu'ils mènent la vie commune du monde » (ibid. p. 9).
La pertinence de cette analyse, qui émane d'un théologien de 94 ans, devrait nous inciter, clercs et laïcs, à modifier nos pratiques habituelles de « donneurs de leçons », totalement contre-productives. D'ailleurs, lors du grand colloque annuel des Semaines Sociales de France en 2005, pressentant les difficultés soulevées par le titre choisi, Transmettre, les organisateurs avaient ajouté en sous-titres : « Partager des valeurs, susciter des libertés »...
- Il faut remarquer l'apparition d'une nouvelle pastorale dite de l'engendrement, fondée sur une théologie, élaborée à un double niveau, théorique et pratique. Elle tend à remplacer la pastorale traditionnelle de transmission et d'encadrement. Cette dernière, durant des siècles, a plutôt façonné une société de chrétienté qu'appelé des personnes à vivre effectivement la vie évangélique. Ce petit livre, très dense, en présente un historique fort intéressant et, sous la direction de spécialistes éminents, tels Chistophe Theobald et Philippe Bac, il ouvre aussi des pistes d'avenir, à la recherche des chemins favorables à la rencontre de nos contemporains avec Dieu.
- Marcel Gaucher, Régis Debray et Frédéric Lenoir, agnostiques tous trois, considérant la personne du Christ et l'Évangile, lui accordent une place particulière dans la modernité.
- Rappelons ici la sentence de Marcel Gaucher, selon laquelle l'apparition du Christianisme a entraîné une sortie des religions, pour ouvrir l'horizon humain vers de nouveaux progrès. Il poursuit dans cette ligne : «Les valeurs éthiques décelées dans le monde post moderne ne sont pas réellement des résidus de religion, mais des fruit de l'Évangile » (in Le désenchantement du monde).
- Frédéric Lenoir, dans son dernier ouvrage, Le Christ philosophe, se montre même enthousiaste face à l'apport original et subversif de Jésus. Il déclare, au cours d'un échange de vues avec Régis Debray : « Jésus n'appelle pas à une révolution politique, mais à une conversion personnelle. À une logique religieuse fondée sur l'obéissance à la tradition, il oppose une logique de responsabilité individuelle » (cf. le dossier numéro 8 de Garrigues et Sentiers).
Il serait sans doute utile de mentionner, au passage, l'évolution récente signalée dans Le Monde, de certains positionnements, jadis figés et incompatibles. Avant, l'athée s'opposait frontalement au croyant pour nier toute référence à une transcendance ; transcendance souvent ressentie comme une menace extérieure aliénante pour la personne, telle qu'elle était présentée alors dans les différentes formes de monothéismes, autoritaires et moralisateurs. À l'opposé, on pouvait reprocher aux sagesses orientales (Hindouisme, Bouddhisme) de tendre à diluer la personne dans une immanence cosmique. Actuellement, certains philosophes et phénoménologues travaillent à ouvrir une voie de dépassement au-delà de l'athéisme, pour concilier transcendance et immanence. Dans cette visée, l'ouvrage de François Gachoud, Par-delà l'athéisme, présente, outre son propre point de vue, les positions d'autres penseurs, tels Luc Ferry, Michel Henri, Paul Audi. Une nouvelle conception, à caractère phénoménologique, avance l'idée d'une transcendance dans l'immanence. Cette nouvelle manière de voir laisse présager de nouveaux dialogues, avec des agnostiques modernes. Je pense aussi à la position de scientifiques agnostiques, tels Hubert Reeves, Pascal Picq. Ainsi, ce dernier termine son livre, Nouvelle histoire de l'Homme, sur cette phrase : « l'homme, c'est plus que l'homme » qui fait écho à une autre phrase célèbre, écrite par Pascal, « l'homme passe l'homme ». Cette ouverture peut aussi concerner ceux qui sont touchés par le retour du religieux, sous différentes formes (Bouddhisme, ou nouveaux groupes évangéliques à caractère charismatique).
On évoque ci-après, deux ouvrages récents, rédigés dans une perspective plus sociologique, par deux écrivains chrétiens ayant assumé des responsabilités de reportages et/ou de direction d'une maison d'édition : Jean-Claude Guillebaud et Olivier Legendre.
- Jean-Claude Guillebaud, dans un petit livre intitulé Comment je suis redevenu chrétien, souligne, à son tour, le caractère subversif de l'annonce évangélique dans l'époque du Christ. La dignité de la personne, son intériorité individuelle, son universalité étaient ignorées des Grecs, dans leur ensemble, en dépit de la pensée universaliste des stoïciens. S'appuyant sur Châtelet, il précise que, malgré les droits et pouvoirs politiques attribués aux citoyens grecs, « si ces derniers peuvent être des actionnaires d'une société anonyme appelée "cité", c'est parce qu'il y a un travail productif fourni par des êtres qui ne sont pas considérés par les Grecs, dans leur immense majorité, comme des hommes »7.
L'auteur constate, avec un réalisme nuancé, que la fulgurance du message évangélique a souvent été occultée par l'attitude ultra conservatrice de l'organisme transmetteur ; attitude dénoncée par de nombreux penseurs chrétiens. Néanmoins, l'Église a largement contribué à un progrès humain important : au Moyen Âge pour atténuer la violence (trêve de Dieu, interdiction des ordalies) ; pour défendre l'égalité homme/femme (avec l'obligation du libre consentement des époux pour fonder le mariage contre la tradition dominante de l'époque) ; par la création et le maintien, tout au long de son histoire, de nombreuses œuvres hospitalières et éducatives.
Cependant, bien que reconnaissant la nécessité pratique d'une institution régulatrice, en matière religieuse comme dans de nombreux autres domaines, Guillebaud tire aujourd'hui la sonnette d'alarme. Il juge que la Bonne Nouvelle, trop obscurcie par des préoccupations excessives de conformité doctrinale, ne peut plus passer. Les temps ont changé, l'histoire s'accélère : « depuis le début des années 1980, trois révolutions sont en cours qui interfèrent l'une sur l'autre et accélèrent réciproquement leurs effets : une révolution économique avec la mondialisation, une révolution numérique avec l'apparition du cyberespace (un 6e continent), une révolution génétique qui modifie notre rapport au vivant lui-même..., trois facettes d'un « saut qualitatif » de l'aventure humaine ».
- Olivier Legendre, à travers un gros ouvrage de 400 pages, Confession d'un cardinal, livre, dans un récit romancé, très bien documenté, sa vision du fonctionnement historique de l'Église. Cette description est ressentie par le cardinal comme une nécessité répondant à l'urgence de dresser une sorte d'état des lieux. Il relève, avec beaucoup d'acuité, les nombreux dysfonctionnements de cette Église qui ont conduit à un double mouvement historique : son éloignement progressif d'un monde jugé déchristianisé et impie et, réciproquement, le rejet de cette Église par le monde.
Cette situation de déchristianisation a fait l'objet, sous le pontificat de Jean-Paul II, d'une investigation confiée à un groupe d'étude. Leurs conclusions aboutissent à trois diagnostics généraux : 1° « le principe même de transmission s'affaiblit dans des sociétés caractérisées par une innovation galopante»8 ; 2° la lourdeur imposée par la structure pyramidale de l'Église, dépourvue de convivialité et d'ouverture aux jeunes ; 3° l'illusion persistante d'un âge d'or du christianisme, lequel, en réalité, reflétait alors surtout des pratiques à tonalité sociologique.
À son tour, il lance un cri d'alarme : « L'Église a déjà laissé échapper les rendez-vous scientifiques, démocratiques (...), qu'elle ne manque pas celui d'un monde mondialisé » (ibid. p. 359). Pour répondre à la mondialisation, il pose comme nécessaires deux conditions à respecter : 1° cesser de paraître terriblement occidentale, mais être perçue universelle, non inféodée à une culture ; 2° se mettre au service des plus pauvres. « La société occidentale a été, durant des siècles, sous influence de l'Église (...) plus que sous celle directe de l'Évangile (...) Il nous reste l'Évangile, par lequel tout a commencé » (ibid. p. 395). La mission de l'Église est d'abord de rendre sensible l'amour de Dieu, avant de l'expliciter dans un enseignement » (ibid. p. 350). Évoquant l'Évangile des talents, il écrit judicieusement : « un fidèle (...) ce n'est pas celui qui conserve, c'est celui qui invente dans la fidélité (...), qui fait fructifier » (ibid. p. 396-397).
En conclusion
Les engagements et diverses initiatives évoqués ci-dessus expriment l'émergence d'une même ligne de fond ; cette dernière, qui les anime toutes, ne repose cependant sur aucune concertation préalable. Il semble que de nouvelles perspectives s'ouvrent, comme naturellement, pour répondre à la crise actuelle. Mais cela implique d'intégrer avec lucidité plusieurs considérations :
- Se détacher de ce qui encombre. La position minoritaire d'une Église, désormais libre de contraintes et servitudes temporelles, constitue une chance à saisir actuellement. Il importe, dans un monde qui change vertigineusement, de pouvoir chercher ce qui fonde l'essentiel permanent et non de l'obscurcir inutilement, sous le regard des jeunes notamment. En particulier, il serait temps de présenter l'Église, dégagée de tout son habillage matériel inapproprié : des tenues richement surannées, des titres pompeux et désuets (Monseigneur, Éminence...). L'Église peut appliquer à elle-même la parabole de la graine et faire mourir cette vieille écorce devenue nuisible. En tant qu'institution humaine, aujourd'hui l'Église doit mourir comme les autres graines, et ne pas se considérer comme une fin en soi.
- Décider d'axer réellement nos démarches sur l'essentiel :
- d'abord, suivre en acte le chemin de l'Incarnation ouvert par le Christ dans un partage animé par l'amour :
- Partage avec le prochain, notamment avec les plus éprouvés, les pauvres, les exclus ...
- Partage avec nos frères en Église, dans un climat à caractère plus collégial. Cela nécessite d'assouplir son fonctionnement pyramidal; de l'élargir au peuple de Dieu, laïcs, clercs, voire clercs mariés. Car, dans ce monde si rapidement changeant, les laïcs sont placés en première ligne. Leurs contributions (informations, propositions), une fois déposées, doivent franchir les différentes commissions (chargées de retransmettre en haut lieu ces contributions) sous formes de rapports écrits, plus ou moins déformées.
- Partage avec nos frères chrétiens séparés, en dépit des obstacles. Le Cardinal Kasper9 nous rappelle: «Le mouvement œcuménique tend à les surmonter»; car «ce qui nous unit est beaucoup plus fort que ce qui nous divise», selon les paroles du pape Jean XXIII.
- Partage avec nos frères engagés dans d'autres religions, en respectant leurs attentes et besoins propres à leurs cultures spécifiques, porteuses, elles aussi, d'une image potentielle du Christ, en attente d'incarnations nouvelles. (cf. Panikar, entre autres).
- Ensuite, rechercher laborieusement, au sein du monde moderne, avec le concours de l'Esprit, les signes du temps ou les pierres d'attentes ; essayer de les déceler, au cours du dialogue avec nos frères contemporains engagés dans les mutations de notre monde, en vue de répondre aux besoins de l'Esprit en eux. C'est satisfaire la recommandation évangélique de ne pas construire sur le sable, mais sur un socle préexistant, en deçà de la surface changeante.
- Après, tenter humblement de communiquer notre espérance dans un langage audible par les hommes d'aujourd'hui (qui s'estiment majeurs et acteurs de leur évolution), langage qui ne ferait qu'accompagner nos actes visibles.
Certes, le chemin est difficile, étroit ; mais le Christ nous a prévenus. Nos hésitations à s'y engager, comme pour le jeune homme riche, ne nous conduisent pas, pour autant, à nous enfermer dans notre pusillanimité. On appelait les premiers chrétiens les adeptes de la voie, voie tracée par l'Évangile. C'est sur ce chemin, simple et rugueux, que nous pourrons, avec d'autres, découvrir « qu'il existe aujourd'hui des raisons valables de croire, après que d'autres raisons ont perdu une part de leur validité »10 pour répondre au défi actuel opposé au christianisme en tant que religion.
C'est le message que le Christ fait retentir jusqu'aux racines de notre être, afin de nous ouvrir
audacieusement à un humanisme nouveau, où l'universel s'associe à l'intime particulier.
Notes
1 - Quinson Henri, Moines des Cités, p. 148.
2 - Pety Olivier, Les Cahiers du Mas de Carles, n° 2, p. 17
3 - Pety Olivier et Lorenzato Bernard ; Le Pauvre, huitième Sacrement, p. 12
4 - Martini C., «Entretien exclusif avec le Cardinal Martini », Croire Aujourd'hui, mai 2006.
5 - Zundel Maurice, Un autre regard sur l'homme pp.107-110.
6 - Moingt Joseph, Transmettre la foi ? , p. 6
7 - Guillebaud Jean-Claude, Comment je suis redevenu chrétien, pp. 37-38.
8 - Legendre Olivier, Confession d'un cardinal, p. 387.
9 - Kasper Walter, Manuel d'œcuménisme, p. 15
10 - Legendre Olivier, Confession d'un cardinal, p. 226.
Bibliographie
Bacq Philippe et Théobald Christoph (sous la direction de), Une nouvelle chance pour l'Évangile, Vers une pastorale d'engendrement, Les éditions de l'Atelier, Lumen Vitae, Bruxelles, 2004.
Gachoud François, Par-delà l'athéisme, Cerf, 2007
Guillebaud, Jean-Claude, Comment je suis redevenu Chrétien, Albin Michel, 2007
Kasper Car, Manuel d'œcuménisme spirituel, Nouvelle Cité 2007.
Le Gendre Olivier, Confession d'un cardinal, J.C. Lattès, 2007
Lenoir Frédéric, Le Christ philosophe, Plon, 2007
Martini Carlo Maria «Entretien exclusif avec le Cardinal Martini », Croire Aujourd'hui, mai 2006.
Moingt Joseph, Transmettre la foi ? Conférence faite au Groupe Jonas, Lyon, 2008.
Panika Raimon, Une christophanie pour notre temps, Acte Sud, 2001
Pascal Picq, Nouvelle histoire de l'Homme, Tempus, 2007.
Pety Olivier, Les Cahiers du Mas de Carles, n° 2, 1998.
Pety Olivier & Lorenzato Bernard ; Le Pauvre, huitième Sacrement, Médiaspaul, 2008
Quinson Henri, Moines des Cités, de Wall Street aux Quartiers Nord de Marseille. Ed. Nouvelles cités. 2008
Saoût Yves, Le bon Samaritain, Bayard, 2007
Sœur Emmanuelle, Mille et un bonheurs, Carnets Nord, 2007
Zundel Maurice, Un autre regard sur l'homme, Éditions du Jubilé, 2005.