Éléments pour une Vie selon l'Esprit

Publié le par Garrigues

Un point de vue sur l'Église de ce temps.

 

Après avoir prêché une retraite autour du thème : l'oraison et l'accompagnement deux supports pour la vie personnelle et ecclésiale, Christian Montfalcon répond à une lettre que lui avait envoyée un retraitant et donne son point de vue sur les questions que lui avait posées son correspondant

 

1. Deux spirituels : François de Sales et Zundel.

Il y a une sorte de parenté spirituelle entre François de Sales et Zundel. Est-ce parce qu'ils sont tous les deux des bords du Léman ?

Si j'aime François de Sales c'est qu'il est humain et humaniste. Sa foi ne bouscule pas, n'arrache pas; Faite de consentement, elle met au monde en prenant le temps de faire une place personnelle et originale pour être à l'aise dans la contemplation de Dieu et la relation à autrui. Il ébarbe de sa conduite tout ce qui peut nuire ou amenuiser la relation créatrice à soi et aux autres. Il aime tellement Dieu et son christ que comme eux, selon sa disponibilité et sa prévenance de créature humaine, il favorise l'homme temporel.

Avec Dieu et son Christ, comme eux, sa bonté se traduit en patience. Il n'exige pas plus que chacun ne peut porter mais il souhaite que chaque personne aille bonnement vers tout son possible. Pas de brusquerie, pas d'éclat, une lente pesée sur la réalité pour l'infléchir du coté de l'amour et du respect. François est un pasteur, pauvre et patient.


Maurice Zundel est un intellectuel au cœur ardent. Il prend fait et cause pour les pauvres, il pourfend les riches, les tance, et se rend facilement insupportable car il ne donne pas du temps au temps. Il voit les dérèglements et il en souffre avec ceux qui en pâtissent. Il vit dans l'immédiat de l'intelligence et du concept. Pour lui la vérité ne souffre pas de retard.

« Est, Est ; Non, Non » ; emballé c'est pesé !

Alors il se fait jeter, il souffre, il voit l'évidence et dénonce les dysfonctionnements ; il découvre que l'amour n'est pas aimé, il se bat, il prêche, il propose l'absolu parce qu'il l'a entrevu : Dieu et l'homme ont fait alliance. Leur cause est commune. Dieu n'aime qu'à travers l'homme et l'homme n'aime qu'à travers Dieu. L'homme trouvera en lui-même ainsi que dans sa relation aux autres et à la beauté, le "Chemin" qui s'ouvre du coté du Ciel. Sans repos Zundel se brûle dans la parole livrée aux auditoires médusés.

Tandis que sans repos, François de Sales au rythme de son cheval et de sa plume d'oie, avec sa copine Chantal, propose, appelle, suggère, reprend, Maurice Zundel lui, entraîne ceux qui l'écoutent, jusqu'au Ciel dans un char de feu..

Ces deux hommes sont passionnés du Christ et chacun selon son tempérament et aussi selon la culture de son époque, le font découvrir comme un Chemin de Liberté.


2. Amour propre et point d'honneur

Ces deux expressions font partie du vocabulaire de tous les "spirituels". Souvent par amour propre ils entendaient un repliement sur soi et une affection exagérée de ses intérêts, de ses opinions, de ses conceptions, comme si rien d'autre que soi n'était pris en compte. Dans l'amour propre pas de discernement, il est en effet inutile puisque rien ne met en balance le jugement, le choix et l'action.

Soi rien que soi : une enflure de l'ego qui étouffe le reste du monde.

Si l'amour propre est un discernement judicieux qui confronte bien personnel et bien d'autrui, alors vive l'amour propre puisque cet amour de soi conduit au cœur même de la source qui nous rend source. Cet amour propre a la vertu de nous situer à notre juste place de gérant sans nous mutiler. Ne jamais se "réduire" mais se respecter comme un bien commun pour autrui et la société. Ne jamais refouler l'excellence qui est en chacun de nous pour y reconnaître le don de Dieu qui n'appartient pas qu'à nous mais à toute la création.

Travailler à se valoriser non pas pour éclabousser ou dominer mais pour "rendre service" et contribuer pour sa part au bien de l'humanité concrète qui nous entoure.

Ainsi conçu l'amour propre chasse toute paresse, il suscite une sorte d'acharnement non pas pour soi mais pour que nous puissions contribuer le plus modestement et le plus efficacement possible à un projet de société basé sur des valeurs communes partagées entre ceux qui croient au Ciel et ceux qui n'y croient pas.

L'amour propre peut facilement déraper et devenir un faux alibi, il a sans cesse besoin d'être purifié par l'oraison, par :

- la « lectio » de l'Écriture

- la consultation des auteurs spirituels qui ont misé leur existence sur l'Évangile,

- le dialogue avec des frères, des sœurs dans la foi et la compétence professionnelle

- la direction spirituelle,

- l'observation de la conjoncture sociale

- l'engagement politique,  

- l'assouplissement de la conscience par la réflexion et des exercices appropriés

- une certaine pauvreté que d'autres nomment renoncement ou pénitence.


Le point d'honneur est d'une tout autre nature.

C'est une sorte d'entêtement, une crispation intérieure, une volonté d'avoir raison en tout et pour tout. Ceux qui sont atteints de cet aveuglement ne veulent pas négocier certains qu'ils sont de posséder la vérité. Jamais à l'écoute, ils imposent leur jugement, ne délibèrent avec personne, ils boudent facilement, n'ont pas de souplesse, si les autres ne sont pas d'accord avec eux ils les fuient. Ils préfèrent quitter une communauté plutôt que de chercher une vérité acceptable. Ils n'ont pas le sens du délai pour laisser advenir la vérité. Ils n'aiment pas temporiser, ils sont pressés de faire aboutir leurs projets. Plus dictateurs que démocrates, ils préfèrent le coup d'état à l'alternance. Il leur est insupportable de ne pas être reconnus. Ils sont parfois manipulateurs ou séducteurs pour faire aboutir leurs convictions.

Le point d'honneur est l'anti-Christ, l'anti-Pâque, l'anti-Croix ; la faiblesse et la tendresse ne les habitent pas.

Ils confondent la vérité avec ce qu'ils jugent le meilleur. Ils ont inventé l'inquisition, ils désirent ramener tout le monde à leur opinion.

S'ils sont  intelligents, ils sont pires que tout. Si jamais leur conviction est à la fois fondée et juste et que les autres ne les suivent pas, ils deviennent furieux. Ils deviennent idolâtres d'eux-mêmes

Le seul remède que je connaisse c'est

- l'esprit d'humilité,

- l'adoration de Dieu,

- l'obéissance choisie comme un exercice d'assouplissement.


3. Disponible par amour

Ces jours derniers un père mariste m'envoyait un courriel pour me demander si j'avais dans mes archives des notes autour du thème de la disponibilité. Il désirait préparer une retraite qu'une congrégation de religieuses lui avait demandée de prêcher autour de la spiritualité de la disponibilité. J'ai répondu brièvement car je n'avais rien de très préparé sur ce sujet.

Quelqu'un de disponible c'est quelqu'un qui est libéré d'un service comme un fonctionnaire est "mis en disponibilité".

Les disponibilités sont aussi des masses d'argent en réserve que l'on peut utiliser tout soudain pour répondre à un besoin.

Le temps est disponible quand il n'est pas pris par des obligations majeures.

Un esprit est disponible lorsqu'il n'est pas préoccupé par des soucis réels ou supposés.

Un bien est disponible lorsqu'il est vacant.

Un humain est disponible lorsqu'il n'est pas engagé dans des contrats qui le lient ou absorbé par des recherches ou des études qui l'emprisonnent à perpétuité.

Derrière l'adjectif disponible se profilent d'autres adjectifs : libre, dispos. Être en forme pour être libre d'intervenir, de rencontrer, d'agir en tel ou tel domaine.

La personne disponible n'a pas d'autre contrainte que celles qu'elle se donne librement. On peut se tenir disponible pour intervenir là où un jugement prudentiel conduira à une action encore imprévue non pas pour sa gloire mais la promotion désintéressée des autres.

La personne disponible se tient en réserve, ne bourre pas son agenda. Obéissance, vigilance, compétence pour rendre un service approprié.

Le "disponible" n'est pas éparpillé, il est rassemblé en lui-même pour être efficace quand il le juge utile. Il se tient sur ses gardes, il ne s'aliène pas par avance mais il est prêt pour l'action s'il se détermine pour une ou plusieurs interventions. Ce n'est pas un égoïste replié sur lui même, il est ouvert à ce qui se présente. Il écoute et répond.

Ces termes de dispon-ible et de dispon-ibilité me semblent très adaptés à une spiritualité de notre temps.

Je crois le Christ "disponible" dans son parcours terrestre. La rencontre d'autrui et les besoins du peuple, suscitent son action non pas selon un plan préétabli mais selon la requête de ceux et de celles qu'il rencontre. Sa liberté invente la bonté qui répond à un appel. Dans ce sens la croix ne le réduit pas, dans la contrainte il reste encore disponible pour confier sa mère à Jean et pardonner à ceux qui le maltraitent. La mort ne le ligote pas ; la porte du tombeau est ouverte et les bandelettes bien pliées à part.

La disponibilité d'un conjoint ou la disponibilité d'un célibataire n'est pas identique, mais elle peut fort bien être réelle et vraie dans les deux cas. Elle est communion au Christ source de disponibilité

Il me semble que le ministère presbytéral peut fort bien être exercé par un homme ou une femme célibataire ou mariée, mais il me semble aussi que le célibat peut dans certains cas facilité une libre disponibilité pour un peuple. Pas de projet trop précis, mais une attente disponible pour inventer des réponses aux besoins qui peuvent survenir.

À mon sens l'Église du Christ (catholique, protestante ou orthodoxe) devrait inventer des espèces de voltigeurs de la foi pour être des signes d'amour dans une société athée.

Je pense que c'est en ce sens que la génération qui a aujourd'hui cinquante ans, ou celle d'après, devra chercher dans ce sens et inventer des « structurettes ». Bien sûr il faut être plusieurs pour se lancer, seul n'aurait pas de sens...


4. L'Église signe collectif (sacrement) au sein du monde qui ne connaît pas Dieu ou le rejette

Le témoignage de chacun des baptisés, leurs paroles, leurs engagements, leur éthique, leur foi douce, bonne et exigeante, murmurent au monde ce que peut offrir la vie active et discrète d'un baptisé qui désire d'un grand désire vivre librement et avec cohérence l'Évangile du Christ dans tous les secteurs de son existence.

Chaque individu baptisé inséré dans le monde est proche d'un groupe d'amis, de collègues, de parents, de camarades de loisir. Il ne se cache pas. Il ne recrute pas, il n'enrôle personne. Pas de prosélytisme, il sait simplement répondre à ceux et celles qui le questionnent sur sa foi. Parfois il osera même inviter à une liturgie ou à une soirée chrétienne. " Viens et tu verras".

Ce baptisé plongé dans le monde n'est pas un isolé, ses solidarités multiples forment tout un réseau naturel composé de gens multiples et variés. Il discute, il aborde tous les sujets, il est offert aux regards de tous et sa relation avec les uns et les autres est douce, bonne désintéressé et efficace. Il sait comme tout le monde être amical, affectueux,  et faire réussir le groupe dans lequel il est inséré à cause de toutes ses activités humaines.

Ni mieux, ni plus mal que quiconque, ce baptisé s'efforce d'être à l'aise dans sa foi, non seulement rien ne l'oppose à toutes les valeurs des personnes et de la société, mais c'est le lieu de prédilection où il prend racines. 

Mais ce chrétien de proche en proche est aussi solidaire :

- d'une communauté de baptisés qui confessent collectivement leu foi,

- d'une Église implantée dans la société géographique ou culturelle,

- d'une hiérarchie qui parle, prend position, dénonce et encourage,

- des scandales collectifs proches ou éloignés de ses frères chrétiens,

- d'un passé ou d'une histoire pas toujours bien glorieuse !

Le signe pour être vrai, lisible et crédible, pour être simplement humain doit être à la fois individuel et collectif, pour être totalement humain et évangélique il doit être personnel et communautaire. Il devient alors sacrement

L'Église proche du monde de ce temps doit changer avec lui sans pour autant être girouette. Mais pour être fidèle au Christ vivant aujourd'hui, elle évolue à la vitesse du  monde. Sa parole n'est pas figée et encore moins rétrograde. Elle épouse les vicissitudes des civilisations.

Si elle sait prendre de la distance et dénoncer tout ce qui mutile l'humanité, si elle désire promouvoir le beau, le vrai et le bon et rejeter tout ce qui va à l'encontre de ces "universaux" elle ne se drape pas dans sa dignité mais s'efforce de parler claire, d'une seule voix, sur la place publique.

L'Église est un débat public, elle s'explique et révèle le pourquoi de ses positions. Elle n'a rien à cacher, l'Esprit du Christ la tient éveillée et amoureuse de son époque. Le Christ l'habite, elle en est le corps actuel offert comme nourriture à ceux qui désirent aujourd'hui manger à sa table.

Le Baptisé tient une double solidarité avec le monde dont il partage le destin et avec l'Église dont il partage la foi.

En même temps il est lui, lui seul, avec sa conscience, sa liberté, ses grandeurs et ses défauts personnels. Il participe aux ambigüités sordides et somptueuses de la société civile et ecclésiale. Il vit une certaine tension, les failles ne manquent pas et c'est dans cette conjoncture qu'il est appelé sans cesse à se situer et à inventer un chemin personnel et communautaire.


5. Aujourd'hui la nouveauté permanente de l'Incarnation

Il est bien évident que la société et l'Église traversent maintenant une crise majeure. Quelque chose se casse sans doute pour renaître d'une toute autre manière.

Les institutions peuvent-elles évoluer ou faut-il qu'elles s'usent et s'effondrent d'elles mêmes ?

Il ne s'agit pas d'envisager le pire et de mettre tout à feu et à sang mais d'entrer en patience et de commencer petitement à tisser l'avenir. On sait où l'on veut aller et l'on y va à son pas, en affrontant difficultés du terrain et fatigue personnelle

Combien de temps faudra-t-il pour que l'Europe des 27, avec ou sans la Turquie se mette en place. Je ne sais ! Il est vraisemblable que cinq ou six décennies (ou plus) seront nécessaires. Pour que les nations anciennes perdent leur nationalisme, que l'ensemble européen prenne corps et devienne cohérent dans les mœurs, les cultures, les langues, la politique étrangère il faut que dès maintenant chaque citoyen ainsi que tous les petits « grumeaux civiques » se décident à penser plus large que leur nation d'origine. C'est à la « base » que se gagnera l'Europe et pas seulement dans les « sommets » si importants soient-ils. Les abstentions aux dernières élections qui envoyaient des députés à Strasbourg signifient que le peuple ne s'est pas encore motivé. Seul un travail de fourmi au ras des pâquerettes changera les perspectives et aboutira à une fédération réussie.

Je crois que l'on peut raisonner d'une manière analogue (et non identique) pour l'Église :

- ce n'est pas demain matin que les paroisses changeront,

- ce n'est pas après demain que le centralisme hiérarchique romain perdra de sa vigueur,

- ce n'est pas dans quelques jours que l'annonce de Jésus Christ deviendra une promesse de bonheur pour un grand nombre,

- ce n'est pas dans un mois que la conversion à l'Évangile sera un signe fort aux yeux et au cœur des nations.

Mais la bonté de Dieu demeure,

- le Christ vivant appelle à chaque instant les humains,

- il irrigue et fortifie la liberté humaine,

- il trace le chemin,

- il offre la création entière,

- il suscite la communion...

L'Esprit coopère dans le secret avec les hommes et les femmes pour « faire » l'histoire.

Ce n'est pas Dieu qui manquera à l'humanité, il est le fidèle et son amour ne peut défaillir. Lui, il ne laissera pas « tomber » c'est l'homme qui prendra librement le risque de refuser de se convertir ou d'inventer une manière d'être adaptée à chaque mutation importante de la société. Faut-il encore que chacun entende dans son langage la proposition. Pour accepter ou refuser il faut avoir entendu un message crédible susceptible de grandeur et de désir...

Oui, je suis convaincu que la foi de quelques uns deviendra contagieuse et signifiera au monde la grande promesse éternelle.

Le temps est venu pour que commence modestement une ère nouvelle. Pas de tapage extérieur, mais une mobilisation intérieure et une présence efficace aux œuvres sociétaires de ce temps.

La douceur, la consolation, l'entre-aide, le pardon, l'intercession, l'écoute des personnes, l'offrande et la pauvreté deviendront aussi invitation au bonheur collectif.

La prière publique de quelques-uns présentera à la tendresse de Dieu l'univers et ses habitants. Les grandes foules défileront peut-être encore, mais à mon avis, dans la conjoncture présente, seule une poignée de confessants mettra au monde le message de l'Incarnation.

Christian Montfalcon

Publié dans Réflexions en chemin

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