De la Galilée au Golgotha : état des lieux
Voici que très bientôt la liturgie catholique nous invitera à lire le texte de l'Annonciation, qui évoque la Galilée, lieu de séjour de Marie quand elle reçoit la visite de l'Ange Gabriel : une occasion pour moi de vous inviter sur de nouveaux sentiers de garrigues parmi les parfums subtils de la langue hébraïque.
À l'origine de tout, nous trouvons la racine verbale gll, galal.
Il y a dans ce mot la rencontre de :
- la lettre ghimel, dont le nom signifie chameau et dont le hiéroglyphe évoque bien le long cou de l'animal,
- la lettre lamed, dont le nom signifierait aiguillon et dont le hiéroglyphe évoque irrésistiblement l'aile d'un oiseau. Redoublée, elle apporte un supplément de sens à sa signification propre
On doit donc s'attendre avec elles à rencontrer des mots évoquant la mobilité et même l'empressement, dans un mouvement continu comme la course d'un chameau ou le vol à tire-d'aile d'un oiseau, mais aussi la rontondité, comme le cou du chameau ou le mouvement des ailes de l'oiseau.
Galal signifie être rond (la forme) et donc rouler, tourner (le mouvement), mais aussi se précipiter (au mode augmentatif hitpaêl).
À partir de ce verbe, et en n'utilisant que ses trois consonnes, on pourra dérouler (c'est le cas de le dire !) des noms et des adjectifs, qui tournent tous autour de ce sens :
- galal : objet rond, ce qui tourne autour, ce qui a du rapport avec...
- ghelal : objet qu'on doit rouler, c'est-à-dire lourd, pesant, pierre lourde
- ghélel : excrément, comme cette petite chose ronde bien connue dans nos garrigues, la petoulo de bedigo (prononcer pétoule dé bédigue : crotte de brebis) ou de bico (prononcer bique : chèvre) !
En ajoutant une consonne, on créera :
- avec un ghimel : galgal, la roue (forme), le tourbillon (mouvement), la poussière soulevée par un tourbillon.
Mais, et nous entrons là dans le vif du sujet, on peut créer :
- avec un yod : galiyl, ce qui est rond (et/ou tournant), anneau, cercle mais aussi district, province.
Ce nom est aussi celui d'une province bien précise : la Galilée.
- avec un tav ajouté à galgal : goulegoleth, crâne.
Ce nom est aussi celui d'un lieu bien précis : le Golgotha.
La Galilée
Le prophète Isaïe parle de la Galilée comme d'un gheliyl hagoiym, un district des peuples, mais surtout, compte tenu de la connotation constante du mot goiym, d'un district des païens, voire des barbares (la province des excréments ?!)... On retrouve cette expression en Matthieu 4,15, avec l'allusion à la masse des peuples qui s'y côtoient et, une fois n'est pas coutume, je trouve la Traduction liturgique particulièrement subtile quand elle écrit carrefour des païens !
C'est le pays où Jésus a, selon les évangiles, vécu le plus longtemps et où se trouvent en particulier les villes de Nazareth et de Capharnaüm, ainsi que le lac de Tibériade.
Sa situation de plaque tournante, de carrefour où affluent les peuples de tous côtés, se retrouve bien dans la valeur numérique de son nom hébreu galiyl, puisqu'elle est 37 (pour la valeur des mots hébraïques, cf. l'article Déchiffrons les lettres hébraïques) et que le premier mot (première occurrence) de la Bible ayant cette valeur est béin qui est la préposition entre (Genèse 1,4 : traduction littérale Élohim sépara entre la lumière et entre les ténèbres) ; la Galilée est entre tous les peuples, le lieu où tous les peuples se croisent.
Le Golgotha
Le mot hébreu goulegoleth a pour valeur 52, nombre d'Élohim, un des noms de Dieu, mais aussi nombre du tohu-bohu originel de Genèse 1,2 : la terre était tohu et bohu, traduit en général par la terre était vide et vague (Bible de Jérusalem).
On sait que c'est le lieu de la crucifixion de Jésus, dont les évangélistes nous disent qu'il s'agit du lieu du crâne. À tort ! Le lieu du crâne serait en fait maqom goulegoleth, de valeur 62+52, soit 114, qui est aussi celle de l'expression bimeqom qadosho, dans son lieu saint. Cf. Psaume 24,3 : qui montera sur la montagne du Seigneur ? Et qui se tiendra dans son lieu saint ? Pur hasard ?
On peut alors se demander quelle est cette montagne et quel est le sens profond du mot lieu, qui paraît si important en hébreu que les évangélistes l'ont introduit à tort dans la traduction de Golgotha.
Pour cela, on commencera par lire Genèse 28,11-19 : [Jacob] arriva dans un lieu et y passa la nuit car le soleil était couché. Il prit une des pierres du lieu, en fit son chevet et coucha en ce lieu. Il eut un songe : voici qu'était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel ; des anges de Dieu y montaient et y descendaient. Voici que le Seigneur se tenait au-dessus de lui et dit : « Je suis le Seigneur, Dieu d'Abraham ton père et Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu couches, je la donnerai à toi et à ta descendance. Ta descendance sera pareille à la poussière de la terre. Tu te répandras à l'ouest, à l'est, au nord et au sud ; en toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre. Vois ! Je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras et je te ferai revenir vers cette terre car je ne t'abandonnerai pas jusqu'à ce que j'aie accompli tout ce que je t'ai dit. » Jacob se réveilla de son sommeil et s'écria : « Vraiment, le Seigneur est en ce lieu et je ne le savais pas ! » Il eut peur et s'écria : « Que ce lieu est redoutable ! Rien moins que, certainement, la maison de Dieu et la porte du ciel. » Jacob se leva de bon matin, il prit la pierre dont il avait fait son chevet, l'érigea en stèle et versa de l'huile au sommet. Il appela ce lieu Béthel - c'est-à-dire Maison de Dieu - mais auparavant le nom de la ville était Louz.
C'est le fameux épisode de l'Échelle de Jacob, qui comporte six fois le mot lieu dans ses neuf versets.
L'échelle, soulam, a pour valeur 58, nombre de Jésus ; Jacob y voit des envoyés de Dieu montant et descendant sur elle, expression valant 144, une élévation (au carré !) vers le ciel de toute l'humanité représentée par les 12 fils du même Jacob, qui préfigure Jésus disant à Nathanaël (Jean 1,51) : « vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'homme » et annonçant ainsi sa mort au Golgotha...
Le grand commentateur juif Rachi (rabbin à Troyes au 11e siècle) explique que ce lieu est le Lieu - déjà connu ; c'est le mont Moriah, ainsi qu'il est dit : il leva les yeux et vit le lieu de loin (Genèse 22,4 ; épisode du sacrifice d'Isaac par Abraham).
Ce mont est, selon la tradition le lieu du sacrifice d'Isaac, le lieu où se trouve le tombeau d'Adam et où Salomon a construit le Temple. C'est pour les juifs le centre du Monde, centre du mouvement centripète Monde >Terre promise > Jérusalem > Moriah > Temple > Saint des saints : l'échelle est plantée au centre du monde, elle est l'axe du monde, autour duquel tourne toute la création.
D'ailleurs, il faut imaginer cette échelle plutôt en forme d'hélice verticale (comme l'escalier à vis du château de Blois) qu'avec des échelons (comme une échelle de pompier) ! Cette forme peut aussi symboliser l'élévation de l'âme par la vie spirituelle qui, même si on a souvent l'impression de repasser toujours au même point, nous fait repasser sur la même verticale mais à l'étage au-dessus...
Et cette échelle tourne en rond... évidemment.
Jacob s'exclame en se réveillant : vraiment, le Seigneur est en ce lieu et je ne le savais pas !
Cette échelle dressée sur le seul lieu du monde qu'on peut qualifier de maison de Dieu et de porte du Ciel est aussi, bien sûr, l'image de la Croix de Jésus, centre et axe du monde pour l'éternité !
Jacob accomplit alors un geste liturgique, et, suivant la tradition juive, nomme le lieu Béthel, maison de Dieu, en hébreu beyit-'el dont la valeur est 47, nombre de l'Incarnation de Dieu en la personne de Jésus (sur ce nombre, cf. l'article Qui et l'agneau de Dieu incarné)...
Puis la Bible, une fois de plus, donne une précision sur laquelle on passe généralement trop vite : mais auparavant la ville s'appelait Louz. Ce nom est issu d'une racine verbale qui signifie s'écarter, se pervertir. C'est aussi le nom de l'amandier ou du noisetier, peut-être parce que leurs branches s'écartent en présence de l'eau du sourcier (perversion de sorcier ?).
Béthel est le lieu de la perversion qui devient la maison de Dieu ; le Golgotha est le lieu de l'infamie de la condamnation de l'innocent qui devient le lieu de la gloire et la maison de Dieu.
Un commentaire juif sur le verset Genèse 28,19 dit : Le fait que la Torah donne ici ce nom d'origine et le répète au chapitre 35,6 montre qu'elle attache à ce nom une certaine importance. Le mot louz est connu comme la désignation de l'os de la colonne vertébrale qui est absolument indestructible et qui résiste à tous les éléments, même au feu. C'est à partir de cet os que se produira la résurrection des morts. Il demeure perpétuellement égal à lui-même et il ne se décompose pas après la mort. Aussi le nom de Louz fut-il donné à une ville sur laquelle l'ange de la mort ne semblait pas avoir d'emprise. Ainsi Jérusalem, en raison de son caractère de Ville éternelle qui résiste à toutes les destructions et qui ressuscite toujours à nouveau de ses cendres. C'est à partir de Sion que s'accomplira la résurrection morale et spirituelle de l'humanité.
N'est-ce pas à juste titre qu'on vient de dire que l'échelle de Jacob est une image prophétique de la Croix de Jésus, ce supplicié dont aucun des os ne fut brisé ? : Elle est l'indestructible colonne vertébrale du monde et de chaque homme, le lieu à partir duquel s'est accomplie la Résurrection des morts et la résurrection morale et spirituelle de l'humanité.
C'est au centre du monde, sur le Golgotha, que Jésus donne sa vie, la Vie, lui le charpentier de Galilée.
Pour terminer, nous pouvons maintenant évoquer un autre verbe construit sur les deux lettres ghimel et lamed : galah, se découvrir, apparaître, être à nu, se révéler.
N'est-ce pas exactement ce que fait Jésus de Galilée au Golgotha : accepter que les hommes le mettent nu sur une croix pour se révéler comme Sauveur de l'Humanité tout entière ?
Trois clins d'œil pour se détendre :
- N'est-il pas curieux que nos galets soient des cailloux roulés par la mer et que nos calculs commencent en poussière et finissent en pierres (bien trop lourdes pour nos pauvres reins !) qui se manifestent cruellement chez certains d'entre nous ?
- N'est-il pas curieux que le futur roi David tue avec une pierre (ronde ?) lancée par une fronde (instrument tournant s'il en est !) le Philistin nommé... Goliath !
- N'est-il pas curieux que le nom de celui qui a prouvé la rotation de la Terre autour du Soleil soit Galileo Galilei, dit Galilée, mais qui est Galilée des Galilées, le plus Tournant des Tournants... et qu'il ait été à l'origine de l'appellation épicycloïde donnée à la figure générée par un point d'un cercle tournant le long d'un cercle (en gros le mouvement que nous faisons perpétuellement sans nous en rendre compte !) comme le montre la magnifique animation ci-dessous (merci à Wikipedia) ?