La Parole dans le Premier Testament
Une des caractéristiques de la Bible est de montrer des êtres de dialogue, les hommes entre eux, bien sûr, mais aussi Dieu, qui est un dieu qui parle, contrairement
aux dieux païens qui ont une bouche et ne parlent pas (Psaume 115,5).
Dans le Premier Testament, trois mots hébreux décrivent en général le fait de parler et s’appliquent à des degrés divers à Dieu : 'omer,
davar et ne’oum.
Les mots qui disent la parole
’omer, mais aussi ’émêr, ’merah, ’êmerah : parole, ordre…
On trouve la première occurrence (apparition) d’un mot contenant ’omer dès le 3e verset du 1er chapitre du 1er livre de la
Bible, la Genèse, dans la phrase : vayi’omer ’élohiym yehiy ’or, vayehiy-’or, il dit Élohim que soit la lumière et fut-la-lumière.
Ce vayi’omer est le premier d’une série de dix, les dix paroles de la Création prononcées par Élohim, nom de Dieu dans la Création en six jours du
premier chapitre de la Genèse.
Ces dix vayi’omer - il dit - sont des paroles purement créatrices : Dieu dit… et ce fut…
Il y a même, sous la forme l’émor - pour dire - une onzième occurrence de ’omer, quand Élohim parle pour la première fois à l’être
humain, mâle et femelle, qu’il vient de créer : Élohim les bénit en disant : soyez féconds… Cette première parole de Dieu à l’homme et à la femme, sous la forme spéciale
l’omer, vient, au-delà des 10 paroles créatrices de Dieu, leur donner à la fois le pouvoir et l’ordre d’être féconds - littéralement, de fructifier - ce qu’il avait dit aux
animaux marins et aériens qu’il avait créés (et, curieusement, pas aux animaux terrestres) mais aussi de dominer et soumettre la création tout entière : elle les constitue co-créateurs avec
Dieu…
Il y a dans l’ensemble de la Bible hébraïque - où on parle beaucoup ! - plus de 2000 formes verbales qui commencent par vayomer ; on ne peut donc
pas dire que ce mot est réservé à Dieu, même si c’est Lui qui l’a créé et utilisé le premier !
Davar : parole, ordre, commandement, promesse, sentence, conseil,
nouvelle…
La première occurrence d’un mot contenant davar est : vayidaver ’élohiym ’el-noach lé’mor, il parla Élohim à Noé pour dire (noter l’emploi de l’expression l’emor,
comme en Gn 1).
On est au chapitre 8, verset 15, de la Genèse, quand Dieu, qui s’était repenti d’avoir créé le monde et avait décidé de tout reprendre à zéro, demande à
Noé de sortir de l’arche à la fin du Déluge.
Davar est un mot de la même famille que midbar, le désert (en hébreu, la lettre beït peut se prononcer b ou
v) : un lieu où, en effet, Dieu parle à bien des personnages de la Bible, dont Moïse et Élie, qui, comme par hasard, se retrouvent aux côtés de Jésus (un autre connaisseur du
désert) dans l’épisode de la Transfiguration (Marc 9,2-10 et parallèles).
Pour cela il envoie même au désert l’épouse adultère qu’est le peuple d’Israël : je la conduirai au désert et je parlerai (hamidbar
vedibartiy) à son cœur (Osée 2,16).
Et c’est bien au cœur du désert que Dieu donne à Moïse et à son peuple les 10 devarim, ‘asêret
hadevariym que la Septante appelle les deka logous et les français d’aujourd’hui le Décalogue : le Décalogue n’est donc pas Les dix
Commandements mais Les dix Paroles… (Exode 34,28 ; cf. Deutéronome 10,4 : les dix paroles que parla YHVH, ‘aséret hadevarim ’asher diber
YHVH )
Dans l’ensemble de la Bible hébraïque, la Parole de Dieu est plus de 400 fois davar YHVH ; (mais seulement 8 fois davar Élohim et 3
fois davar Adonaï ). Plus de 2400 mots de la Bible contenant davar, on ne peut toujours pas dire que ce mot est réservé à Dieu, même si, encore une fois, c’est Lui qui l’a créé
et utilisé le premier !
Ce qui ne l’empêche pas de tenir ce qu’il dit : ne périt aucune parole de toutes les paroles de bonheur que YHVH avait dites (davar mikol hadavar
hatov ’asher-diber YHVH) à la maison d'Israël ; tout se réalisa (Josué 21,45) !
Ne’oum : parole
La première occurrence d’un mot contenant ne’oum se trouve dans la bénédiction d’Abraham au moment du sacrifice d’Isaac : vay’omer biy
nisheba‘etiy ne’oum-YHVH, [Dieu] dit : par moi je jure, parole du Seigneur… (Genèse 22,16)
Contrairement à ’omer et davar, ne’oum s’applique spécifiquement à la Parole de Dieu : 350 occurrences - sur 357 -
concernent Dieu !
L’expression ne’oum-YHVH est la fameuse expression oracle de YHVH que la Septante traduit par eïpen kyrios (o théos) ou
légheï kyrios (o théos), c’est-à-dire Le Seigneur Dieu dit…
Les mots qui disent la venue de Dieu dans le silence
On évoquera ici deux mots très employés dans la Bible hébraïque.
Qol : voix, cri
C’est le mot utilisé en 1 Rois 19,12, pour la rencontre de Dieu avec le prophète Élie dans le désert de l’Horeb : [le Seigneur n’était pas dans l’ouragan, le
Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre], le Seigneur n’était pas dans le feu ; et après le feu, le bruit d’une brise légère, selon la Bible de Jérusalem.
L’expression hébraïque est qol demamah daqah, dont le sens est littéralement la voix d’un silence ténu. Nulle brise n’est dans demamah, qui vient du
verbe damam qui signifie se taire… (Cf. le bel ouvrage de Michel Masson, Élie, ou l’appel du silence).
Ce n’est que dans le silence que Dieu peut passer dans la vie de l’homme et lui parler avec une (petite) chance d’être (enfin) entendu !
Et la première fois qu’il passe, c’est auprès de l’homme et de la femme qui viennent de manger le fruit de l’arbre interdit et se sont cachés, en Genèse 3,8 :
ils entendirent la voix (la B.J. dit le bruit…) de YHVH Élohim qui marchait dans le jardin à la brise du jour. Ici la brise est
rouach (prononcer rouar), l’esprit, le souffle, le vent…
« Où es-tu ? » dit Dieu… Car Dieu appelle l’homme, depuis toujours !
Qarah : appeler, crier
Qarah est le verbe employé pour donner un nom : Élohim appela la lumière jour… Celle-ci on l’appellera femme (’ishah) car de l’homme
(’iysh) elle fut tirée, celle-ci. (Genèse 1,5 et 2,20)
Mais c’est aussi le verbe de l’appel, du cri - comme en français - et, après le jardin d’Éden, Dieu a appelé bien des hommes : Abraham (Genèse 22,11), Moïse
(Exode 3,4 ;19,20 ; 24,16 ; Lévitique 1,1), Aaron et Miryam (Nombres 12,5), Samuel (1 Samuel 3,4) et souvent deux fois : L’ange de YHVH l’appela du ciel et dit :
Abraham ! Abraham ! Élohim l'appela du milieu du buisson et dit : Moïse, Moïse ! YHVH appela comme les autres fois : Samuel, Samuel !
C’est souvent aussi que ce Dieu qui parle écoute patiemment les hommes qui l’appellent : Isaac bâtit là un autel et cria le nom de YHVH (Genèse
26,25) ; Aaron cria le nom de YHVH (Exode 24,5) ; Samson cria vers YHVH (Juges 15,18), etc.
o O o
Les milliers de références des mots qui disent la parole montrent à l’évidence que la Bible n’est pas un livre d’introspection et de réflexion solitaires, mais bien
le livre du dialogue, depuis la création de l’Univers par la Parole de Dieu jusqu’à l’appel, ô combien pressant, de l’homme vers le Verbe de Dieu incarné de l’Apocalypse :
Viens, Seigneur Jésus ! (Ap 22,20)
Car la Parole de Dieu s’est faite chair (basar, mot qui en hébreu signifie aussi bonne
nouvelle, bonne parole !) en Jésus, le Messie : nouveauté incompréhensible, incomparable, folie de
Dieu qui nous ouvre les portes de l’infini, de la lumière sans fin !
La lumière sans fin, ’aïn soph ’or, est le degré supérieur, ultime, au-dessus des dix manifestations,
sephirot, de Dieu, que la kabbale juive représente sous la forme de l’Arbre de Vie.
Mais cela est une autre histoire, éternelle, dont on aura l’occasion de reparler !
René GUYON