Dieu Tout-Puissant
“Tout puissant” est un qualificatif habituel pour désigner Dieu. Il figure au début du Credo de Nicée, comme dans la Genèse (17,1), dans les livres sapientiaux (Job, Sagesse, etc.), ou l’Apocalypse (4,8 ; … ; 21,22). Sans doute le terme veut-il rendre compte de sa capacité de création. Pourtant, il gêne, aujourd’hui, nombre de croyants en semblant privilégier l’aspect justicier d’un Dieu terrible, que l’on peut d’ailleurs rencontrer parfois dans les Écritures. Cette gêne ne provient pas seulement de la tentation du monde moderne de banaliser et d’abaisser les relations hiérarchiques. L’insistance sur la “Toute puissance” manifeste une image de Dieu en contradiction avec tout ce que la théologie et la spiritualité modernes ont voulu mettre en valeur : un Dieu d’amour, plein de miséricorde, proche de sa créature…
Naguère, le père Varillon a pu parler de l’humilité de Dieu. L’expression pouvait paraître paradoxale, presque irrévérencieuse par rapport à l’insistance qu’ont mis les réformes et la piété depuis le XVIe siècle sur sa Majesté (sainte Thérèse d’Avila, cardinal de Bérulle, etc.), sa Gloire (manifestée dans l’art baroque)… bref, sa Toute Puissance. Pourtant cette tradition est, elle aussi, scripturaire. Quand Dieu apparaît à Élie, il ne se manifeste pas sous la forme d’un ouragan comme à Moïse (Exode 19,16), mais d’une brise légère (1er Livre des Rois 19,12). L’illustration la plus évidente de cette humilité de Dieu, c’est son Incarnation, l’un des pivots de notre foi. Quelle renonciation plus extraordinaire à sa Toute puissance ontologique que son entrée dans le temps de l’histoire à travers la fragile nature humaine et dans sa forme la plus fragile, celle d’un nouveau-né totalement “impuissant”, Verbe sans parole ; puis d’un enfant totalement soumis à ses parents ; pour finir sur une croix, comme un esclave ?
“Tout puissant” est la traduction littérale d’omnipotens. L’Apocalypse de la Bible de Jérusalem le traduit par “Maître-de-tout”. On pourrait tout aussi bien rendre le terme par “capable de tout”. “Capable” d’abord au sens géométrique, c’est à dire englobant tout l’univers, tout le créé ; mais aussi au sens populaire. En fait, Dieu ne peut pas “tout”, car il a limité, Lui-même, sa puissance en donnant à l’homme, “fait à son image”, le legs royal, divin et périlleux de la liberté.
Une réflexion sur ce don redoutable réglerait le classique débat antichrétien : “Si’ Dieu est Tout-puissant, pourquoi tolère-t-il les guerres, la misère, l’oppression des plus faibles ?” En créant l’homme par amour [qui ne se plaît pas à la contrainte et ne s’exalte que dans le consentement réciproque], en établissant l’homme coopérateur pour gérer le monde (Genèse 1,28), en lui donnant le statut de personne et non d’une marionnette qu’il aurait manipulée, le Créateur a pris le risque de voir sa volonté déviée. Elle l’a été. C’est tout le sens du mythe du péché originel. L’homme n’a pas voulu suivre le mode d’emploi de la création. Il a voulu changer les règles du jeu et jouer les apprentis-sorciers. Il continue encore. Doit-on tenir Dieu pour responsable des méfaits de l’homme : du gaspillage des biens qui lui avaient été donnés, de la destruction de ses frères, des horreurs qu’il a inventées pour imposer sa propre volonté contre celle de son créateur ?
Albert OLIVIER