Le silence de Lorna
de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Prix du scénario au Festival de Cannes
Les frères Dardenne restent fidèles à eux-mêmes. Dès La Promesse (1996), ils nous proposaient un regard aigu sur une réalité sociale d'aujourd'hui, la dégradation des conditions de vie sociale dans les grands ensembles urbains, avec présence des immigrés sans papiers, travail au noir, conditions de logement sordides, déstructuration industrielle d'une ville, Liège et sa banlieue, qui avait été prospère au 19e siècle. Mais dans un climat de magouille généralisée subsiste toujours une conscience : c'était le fils adolescent qui réagissait lorsque son père, dans ses trafics, allait trop loin.
Ont suivi ensuite leurs trois chefs d'œuvre, couronnés de deux Palmes d'Or à Cannes : Rosetta (1999), Le fils (2002) et L'enfant (2005). Toujours à Liège, toujours ce réveil de l'humain, de la conscience morale, chez des êtres malmenés par la vie, toujours un talent extrême pour être au plus près des êtres en sachant suggérer la vitalité intérieure, spirituelle, qui subsiste chez chacun.
Le silence de Lorna se situe bien dans ce sillage. On rejoint cette fois à Liège une bande de petits mafieux et une jeune immigrée d'origine albanaise qui veut à tout prix s'en sortir. Le récit est plus complexe que dans les films précédents, justifiant le Prix du scénario obtenu à Cannes. La jeune femme, Lorna, est une intrigante, ont dit les frères Dardenne eux-mêmes, prête à tout pour arriver à la réussite. A tout ? Justement non ! Un mariage blanc, des petits trafics, pour gagner de l'argent, oui. Mais mettre à mort, pour gagner plus d'argent, non, cela se heurte à un impératif absolu, qui resurgit : « Tu ne tueras pas ». Lorna se trouve dès lors déchirée. Les questions sociales deviennent des dilemmes moraux, que les auteurs savent très bien mettre en relief à travers leur mise en scène et à travers le jeu des acteurs. Tout en restant de grands cinéastes, les frères Dardenne continuent à illustrer la pensée du philosophe Lévinas : tout visage humain a une valeur absolue.
Jacques Lefur