Les voleurs de feu
par Vladimir Jankélévitch
1903-1985
Nourri des cultures judéo-chrétienne, grecque et slave, Vladimir Jankélévitch se pose — d’une manière volontiers déconcertante — en philosophe du « je-ne-sais-quoi » et du « presque rien ». Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de philosophie — major du millésime 1926 —, il développe en effet une pensée aux images et aux références paradoxales. Un temps en poste à l’Institut français de Prague (1927-1933), il se tourne ensuite vers l’université (Besançon, Toulouse, Lille). Mais c’est d’un très mauvais œil que le gouvernement de Vichy considère ses origines juives... Mobilisé en 1939, blessé l’année suivante, il n’en est pas moins déchu de la nationalité française. Radié de l’enseignement, il ne sera réintégré qu’au lendemain de la guerre et finira par occuper la chaire de philosophie morale à la Sorbonne. Son existence continue alors de se décliner en un invariable triptyque : la philosophie, bien sûr, mais également la musique et l’engagement dans les grands combats du siècle (Mai 1968, Israël...). Présenté comme un « ouvrage de référence » son Traité des vertus (1949) révèle, de fait, « une éthique de la volonté agissante ». Plus que jamais attentif à la question existentielle de la durée et de l’instant, il y égrène, de l’aveu des spécialistes, des réflexions « aux confluents du néoplatonisme, de la mystique des Pères de l’Église, du pur amour fénelonien, de la bonne volonté kantienne et de la pureté de cœur kierkegaardienne ».
Toutes les illuminations sont désormais possibles.
Pascal Marchetti-Leca
Aucun homme d’affaires, si endurci qu’il soit, ne songe sans émotion à ces oasis de fraîcheur et de vérité dans le désert d’une existence épicière ; aucun ne se rappelle sans une indicible gratitude cet éphémère printemps de sa jeunesse, ce printemps béni, ce printemps des amoureux où l’homme d’affaires fut, lui aussi, désintéressé, généreux, sincère et capable d’agir pour le seul plaisir de faire plaisir. Car qui a connu, fût-ce pendant quelques heures, la grande et merveilleuse et rafraîchissante simplification, la joie grave que l’amour nous apporte, celui-là pourra se dire : j’ai vécu ; moi aussi j’ai eu ma courte ivresse et ma soirée de printemps ; le destin m’a prêté quelques quarts d’heure d’une vérité en échange de laquelle beaucoup d’importants personnages donneraient avec joie leur importante vie ; avoir été jeune, avoir aimé, souffert, espéré et passionnément attendu d’un autre son bonheur : voilà certes la vie authentique.
Car qu’est-ce qu’aimer, sinon vivre et se sentir vivre ? Il y a dans un quart d’heure de vérité de quoi rendre un sens et une raison d’être à toute une longue vie fantômale. »
Vladimir Jankélévitch
TRAITÉ DES VERTUS, 1949
Envoyé par C. Montfalcon