Devoir de vacances (1) : La pêche, ligne par ligne

Publié le par Garrigues

Jésus apparaît à sept disciples

1 Après cela, Jésus se manifesta aux disciples sur les bords de la mer de Tibériade . Voici comment les choses se passèrent. 2 Simon-Pierre, Thomas qu'on appelle Didyme, Nathanaël de Cana de Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples se trouvaient ensemble. 3a Simon-Pierre leur dit : "Je vais pêcher." Ils lui dirent : "Nous allons avec toi."

Donc, après la mort de Jésus, la majorité des disciples (7 sur 12) retourne à ses occupations précédant l' "appel". Comme si de rien n'était ? On ne sait.

3b Ils sortirent et montèrent dans la barque, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien. 4 C'était déjà le matin lorsque Jésus vint se placer sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était lui.

Jésus les "attend au tournant", si l'on ose dire ; mais il les attend, et sans doute depuis un bon moment puisque son feu est réduit à l'état de braises (verset 9). Nul impatience en lui, nul ressentiment envers des gens qui ont vécu trois ans avec lui une expérience vitale, exceptionnelle, qu'on aurait cru inoubliable, qui ne le reconnaissent pas (comme toutes les personnes rencontrées par Jésus après la Résurrection, à commencer par Marie-Madeleine), et qui semblent - sinon avoir oublié cette expérience - du moins avoir mis une pause sur la "mission" reçue (20,21-23), ou au minimum sur la forme qu'elle devrait prendre. Pas encore de tentation "cléricale".

5 Il leur dit : "Eh, les enfants, n'avez-vous pas un peu de poisson ?" "Non", lui répondirent-ils. 6 Il leur dit : "Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez." Ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener.

Jésus prend les hommes comme ils sont et par ce qu'ils sont. Le ton est d'ailleurs familier : il ne les appelle ni "disciples", ni même "amis", mais "les enfants". Et comme ils sont des pêcheurs, il leur demande ce qu'ils sont censés pouvoir lui donner aisément : du poisson ; ils n'en ont pas. Il ne leur en donne pas directement ; il leur indique le moyen d'en trouver (alors que lui-même en a déjà mis à griller sur un feu). Dieu n'est pas un manipulateur. Pour réaliser son œuvre, les hommes doivent mettre la main à la pâte. Mais il leur fait trouver ce qu'il leur faut, et plus que ce que ces "enfants" pouvaient en espérer.

7 Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : "C'est le Seigneur !" Dès qu'il eut entendu que c'était le Seigneur, Simon-Pierre ceignit un vêtement, car il était nu, et il se jeta à la mer. 8 les autres disciples revinrent avec la barque, en tirant le filet plein de poissons : en fait, ils n'étaient pas bien loin de la rive, à deux cents coudées environ. 9 Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain. 10 Jésus leur dit : "Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre."

On a souvent insisté sur la réactivité de Pierre, son impulsivité, sa spontanéité : "Non, jamais tu ne me laveras pas les pieds" (13,8 et autres). Certes, il ne peut patienter jusqu'à ce que la barque parvienne à terre (alors qu'elle n'en est qu'à une centaine de mètres). Respectueux du "Seigneur", pourtant, il prend le soin, et donc le temps, de ceindre un vêtement. Sur la plage, le feu de braise les attend, manifestant que la sollicitude de Jésus était attentive à leur fatigue de la nuit. Surtout, il les engage à contribuer à la partie communautaire ("communielle" ?) de leur rencontre : « apportez ces poissons ». Dieu a aussi besoin des hommes pour que la vie sur Terre soit plus humaine.

11 Simon-Pierre remonta donc dans la barque et il tira à terre le filet que remplissaient cent cinquante trois gros poissons, et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas. 12 Jésus leur dit : "Venez déjeuner." Aucun des disciples n'osait lui poser la question : "Qui es-tu ?", mais ils savaient bien que c'était le Seigneur. 13 Alors Jésus vient, il prend le pain et le leur donne ; il fit de même avec le poisson. 14 Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples depuis qu'il s'était relevé d'entre les morts.

Inutile de commenter les 153 poissons, ils l'ont été excellemment par René dans un article du 2 juin 2006 dans G&S. À noter en revanche, que ces poissons (nouveaux "disciples" ?) ne peuvent être remontés à bord de la "barque de Pierre" sous peine de faire craquer le filet. Peut être le successeur de Pierre pourrait-il s'inspirer de cette méthode pastorale pour ne pas s'efforcer de mettre "tout le monde dans le même cageot" et accepter qu'il y ait une manière plus respectueuse et par là plus efficace de traiter les "prises". En outre, cette pédagogie passe par la plus banale occasion de rencontre : le repas. Faut-il rappeler que le cœur de la foi chrétienne s'est joué au cours d'un repas ? Et que l'Église réitère celui-ci chaque dimanche, quand elle célèbre son "chef".

Si c'est la 3e fois que Jésus se révèle aux apôtres après ses "relevailles" - 3, chiffre symbolique de la perfection divine - c'est aussi la dernière. Les théologiens en concluront, peut-être, que c'est bien la preuve que la "révélation" est close avec la fin de la vie terrestre de Jésus. Ce serait oublier que cette révélation restait et doit rester vivante, puisque la Pentecôte est l'accomplissement de la promesse qu'il avait faite d'envoyer son Esprit.

Jésus demande à Pierre : m'aimes-tu ?

15 Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ?" Il répondit : "Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime", et Jésus lui dit alors : "Pais mes agneaux." 16 Une seconde fois, Jésus lui dit : "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?" Il répondit : "oui, Seigneur, tu sais que je t'aime." Jésus dit : "Sois le * berger de mes brebis." 17 Une troisième fois, il dit : "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?"; Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois : "M'aimes-tu ?" et il reprit : "Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime." Et Jésus lui dit : "Pais mes brebis. 18 En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c'est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudrais pas." 19 Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu; et sur cette parole, il ajouta : "Suis-moi."

Voilà bien un des passages de Jean parmi les plus commentés. On y a vu l'acte fondateur de l'Église pontificale... Mais pour y parvenir, il fallait bien voiler quelque peu le triple reniement de "saint Pierre". À noter, en passant, que le premier pape avait ce côté sympathique du "trop humain", qui le rend proche de nous, de nos propres reniements, de nos chutes renouvelées, au lieu d'être présenté, au moins depuis la "Contre-réforme" et jusque récemment (?!), comme un personnage au-dessus de l'humaine condition, « dont les paroles seraient comme autant d'oracles », selon l'affirmation d'un prédicateur du XVIIe siècle, poursuivie par bien des papolâtres de nos jours.

Pierre est pétri de qualités et de défauts humains. Lorsque Jésus l'interpelle, avec insistance, sur le degré de son amour, émotif comme il est il devient triste. Sans doute parce qu'il se souvient de sa lâcheté du soir du "jeudi saint", mais aussi parce qu'il doit se sentir très démuni pour prouver à Jésus que - malgré tout - il « l'aime plus que ceux-ci ». Alors Jésus va lui prédire ce qui l'attend tout en l'invitant à le suivre  ; or Pierre suivra. C'est une formidable espérance pour nous tous de savoir, sans heureusement connaître par où nous devrons passer, que nous pourrons aller à la suite du maître en dépit de nos médiocrités si nous persistons.

Le témoignage du disciple bien-aimé

20 Pierre s'étant retourné vit derrière lui le disciple que Jésus aimait, celui qui, au cours du repas, s'était penché vers sa poitrine et qui avait dit : "Seigneur, qui est celui qui va te livrer ?" 21 Quand il le vit, Pierre dit : "Et lui, Seigneur, que lui arrivera-t-il ?" 22 Jésus lui répondit : "Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi." 23 C'est à partir de cette parole qu'on a répété parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. En réalité Jésus ne lui avait pas dit qu'il ne mourrait pas, mais bien : "Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? "

Voilà encore un passage très commenté. On a voulu y voir l'indice qu'il existe, dès l'origine, un ésotérisme chrétien. Pierre s'occuperait du gros du troupeau, et Jean d'une poignée d'élus accédant à une immortalité spirituelle immédiate, comme à travers une transmutation alchimique. À cette occasion, on pourrait tenir compte de la mise en garde, par l'évangéliste, de ne pas faire dire au Christ ce qu'il n'a pas dit et qu'on voudrait entendre.

On peut y lire aussi le rappel qu'« il y a plusieurs demeures dans la maison du Père » (14,2), et que chacun peut et/ou doit suivre sa voie propre, sans que cela "importe" aux autres. C'est une affaire entre Dieu et lui. C'est le contraire de l'uniformité confondue avec l'"unanimité" : « qu'ils soient un » (17,20-24). On peut soutenir la même cause avec des motivations et moyens d'action différents. Quel signe d'authenticité de la voie choisie ? C'est aux fruits qu'on reconnaît le bon arbre, critère évangélique trop peu souvent retenu.

24 C'est ce disciple qui témoigne de ces choses et qui les a écrites, et nous savons que son témoignage est conforme à la vérité.

Le mot important ici est le mot témoignage. Le scripteur de cet évangile tardif, qu'on désigne sous le nom de Jean, se situe probablement dans la lignée de l'école de Jean, où d'authentiques "témoins" de la vie et de la mort de Jésus ont pu rapporter ce qu'ils ont vu, de leurs yeux vu. Ce qui est "écrit", ce ne sont pas de simples racontars : voilà ce qui est proclamé ici. Et l'on ne rencontre guère ce genre de conviction dans des apocryphes.

25 Jésus a fait encore bien d'autres choses : si on les écrivait une à une, le monde entier ne pourrait, je pense, contenir tous les livres qu'on écrirait.

No comment, on a là une réflexion de type rhétorique, amplification, exagération pour dire simplement qu'il y aurait encore beaucoup... à dire.

Albert Olivier

Publié dans Réflexions en chemin

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