Conversion : un mot, des réalités spirituelles très diverses

Publié le par Garrigues

Lorsqu'on parle aujourd'hui de "convertis", on pense d'abord aux personnes qui passent d'une religion à une autre (c'est devenu "tendance"), ou qui, athées ou agnostiques, adoptent une religion particulière. Comme "droit" à changer non seulement de cœur, mais d'Église, a fortiori de religion, la conversion n'a pas toujours été jugée avec tolérance à travers l'histoire. Au XVIIe siècle, des chrétiens qui abandonnaient leur Église étaient considérés comme des renégats, et cela vaut encore aujourd'hui dans certaines traditions religieuses où les "apostats" sont passibles de poursuites et de peines sévères.

Mais le mot peut correspondre également à une opération qui survient au for interne de la personne et à l'intérieur de sa propre religion. Il s'agit d'une mutation, d'un véritable "retournement" (c'est le sens étymologique de conversion) de tout l'être vers Dieu. En ce sens, le mot est l'accompagnement obligé de tous les revivals religieux. Au IVe siècle, les conversi sont des baptisés qui découvrent dans la spiritualité monastique une réponse à leur souci de vivre pleinement l'Évangile en un temps où la conversion de l'Empire au christianisme entraîne pour l'Église bien des compromissions. Et si le mot connaît une relative éclipse avec l'avènement de la "chrétienté" médiévale, il reparaît tout naturellement avec la Réforme, ou plutôt les réformes religieuses des XVIe et XVIIesociologique" (même si on n'employait pas encore ce terme) à une adhésion volontaire et intime au Christ. Ce fut le fait du concile de Trente (1545-1563) qui a insisté sur l'Eucharistie et la Pénitence, comme "signes" d'une vie tournée vers Dieu. Ce qui était faire le lien entre confession et conversion pour conduire à un engagement, fort et souvent définitif, qui modifiait profondément le mode de vie de l'individu concerné, le tournant généralement vers la dévotion et les œuvres "pies" et, allant plus loin parfois, à être un agent actif de la réforme de l'Église. Beaucoup de fondateurs ou de réformateurs d'ordre ou de congrégation ont été des "convertis" de ce type : Ignace de Loyola, Vincent de Paul, Angélique Arnaud ... Ce fut également le cas de notables laïcs, telles la duchesse de Longueville († 1679), protectrice de Port-Royal, aussi bien que l'actrice Ève Lavallière († 1929) devenue tertiaire de Saint François et bienfaitrice des pauvres... Et de nos jours, songeons aux born again des Églises évangéliques, américaines et autres, et aux conversions qui sont le lot des mouvements du Renouveau charismatique que connaissent toutes les Églises. siècles. La Contre-Réforme ou, mieux, la "Réforme catholique" a insisté intensément sur la nécessité de passer d'une "religion

Bien entendu, il n'y a pas de contradiction entre les deux acceptions du mot. Généralement, celui qui change d'Église ou de religion le fait dans un grand élan de l'esprit et du cœur dont il n'y a pas lieu de mettre en doute la sincérité, et qui s'accompagne d'un "retournement" définitif vers une "vie nouvelle". Pensons aux grands piliers du christianisme comme Paul de Tarse ou Augustin d'Hippone. Mais plus encore que Paul, juif profondément religieux, foudroyé sur le chemin de Damas, Augustin est exemplaire. Son adhésion au Christ est l'aboutissement d'une longue marche, une "évolution choisie" faite d'élans, de doutes, de reculs, jusqu'à une "désappropriation profonde de son moi ancien", et d'une nécessaire rupture pour entrer dans l'intimité d'un Dieu qui le libère. Il en a laissé le récit abondant, sincère et subtilement analysé dans ses "Confessions", l'une des premières, sinon la toute première autobiographie spirituelle, dont l'influence a été considérable. Il n'est pas rare, dans les Vies de saints, genre littéraire si longtemps prisé dans toutes les classes sociales et à l'origine d'authentiques conversions, de voir mise en évidence cette rupture entre un passé parfois agité, voire un peu trouble, et une vie toute donnée à Dieu et au prochain. Les hagiographes ne se sont pas privés d'en rajouter, afin que la conversion de leur héros soit plus éclatante et méritoire.

Mais il n'y a pas que les conversions individuelles. Depuis quelques décennies, disons depuis Vatican II, notre génération est témoin d'une conversion collective des Chrétiens. Passage d'un Dieu, juge "tout puissant" à un Père miséricordieux et qui se révèle dans la faiblesse de l'Incarnation et de la Croix. Passage aussi d'une Église triomphaliste, dont une grande partie des "ouailles" suivaient indifférentes, même parmi les "pratiquants", à des communautés affaiblies sans doute, voire fragiles, mais militantes, plus fraternelles et accueillantes, ne rejetant pas la foi des autres comme des ramassis d'erreurs. Il est vrai que cette manière d'approcher Dieu n'est pas commune à tous les catholiques, y compris dans les plus hautes strates de l'Église institutionnelle ... Conversion collective, et même révolution, force est de constater que sans liberté, il n'est pas de foi valide. Elle peut d'autant moins s'imposer que la prédication ordinaire l'affirme : «c'est Dieu qui donne la foi», et qu'aucun clerc ne peut prétendre se substituer totalement à Dieu en ce domaine !

Il reste que tout aussi sincère, tout aussi respectable, tout aussi considérable (= "à considérer") est la proclamation par beaucoup de nos contemporains de leur agnosticisme. "Grâce à Dieu", c'est un droit qui reste encore permis dans notre république et qui a le mérite d'interpeller nos "professions de foi" trop tranquilles. Il est parfois si facile, si reposant, se retrancher derrière la certitude que nous pensons détenir ! L'agnosticisme nous rend l'immense service d'une remise en question.

Marcel Bernos

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