L’enfant prodigue est-il un converti ?
Confession et conversion au XVIIe siècle
Au XVIIe siècle, le mot "conversion" ne désigne pas d'abord un changement de religion ou l'entrée dans l'Église d'un incroyant, mais le bouleversement intérieur qui fait d'un chrétien "sociologique" un croyant sincère et pratiquant zélé. Le moyen primordial en était la confession honnête et complète de tous ses péchés. Cette relation mérite d'être soulignée à notre époque où ce sacrement n'attire plus beaucoup les fidèles.
Le Nouveau Testament nous présente des types de convertis différents, tous cependant se reconnaissent pécheurs : Paul, foudroyé par la
Grâce efficace, reconnaît le tort qu'il a fait aux chrétiens ; en lui Dieu fait irruption ; Pierre, honteux de son reniement, Madeleine pleurant sur sa vie passée, tous deux
"retournés" vers un Dieu qui se révèle amour dans le déchirement du péché ; l'Enfant prodigue, "rentrant en lui-même", et pour cela souvent pris par les prédicateurs comme "modèle" du
converti.
L'enfant prodigue modèle des convertis
Un homme avait
deux fils.
Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part du bien qui doit me revenir [..,] » Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout réalisé, partit pour un pays lointain et
il y dissipa son bien dans une vie de désordre.
Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays et il commença à se trouver dans l'indigence. Il alla se mettre au service d'un des citoyens de ce pays qui l'envoya dans ses
champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre des gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui en donnait.
Rentrant alors en lui-même, il se dit : « Combien d'ouvriers de mon père ont du pain de reste, tandis que moi, ici, je meurs de faim. » Je vais aller vers mon père et je lui
dirai : « Père, j'ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d'être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers ».
Il alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l'aperçut et fut pris de pitié: il courut se jeter à son cou [...]. Le fils lui dit : « Père, j'ai péché envers le ciel et
contre toi. Je ne mérite plus d'être appelé ton fils... Mais le père, etc.Luc 15,11-22 - version T.O.B.) (
Une enquête rapide portant sur les thèmes de sermons ou sur les méditations de retraites dans la seconde moitié du XVIIe siècle, montre que le texte de Luc a été particulièrement utilisé par les Jésuites ; ce choix ne relève pas, théologiquement, du hasard.
Quoiqu'elle ne soit pas toujours placée au même point, dans le cours de la retraite, la méditation sur l'Enfant prodigue se trouve généralement dans la première partie, celle qui est destinée à « détacher l'homme de l'amour déréglé de soi-même et des créatures et de toute affection au péché » (C. Judde, Grande retraite). Elle se trouve souvent à une articulation du procès pédagogique de la retraite ; par exemple, elle précède juste le moment de prise de décisions dans la première retraite de huit jours de Nicolas Sanadon ; chez le père Vatier, elle suit les méditations sur "la mort, le jugement et les fruits de la pénitence" ; chez Jean Crasset, "sur l'enfer et la tiédeur", elle précède les motifs d'humilité, de crainte et de pénitence. Elle se situe donc, chaque fois, entre une révision d'un passé de pécheur et un choix de vie à faire.
Figure incontestée du converti, l'Enfant prodigue aurait pu être l'occasion d'un des débats les plus controversés de théologie morale du siècle. En effet, quand on reprend saint Luc, et si l'on reste à la lettre du texte, les versets 17 et 18 démontent les circonstances de sa "conversion" : «rentrant alors en lui-même, il se dit : "combien d'ouvriers de mon père ont du pain de reste, tandis que moi, ici, je meurs de faim". Je vais aller vers mon père...» . Rien n'indique que le retour du fils s'accompagne d'un réel sentiment de "détestation" du péché provoqué par un amour désintéressé du père, ce qui caractériserait la contrition : « La première vue qui le toucha ce fut celle de sa misère... De riche qu'il était, le voilà d'une extrême pauvreté ... Cette liberté dont il avait été si jaloux, il est obligé de l'engager... il manque de pain pour se nourrir... C'est donc alors qu'il rentre en lui-même » (Bourdaloue). C'est reconnaître que son regret reste lié aux conséquences désavantageuses que le péché a pu avoir pour lui-même, ce qui définit proprement l'attrition si vigoureusement combattue par les Jansénistes. Or, aucun auteur, ni janséniste ni jésuite, n'en fait la remarque. Les Jésuites sont très conscients de ce que leur position doctrinale sur la question, même s'il y avait eu des abus dans la pratique, était parfaitement conforme aux décrets du concile de Trente (XIVe session, 25.11.1551) qui affirmait : « cette contrition imparfaite que l'on appelle attrition... si, avec l'espérance du pardon, elle exclut la volonté de péché, non seulement [elle] ne rend point l'homme hypocrite et plus grand pécheur, mais encore elle est... une impulsion du Saint-Esprit qui meut [l'homme], et à l'aide de laquelle, il se prépare la voie à la justice. Et quoiqu'elle ne puisse pas par elle-même, sans le sacrement de pénitence, conduire le pécheur jusqu'à la justification, elle le dispose toutefois à obtenir la grâce de Dieu dans le sacrement de Pénitence. »
Le père Jacques Nouet, anti-janséniste militant, soutient que « l'attrition qui naît de la crainte de l'enfer, et qui exclut la volonté de pécher, est un effet de la grâce de Jésus-Christ, qui dispose le pécheur à obtenir la grâce de la justification dans le sacrement de pénitence ». Il rappelle, en outre (L'homme d'oraison), que la Sorbonne a condamné, en 1638, « l'opinion de ceux qui croient que l'attrition est insuffisante et que la contrition provenant de la charité parfaite est d'une absolue nécessité pour recevoir le sacrement de pénitence ».
La crainte comme moteur de la conversion est un argument courant de la prédication comme de la direction spirituelle. Le R.P. Claude Judde de la Compagnie de Jésus, dans sa belle méditation "De la conversion parfaite, sur la parabole de l'Enfant prodigue", en décèle la présence dans son commentaire du verset 19 : « Que je tremble, du moins, si je suis encore incapable d'aimer. Avec les grâces ordinaires, attentif à en profiter, j'avancerai plus que je ne fis avec la grâce des enfants, des amis, des favoris. »
Bourdaloue, comme d'autres membres de la "Société", dépasse la lettre du texte néo-testamentaire pour le spiritualiser : «Après avoir considéré sa misère et l'avoir déplorée avec bien de la compassion pour lui-même, ce prodigue prit un sentiment encore plus raisonnable et plus généreux, parce qu'il était moins intéressé. Il se retraça dans l'esprit toutes les bontés de son père, et ce souvenir-là le couvrit de confusion et le saisit de douleur.» Mais il concède, en toute honnêteté intellectuelle, que « l'Évangile ne nous marque rien là-dessus en détail ».
En fait, pour la plupart des Jésuites, l'essentiel n'était pas la pureté de l'intention, mais la réalité de l'acte. Or, l'Enfant prodigue, après son constat d'échec, se lève. « C'est là, dit le père Maimbourg, le commencement de sa conversion... une ferme et inébranlable volonté de changer de vie », et ce quelles qu'en soient les raisons, car il quitte par là-même, l'"occasion prochaine" de pécher. Ce mouvement initial "vers son père" peut gagner en qualité et en profondeur pour l'amener sur le chemin de la perfection. Le fait de se lever dénoterait déjà un élan d'amour, quoique celui du père pour le fils ait précédé celui du fils et l'a permis. Le plus sûr pour le fils était de manifester son repentir, autrement dit de recourir à la pénitence et donc à la confession.
Là encore, le prodigue a un comportement "exemplaire". L'oratorien Julien Loriot remarque : « [Il] ne s'excuse point, il confesse ingénument sa faute... ne s'estime plus digne de la qualité de fils». Et il ajoute : « Et que diront ces téméraires et ces présomptueux qui, ayant vomi mille ordures au pied d'un confesseur, prétendent à l'heure même et sans délai être admis à la table des véritables enfants, je veux dire à la sainte Communion ».
Là réside la pierre d'achoppement entre rigoristes et laxistes en matière morale : la question du délai ou du refus d'absolution. Remarquons que la parabole ne semble pas approuver les premiers. La plupart des auteurs insistent, au contraire, plus ou moins explicitement, sur le lien étroit entre l'aveu de la faute et la restauration de l'amour paternel pour le fils. Le père Maimbourg note : « Et d'autant que l'amour qui justifie le pénitent tout à coup par lui-même, en le rétablissant dans l'état de grâce, enferme nécessairement la volonté et le ferme propos d'une bonne confession, la voici contenue avec toutes ses perfections dans ces admirables paroles : "et dicam ei : pater, peccavi in caelum et coram te". [Il] s'accuse de tous les péchés... avec une profonde humilité ; se reconnaissant indigne de la qualité de fils ... et néanmoins avec une entière confiance en la bonté et miséricorde de Dieu. »
Cet amour ne procède pas de l'homme, ce qui serait du semi-pélagianisme, car précise le même Maimbourg, « il n'y a que Dieu seul qui donne [à l'homme] la force et le moyen de retourner à lui... par la grâce prévenante qui éclaire l'entendement et... fait agir la volonté ».
La confession constitue « pour le pécheur un moyen de conversion et de persévérance dans la conversion » (Bourdaloue) ; là « se remettent les péchés du pécheur qui se convertit » (Dorléans). Cette dernière affirmation apparaît importante parce qu'elle n'est pas si éloignée, en théorie, des positions de stricts jansénistes tel Simon Michel Treuvé, même si l'application de l'absolution sépare profondément les deux pratiques. Sa confession, le prodigue l'a préparée en une formule très dense : « Père, j'ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d'être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers ». Mais la "grâce prévenante" du père, après avoir préparé le cœur de son fils, va interrompre sa confession par un pardon immédiat que traduit son baiser, et lui rend sans délai, sans explication ni reproche, toutes ses prérogatives d'héritier. La sincérité de l'aveu et l'humilité ont tenu lieu de tout.
C'est un protestant qui -sans parler d'attrition, ni de confession, bien sûr- résume de façon juste et belle la démarche spirituelle du converti dans une vision en définitive optimiste de la felix culpa. Le pasteur Laurent Drelincourt termine son «sonnet chrétien» sur l'Enfant prodigue par ces tercets :
«Aujourd'hui, pénitent, misérable, affligé,
Dans l'excès des malheurs où je me suis plongé,
J'ay recours à la grâce, et retourne à mon père.
Ma repentance obtient le pardon attendu.
O que mon infortune est pour moi salutaire !
Sans ma perte, Seigneur, j'aurais été perdu ! »
* * *
La confession comme remède
Dans la pratique, la confession marque un moment privilégié et bien repérable dans la conversion. Il y a un avant et un après totalement distincts pour le converti comme pour son entourage.
Henri Bremond, dans La Provence mystique au XVIIe siècle, raconte la conversion in articulo mortis d'un avocat général au parlement d'Aix, figure type du "méchant homme", « si fâcheux et de mauvaise humeur qu'il faisait peine à tout le monde et surtout à Madame sa femme... C'était un grand pécheur et très obstiné duquel on ne pouvait attendre qu'une mauvaise fin [...] Il y avait dix ans qu'il ne s'était confessé ». Atteint d'une maladie mortelle qui le mit au désespoir, il fit demander au couvent de la Miséricorde qu'on priât pour sa santé. La mère Madeleine le fit avertir qu'il lui fallait «se mettre en bon état et se bien confesser». Ce qui mit d'abord le malade en rage. Il demanda des explications. La supérieure de la Miséricorde lui ayant fait porter un crucifix de sa part, lui fit dire : « nous arrêterons encore un peu la justice divine afin qu'elle ne l'écrase point ». Contre toute attente, le mourant reçut le message et « se rendit à son Sauveur [il demanda un prêtre et dit:] "Allez dire à la Mère qu'elle prie Notre Seigneur d'attendre encore que je me sois confessé". Il fit une confession de trois heures et davantage... Toute la ville prit bonne part [à cette conversion] parce qu'il était fort connu et considéré. »
On voit ici que la confession est tout à la fois l'instrument pour lui et le signe pour les autres de la conversion, qui fait échapper notre homme à cette imparable occasion de damnation qu'aurait été sa prévisible impénitence finale. Jusqu'au bout donc, avec la grâce de Dieu, la conversion reste possible: « il n'y a point de pécheur si endurci, qu'il ne lui reste toujours quelque moyen de se convertir avant sa mort, s'il veut suivre la grâce de Jésus-Christ qui ne lui manque point au besoin » : il lui reste toujours la confession.
La confession représente le véritable remède au mal tenace qu'est le péché. « Que j'aille dans le tribunal de votre justice y chercher
les caustiques qui me sont nécessaires pour consumer la pourriture et la gangrène de mon âme », s'écrie Mme de la Vallière repentante. Elle a bien intériorisé cette image du confesseur,
père, juge et médecin, qui hante la plupart des manuels de confession, puisqu'elle révèle quelques pages plus loin sa crainte de ne pas chercher vraiment et donc de ne pas trouver « un
médecin propre à guérir tant de maladies invétéréesNe permettez pas que je ne cherche et ne trouve qu'un confesseur faible, politique et prévaricateur de votre parole ».
[...]
L'idéal pour se convertir : une confession générale
Et pour que la confession soit efficace, elle doit être répétée, comme un traitement de fond. « La fréquente confession fortifie au pénitent la résolution de se corriger de ses fautes et contribue à sa conversion », en luttant contre « l'inconstance de notre volonté dans les bonnes résolutions que nous formons ». Celle qui authentifie le mieux une véritable conversion, c'est la confession générale fortement recommandée par les meilleurs directeurs de conscience. Ils réclament toutefois une certaine discrétion dans son emploi afin de ne pas redoubler les doutes des scrupuleux. « Quel meilleur commencement pouvez-vous concevoir pour réformer la vie passée et en mener une nouvelle ? » proclame le père Paul Segneri, fameux confesseur jésuite. Sur ce point au moins, les deux partis de moralistes sont d'accord puisque le janséniste Simon Michel Treuvé affirme dans son chapitre "Qu'il faut faire une confession générale" : « elle produira en vous un renouvellement entier qui vous mettra en état de ne vivre désormais que pour Dieu, après être mort au monde et au péché ».
Et il est vrai qu'on découvre la place centrale de la confession générale, à cette époque, dans beaucoup de conversions plus ou moins célèbres. On ne rappellera que brièvement la fin bien connue d'Henriette d'Angleterre racontée par Mme de Lafayette. Ayant « quelque scrupule que ses confessions passées n'eussent été nulles [elle] pria M. Feuillet de lui aider à en faire une générale : elle la fit avec de grands sentiments de piété, et de grandes résolutions de vivre en chrétienne si Dieu lui redonnait la santé ». Nous avons affaire à un cas presque exemplaire puisque Madame, qui avait fait cette « confession dans la vue de la mort », voulant mettre son âme en état de comparaître devant son Dieu, avait pris, en même temps, des «résolutions de vivre en chrétienne», c'est-à-dire de se "convertir".
Même les cloîtrées rencontrent ce problème de la nécessaire conversion. « Il est très à propos de faire [une confession générale], quand on se sent extraordinairement touchée de Dieu et résolue de mener une vie toute nouvelle », dit le père Judde à des religieuses en retraite. Il est facile d'illustrer ce conseil, car les conversions intérieures liées à une confession générale abondent. Citons parmi les plus connues, celle de la mère Angélique Arnauld vue par Sainte-Beuve. Après avoir été touchée par une prédication capucine du Carême 1608, puis par celle d'un "écolier des Bernardins", à la Toussaint suivante, elle voulut gagner le jubilé de l'Avent 1608 et, pour cela, « faire une revue et une confession générale de ses fautes. Elle se promettait bien, devant Dieu, de ne pas les confesser pour les recommencer ensuite, mais de vivre dorénavant en véritable religieuse ». La confession générale constitue l'instrument privilégié de la conversion à une vie authentiquement évangélique.
La mystique aixoise Jeanne Perraud, qui mena une vie singulière racontée par son confesseur, l'augustin Raphaël, connut un semblable "recommencement" : « Le jour de la conversion de saint Paul fut le jour de la sienne; elle n'avait encore que dix-neuf ans. Le dernier moyen dont Dieu se servit pour achever ce qu'elle avait si bien commencé, fut un sermon qu'elle entendit d'un capucin ... Elle en fut si touchée qu'elle résolut en même temps d'aller à confesse et de se consacrer tout à fait à Jésus-Christ... Elle fit une confession générale [et] assure qu'après cette confession, il lui semblait qu'on lui avait ôté une vieille peau dont elle avait été recouverte auparavant».
On enregistre les constantes : d'abord le sermon "initiatique". Ici comme pour Angélique Arnauld, c'est un capucin -prédicateur populaire- qui ouvre le chemin ; on sait la remarquable efficacité de ces mendiants dans la prédication, spécialement pendant leurs missions, touchant tous les milieux, même s'ils ont des objectifs "populaires", avec pour but de provoquer la confession générale initiatrice à une vie nouvelle.
Les spirituels dépassent le point de vue moral et considèrent la confession comme un degré essentiel sur le chemin de perfection, tel le père
Louis Lallemant dans sa Doctrine spirituelle, qui estime que « rien ne contribue davantage aux progrès des âmes que la confession et communion journalières, supposé qu'on ait
fait au commencement trois ou quatre confessions [= générales] pour s'établir en sûreté de conscience ».
Réciproquement, le recours à la pénitence suppose une conversion
Si l'on ne peut pratiquement pas espérer une conversion solide sans une bonne et sérieuse confession, on ne peut, à l'inverse, réaliser une bonne confession sans une sincère conversion. C'est ce qu'exige l'anonyme auteur des Devoirs de la confession : « La grande raison qui fait que la plupart de vos confessions sont infructueuses, c'est qu'elles ne sont jamais soutenues du véritable motif que vous devez avoir en les faisant. Le véritable motif qui doit vous déterminer en général d'aller à confesse, est celui de votre conversion. »
On peut percevoir dans ces lignes comme un écho, en moins vigoureux et plus rhétorique, du constat de Pascal : « si on se convertissait, Dieu guérirait et pardonnerait ». Position qui restera permanente chez les Jansénistes: « C'est une erreur pernicieuse que de s'imaginer qu'un pécheur doive recevoir l'absolution pour se convertir, il doit être converti pour être absout » (Boyer). On sent l'enjeu du débat. En schématisant, on pourrait presque craindre que le Janséniste frise ici le semi-pélagianisme dont il accuse ses adversaires, car, qui convertit finalement si ce n'est le Père allant au-devant du fils prodigue dans sa "grâce prévenante", comme l'affirmaient les Jésuites ? Ou alors il suppose la prédestination.
Chez certains auteurs, conversion et confession en arrivent à devenir quasiment des synonymes, ou du moins à signifier une démarche indissoluble. Ainsi, dans une lettre à M. Olier, Gaston de Renty raconte comment un esprit fort, convaincu par un attentat perpétré par le Diable contre lui, vint demander à des Eudistes, «à se confesser et convertir». Richard l'Avocat, ce curieux prédicateur laïc, à l'article "Conversion" de son Dictionnaire moral,, après avoir posé les deux exigences pour obtenir la miséricorde de Dieu : « Quittez les péchés que vous pleurez ; expiez les péchés que vous quittez. Dieu sera satisfait», place au premier point de la réalisation de ce plan: «confesser ses péchés... c'est là, ce qu'on appelle ordinairement dans le monde se convertir et être effectivement dans les voies du salut ». Mais Richard accorde que la confession n'est qu'un rite, de soi non signifiant de l'intention du pénitent : « Que dirons-nous de ceux qui viennent à confesse réciter froidement leurs péchés ou qui, par une autre impiété, diffèrent d'y aller, jusqu'à ce qu'ils aient exécuté leurs mauvais desseins... avec ces paroles et ces sentiments impies : Nous nous en repentirons un jour ! »
L'usage de la confession, cependant, a évolué. La raideur janséniste a progressivement insisté davantage sur son usage moral que sur sa dimension mystique. Par exemple, Louis Habert, directeur du séminaire de Verdun, en fait un instrument de contrôle ecclésial : « Tous les chrétiens étant obligés de se confesser, c'est-à-dire de soumettre la conduite de leur vie au jugement d'un prêtre et de recevoir de lui les avis et les règles nécessaires pour la réformation de leurs mœurs, il corrigera une infinité de désordres ; [et] tous les chrétiens, de quelque condition qu'ils soient, seront contraints de faire leur devoir ».
On est là dans un tout autre registre que celui des auteurs qui veulent faire de l'aveu confiant déjà un acte d'amour, même s'il n'est ni totalement pur, ni entièrement désintéressé. La confession telle que la présente Habert ne peut susciter un authentique mouvement de conversion, car trop directive, voire répressive. Pas plus peut-être que ceux qui, à l'inverse, en faisaient un simple art de vivre tranquillement. Ainsi, une génération plus tôt, Bauny proposait à son lecteur « les résolutions en fait de conscience qu'il convient tenir pour vivre en paix. Ce que [l'on peut] omettre, ou faire sans reproche... », point de vue donc essentiellement pastoral, encore que cette apparente bénignité ait pu constituer l'occasion de permettre au pécheur de se reconnaître pour tel, avant de se précipiter dans le sein de son Père.
* * *
Il serait profitable d'étudier de plus près les interactions entre la conversion et la confession ; on constate simplement ici qu'au "Grand siècle", confession sincère et conversion profonde étaient indissolublement liées. Comme l'écrit le père Raphaël à propos de Jeanne Perraud : « Elle résolut en même temps (sic) d'aller à confesse et de se consacrer à Jésus-Christ ». Il resterait à explorer bien d'autres pistes : est-ce que la culpabilité du pécheur est sublimée avec la conversion : l'amour l'emportant sur la peur ? Il faudrait vérifier si cette "pédagogie de la peur", dont on parle toujours, ne constituait qu'un des deux volets d'une pédagogie de l'Amour, dont le second ouvrait sur la miséricorde de Dieu. A titre d'exemple, cette proclamation de l'abbé Ch. Boileau (frère du poète) : « Après vous avoir effrayés jusqu'ici par la vue de la justice de Dieu, il est à propos que je vous console par celle de sa miséricorde. Vous avez Jésus-Christ comme juge, regardez-le comme père ». Il est vrai que trop de prédicateurs oubliaient ce deuxième volet d'espérance, parce qu'à court terme, il leur semblait plus rapidement "efficace" de gager sur la crainte. En fait, ils regardaient la croix en oubliant la résurrection...