Un Pierre... d'achoppement...
Pourquoi un titre aussi tiré par les cheveux ? me direz-vous tout de suite, amis internautes fidèles ! Je dois donc m'expliquer avant même d'avoir commencé...
Nous allons profiter de la fête très proche de Pierre et Paul pour jeter un coup d'œil sur la célébrissime phrase de Jésus : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église, etc. (Matthieu 16,13-19).
Depuis toujours on admire le magnifique jeu de mots Petros-petra, Petrus-petra, Pierre-pierre... Certains catholiques de France s'enorgueillissent même de voir que Jésus a particulièrement gâté la Fille aînée de l'Église car en anglais, n'est-ce pas, Peter-stone ce n'est pas terrible !
Mais...
Tous les prédicateurs, exégètes, linguistes, hellénistes et latinistes ont oublié une seule chose : Jésus ne parlait ni grec, ni latin, ni français avec ses disciples mais sans doute araméen (et peut-être un peu hébreu).
C'est donc vers le monde linguistique hébraïque qu'il faut chercher d'où est tombée la pierre.
Simon ou Pierre ?
Simon est un des douze apôtres de Jésus.
Jean dit que Jésus lui donne son surnom au moment où son frère André le lui amène : Tu es Simon, le fils de Jean ; tu
t'appelleras Képhas (ce qui veut dire pierre). Mais il est le seul évangéliste à appeler Simon ainsi. On retrouve Képhas (et non Céphas comme écrit la Bible de Jérusalem)
dans deux épîtres de Paul : la 1e lettre aux Corinthiens et la lettre aux Galates ; il s'agit certainement de Pierre, disent les exégètes.
Marc (3,16), comme Luc, disent aussi que Jésus donna à Simon le nom de Pierre.
Pour Matthieu c'est un surnom qu'il semble avoir depuis toujours, puisqu'en Matthieu 4,18 il écrit : [Jésus] vit [...] Simon, appelé Pierre. Pour lui, qui est le seul à citer le Tu es Pierre, il s'agit donc d'un surnom que Simon porte « de toute éternité », qui fait partie de son être profond.
Un Pierre hébreu
Je n'ai pas la prétention de contester ici le surnom Képhas dont parle Jean. Je voudrais simplement vous proposer une promenade estivale sur des sentiers non battus, au cœur du génie de la langue hébraïque, à la recherche de la clé du jeu de mots.
On peut pour cela partir du sentier classique du texte de Matthieu : en hébreu la pierre est 'eben, bâtir est banah et l'église est qehillah (celle du qohelet, celui qui convoque à l'assemblée ; le curé, quoi !). Intéressant, n'est-ce pas ? Mais il n'y a pas là de quoi se sentir comblé !
Sortons donc du sentier et allons respirer la garrigue. Il fait bien chaud, mais cela en vaut la peine ! Regardez : pierre se dit aussi tsour en hébreu... On commence bien ; on persévère... Bâtir se dit aussi yiatsar ; et ce bâtir là signifie plutôt former, créer... Mais créer quoi ? Créer ''atsarah, bien sûr, cette Église assemblée solennelle, comme dit le dictionnaire Sander et Trenel d'hébreu biblique.
Et alors, devant vos yeux ébahis, je vais étaler le génie... de la langue hébraïque :
Car tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église
se translittère en
kiy 'atah tsour ve'al-hatsour hazeh 'etse ''atsartiy
Qui a dit qu'on ne peut pas jouer sur les mots hébreux ?
Une petite pause, en contemplant le paysage déjà découvert... Et on repart, en continuant de lire Matthieu (16,18)... comme en hébreu :
Et les portes du Shéol ne l'emporteront pas sur elle
Le verbe emporter sur, commander à, ou empêcher est 'atsar (encore lui) et on peut donc poursuivre la série de jeux de mots :
vesha'arey she'ol lo' ya'atserou 'alêyah
Nous sommes presque arrivés au terme du voyage, et dans les derniers lacets nous cueillerons juste quelques petites fleurs : ce que tu auras lié (encore la racine tsour) sur la terre sera lié dans les cieux... Je te donne les clefs (maphtear, avec un p prononcé ph) du Royaume ; ce que tu auras délié (patar) sur la terre sera délié (patar) dans les cieux...
Voilà ce qu'on peut retirer de ce texte si connu qu'on croit tout savoir de lui avant de l'avoir entendu.
Mais attention ! Sous l'apparente harmonie de ce texte décodé peut se cacher un piège... qui montre le bout de son nez quand on le lit à haute voix : essayez et vous vous entendrez accumuler les tsar... tsour... tsar... tsour...
Oui, la racine hébraïque composée des deux lettres tsadé et reish est bien présente ; et cette racine est celle du mot (hébreu !) tsar, qui est le substantif signifiant ennemi, adversaire et l'adjectif signifiant étroit.
Ce texte nous dit de façon bien cachée que la création de cette Église dont Pierre sera le chef ne sera pas de tout repos ; elle se heurtera à l'Ennemi, à celui qui met des pierres sur notre route pour nous faire tomber, au diable, et tous les adeptes de cette Église seront invités à passer par la porte étroite... pour accéder au Royaume dont le même Pierre a les clefs.
Comme toujours en hébreu, tout est en tout (et vice-versa !).
Pierre et Paul
Petit clin d'œil pour terminer.
Puisque nous célébrons en même temps la fête des saints Pierre et Paul, on a bien envie de chercher si Paul ne se cache pas dans ce texte. Et on le trouve... tapi derrière les portes du Shéol (cf. Isaïe 38,10).
En effet le Shéol, qui est le séjour des morts - une espèce d'Enfer, pour faire bref - est un nom composé des mêmes trois consonnes que le mot hébreu Shaoul, qui n'est autre que le nom de Saül (le 1er roi d'Israël) et de Saul, notre apôtre Paul... Mais le cas de Paul s'aggrave si on remarque que l'hébreu sha'ar, porte (du Shéol ou de Saül) signifie aussi tribunal (parce que les tribunaux siégeaient aux portes des villes) ; et les portes du Shéol deviennent les tribunaux de Paul !
Mais les tribunaux de Paul, comme celui qui a condamné Étienne à la lapidation (Actes des Apôtres 7,54-58) n'ont pas plus empêché l'Église de se créer et de vivre au fil des siècles que les portes du Shéol dont parle Jésus à Pierre !
Puis il y a eu le chemin de Damas... mais cela est une autre histoire, dont nous parlerons un jour...
Jésus avait raison, bien sûr !
Et l'hébreu est vraiment... une sacrée langue !
René Guyon