Incroyable, effroyable, mais vrai...
Texte écrit en 1997...
Mais encore plus vrai aujourd'hui
Le 19 décembre 1863...
Cette année là, Laurent Carrabin, qui devait devenir mon grand-père, avait déjà treize ans... Ce n'est pas si lointain...
Monseigneur Darbois, archevêque de Paris, s'apprêtait dans l'église Saint-Sulpice à ordonner prêtres vingt-trois diacres. La célébration fut très longue ; l'Archevêque, fatigué et à jeun, s'effondra sans connaissance après qu'il eut accompli onze fois le rite de la « porrection ».
On se précipite, on emmène l'évêque à la sacristie, un médecin présent à la cérémonie accourt et dit avec sagesse de donner un peu de bouillon à Monseigneur et que tout irait bien. Ce fut fait immédiatement, le célébrant reprit ses esprits ; il allait reprendre le cours de l'ordination quand il se souvint qu'il n'était plus à jeun et donc qu'il ne pouvait plus célébrer l'Eucharistie.
Un conciliabule à la sacristie conclut qu'on télégraphierait à Rome pour demander l'autorisation de reprendre la célébration 24 ou 48 heures plus tard. Un quiproquo s'établit, si bien que la réponse de la Curie tarda jusqu'au 2 janvier 1864. On « effaça tout » et par précaution, le 17 janvier, on ordonna tous les diacres, même les onze qui semblaient avoir déjà reçu l'ordination presbytérale.
J'ai raconté cette histoire véridique pour me réjouir du chemin parcouru depuis 134 ans, mais aussi pour souligner que le juridisme ecclésial et la centralisation romaine ont conduit et peuvent encore conduire aux pires aberrations. Tant que dans l'Église catholique Romaine répandue à travers le monde il n'y aura pas de « Corps intermédiaires » pour pouvoir régler sur place la grande majorité des questions difficiles ou simplettes, les consciences scrupuleuses se tordront de douleur et endommageront gravement le tissu ecclésial.
En tout domaine, civil ou religieux, la centralisation élimine les décisions et annihile la compétence ordinaire des responsables locaux. Il est temps de redonner à chaque personne qui a des responsabilités locales l'usage de sa décision, autrement il faudrait un tribunal, un comité d'éthique ou un soviet relié directement à chaque responsable pour décider à sa place
Il n'est pas exclu que beaucoup ne désirent rien décider car ils ont peur de leur liberté et ne savent pas à partir de quels critères choisir. Ils préfèrent parfois « les parapluies » pour se mettre à l'abri des retombées possibles fulminées par les autorités centrales. Parce qu'elle est devenue complexe, notre société devient par le fait même « décisionnelle ». Les individus et les associations auront sans cesse à prendre position et pour ne pas encombrer les « circuits », il est important qu'ils apprennent à décider eux-mêmes.
Le débat se situe dans la rue, tous sont appelés à faire des choix et à les assumer. Il ne s'agit pas d'établir des listes-réponses pour tous les cas qui peuvent se poser (foin des protocoles), il suffit que l'éthique devienne la dimension habituelle de toute conscience responsable.
Déjà effroyable en 1863, mon histoire se passe encore aujourd'hui d'une autre manière. Écrans et fax aboutissent tous au « Centre » qui a légiféré sur tout et donc décide de tout. Beaucoup de responsables deviennent des « exécutants ».
À notre époque, pour éviter l'assujettissement des consciences, il faut fuir la centralisation, organiser des corps intermédiaires, donner les moyens de bien juger et demander à chaque personne de choisir en tenant compte du bien individuel et collectif.
Nobles tâches.
Ce pourrait être l'œuvre de l'Éducation Nationale, des Églises, et de tant d'autres.
Christian MONTFALCON
19 octobre 1997