" Total respect " ?
Il est devenu banal de dire que ce qui manque à l'école, dans la vie quotidienne, aux jeunes, etc. c'est le respect. En même temps, quand une comédienne à la mode joue bien un rôle (ce pour quoi elle est payée) ou si un sportif bat de quelques centièmes de secondes ou de quelques centimètres un précédent record (il gagne aussi sur le plan matériel !), on entend dire : « total respect ». Le terme fait même partie du vocabulaire des "quartiers" tel qu'il apparaît dans les interviews télévisées. Je plaiderais plutôt pour le respect partiel, banal, mais facilitant la vie quotidienne.
Lorsqu'une personne occupe, par négligence ou mépris des autres, deux places de parking avec sa seule voiture ; lorsque quelqu'un, assis derrière vous dans un transport en commun ou au spectacle, tousse en vous distribuant gracieusement ses postillons et, éventuellement, ses germes pathogènes ; lorsque un jeune homme pressé bouscule une personne âgée pour passer une porte en force : tout cela, et bien d'autres exemples, ce n'est que de l'irrespect partiel, mais bien gênant pour les relations sociales de tous les jours. Certes, l'exemple de l'irrespect vient de haut, tel le triste spectacle et mauvais exemple - que j'ai déjà évoqué mais qui perdure - des séances de l'Assemblée nationale où les gens s'invectivent sans s'écouter, "répondent" sans prêter attention à ce qui est dit par un élu du peuple (et quand bien même il aurait tort)... Je suis donc pour le respect total même dans un juste combat.
L'irrespect se prétendrait presque,
parfois, une forme de "culture". Je pense en particulier à ce succès de la dérision qui triomphe dans bien des spectacles animés par des "humoristes" autoproclamés, largement présents dans les
programmes radiodiffusés ou télévisés aux heures de grande écoute. Au nom de la "liberté d'expression" - qu'il n'est pas question de renier - il n'est presque plus de limite à
l'irrespect confondu avec la saine impertinence, qui permet de remettre en question des situations acquises. Encore faudrait-il avoir le talent de transformer l'irrespect en œuvre d'art.
Quand Daumier attaque le pouvoir bourgeois, les mœurs hypocrites du "grand monde", l'affairisme de certains financiers ou négociants (oui ! ça reste à l'ordre du jour), il y met de la verve
et pas seulement du fiel.
En politique, il peut être salutaire de s'en prendre à telle "personnalité" qui dit quelque
chose d'inacceptable ou a eu une attitude indigne de sa fonction, mais s'attaquer systématiquement à la fonction, précisément, c'est la
déprécier devant le public et lui faire peu à peu mépriser les institutions. Si celles-ci sont mauvaises, il faut les
changer. Si des hommes politiques sont malhonnêtes, il faut les poursuivre en justice et surtout ne pas les réélire (mais le
clientélisme... !). En démocratie (« le pire des régimes à l'exception de tous les autres »), cela passe par les votes. Sinon, on en arrive à l'affirmation « tous
pourris », qui est injuste, et surtout constitue un argument qui favorise les extrémismes.
De même, on peut, on doit soumettre à la critique les idéologies, y compris religieuses, à condition d'avoir d'abord essayé de comprendre ce que l'on va critiquer, de ne pas en déformer les intentions ou les applications, distinguant, là encore, ce qui est principes et ce qui est vécu.
Respectons ce qui est respectable à commencer par les personnes ; critiquons ce qui est critiquable, à condition de commencer par être critique avec nous-mêmes : si je porte un jugement défavorable sur untel, si je m'oppose à lui par la parole ou par le geste, pour quoi le fais-je ? qu'est-ce qui m'anime ? qu'est-ce que je propose comme alternative ?
Marc DELÎLE