Désengagement
Le cinéaste israélien Amos Gitaï nous offre ici un grand film, sans doute un de ses meilleurs. Car il déborde largement son talent de documentariste pour nous proposer une véritable œuvre d'art, qui donne à penser dans bien des directions.
Toute la dernière partie est consacrée à l'expulsion des colons israéliens installés dans la bande de Gaza, durant l'été 2005, sur décision du gouvernement d'Ariel Sharon, et cela donne son titre au film. On est proche de scènes de guerre civile, entre militaires et policiers d'un côté, colons très religieux regroupés autour de leur rabbin de l'autre. Gitaï a l'audace de faire revivre ces événements douloureux, de laisser entrevoir les déchirements internes à l'existence même d'Israël. Dans quel autre pays voit-on un cinéaste aborder avec autant de force les drames de son propre pays ?
Mais le film donne une ampleur bien plus grande encore à ces événements en suivant l'histoire personnelle de quelques personnages, en nous appelant à vivre cela avec eux de l'intérieur : dès le générique, magnifique, un homme jeune rencontre dans un train une jeune femme, une « brève rencontre » va se nouer : on est en Italie, en direction de la France, un Israélien à passeport français et une Palestinienne à passeport hollandais : toutes les frontières, déjà sont brouillées, le douanier n'y comprend rien, toutes les rencontres sont possibles. Puis nous arrivons dans une grande maison cossue, presque un palais, à Avignon, où un vieil homme, riche et cultivé, vient de mourir, et auprès duquel Barbara Hendricks chante, merveilleusement, les « Chants de la terre » de Mahler. Et nous faisons connaissance avec sa fille Ana (Juliette Binoche), que l'on va suivre désormais. Pourquoi cette lenteur, ce détour étonnant, théâtral et baroque, sinon pour souligner par la suite à quel point le destin d'Israël a des racines et des répercussions insoupçonnées ?
Et Juliette Binoche parvient à incarner un personnage singulier, d'abord un peu fofolle, puis saisie par l'émotion dans la recherche et les retrouvailles avec sa fille en Israël, durant ces affrontements liés aux expulsions des colons. Joindre ainsi la grande histoire aux émotions les plus intimes, inviter le spectateur à se sentir concerné par le destin de tous ces êtres, (y compris les Palestiniens, aperçus dans une scène brève mais intense) cela relève d'un grand talent et fait naître une grande émotion.
Jacques Lefur
14 mai 2008