Le christianisme est né en Orient

Publié le par Garrigues

Le 1er décembre 2006, j’ai eu la joie de concélébrer à Istanbul la messe avec le pape Benoît XVI et de voir réunies, autour de lui, presque toutes les Églises catholiques orientales et de voir aussi auprès de lui la présence très fraternelle du patriarche des Grecs orthodoxes, Bartholoméos Ier et du patriarche  des Arméniens grégoriens Mesrop, et aussi le métropolite des Syriens orthodoxes et aussi bien des communautés ecclésiales latines non catholiques.

C’est toujours avec une grande reconnaissance pour les chrétiens d’Orient que je parle d’eux, car ayant vécu près de  quarante ans parmi eux, je leur dois beaucoup. Ils m’ont révélé bien des visages de l’Église et ils m’ont conforté sans cesse dans ma vie sacerdotale et dominicaine, par leur fraternité, leur  hospitalité et par la découverte de l’admirable témoignage de leur foi qui, à travers les siècles, a connu tant d’épreuves.

Admiration et reconnaissance  pour les chrétiens maronites du Liban, les Grecs catholiques de Syrie, les Chaldéens et les Syriens d’Irak, les Latins catholiques de Terre sainte, les Coptes catholiques d’Égypte, et les Arméniens catholiques de Turquie. Si avec ces catholiques des divers rites orientaux la communion est parfaite, je n’oublie pas tous nos frères orthodoxes qui eux aussi véhiculent les trésors du christianisme oriental et qui sont eux aussi Grecs, Syriens, Assyriens, arméniens et Coptes : avec eux, dont nous sommes très proches, on recherche et on attend une communion totale grâce aux efforts de l’œcuménisme et aux inspirations du Saint-Esprit.

L'Orient, terre de l'Église naissante

C’est en Orient que le christianisme est né et qu'il a ses racines historiques, bibliques et culturelles. Mais si le christianisme est une réalité orientale, il n'est pas pour autant le produit de l'Orient, de sa culture, de sa civilisation, de ses terres, fussent-elles par la suite déclarées « saintes » : le christianisme est radicalement d'En-Haut, c’est un don de Dieu : ses racines sont en Dieu et il réalise parmi nous le mystère de l'Incarnation du Verbe de Dieu : "Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous" (Jean 1,14).

Parce que le Fils de Dieu s’est incarné en Orient et que cette région du monde a donc donné l'hospitalité à Dieu lui-même, l'Orient, illuminé par la Révélation divine, ne cesse de nous rappeler la venue du Royaume de Dieu parmi nous. Cette lumière divine venue en Orient fait de cette région pour ceux qui la visitent ou le connaissent comme un « cinquième évangile », et nous avons là  l’origine des pèlerinages en Terre Sainte et de toutes les visites faites à l’Orient chrétien, à ses moines et à ses monuments.

Incarnation et hospitalité

Le rapport entre le Verbe de Dieu fait chair et l'humanité, comme celui de l'Église et du monde, est de l'ordre d'une immense hospitalité. Jésus aimait cette attitude d'accueil qu’est l’hospitalité, dont il bénéficiait souvent chez Lazare, Marie et Marthe, au village de  Béthanie, sur le Mont des Oliviers, tout proche de Jérusalem. Mais en recevant l’hospitalité, Jésus la pratiquait aussi à l’égard de ses hôtes à un niveau supérieur.

Jacques Maritain a évoqué cette hospitalité reçue et donnée par Jésus dans son livre Religion et Culture : "Jésus mangeait et buvait chez ses amis de Béthanie, il était reçu à Béthanie, mais c'est Béthanie qui recevait de Jésus." L'Incarnation du Verbe de Dieu en Orient, son insertion dans les réalités orientales a fait de Jésus un oriental, un juif de Palestine.

Ce qui vaut pour le Christ vaut aussi, au cours de l’histoire, pour l’Église qui est son corps. Elle reçoit et donne l’hospitalité. L'Église, comme le Christ dans son mystère, est "absolument et rigoureusement transcendante, supra-culturelle, supra-raciale, supra-nationale". En effet tous les éléments que le christianisme emprunte aux civilisations humaines, " ses langues liturgiques et ses langues de prédication, l'architecture et l'ornementation de ses temples, les matières communes ou précieuses assumées par son culte, la sagesse humaine assumée par sa théologie ", tout cela est pris par la même miséricorde qui a amené l'Incarnation divine.

Le Christianisme est oriental et universel

Si le christianisme est oriental dans ses origines terrestres, il a, conformément à l'enseignement de Jésus et sous l'inspiration du Saint Esprit, rapidement dépassé ses limites orientales, car il est par nature « universel, catholique », cela à cause du Christ qui a été envoyé à l'universalité des hommes et dont le salut est pleinement catholique.
 

L’évangélisation est signe de catholicité

S’il y eut très tôt l’évangélisation de l’Orient mésopotamien par saint Thomas et ses disciples le livre des Actes des Apôtres nous fait revivre très spécialement la grande extension occidentale du christianisme, parmi les Nations, Grecs et Païens, les Goyyim de l’Ancien Testament. Ceci explique l'importance que vont prendre les "Chrétiens d'Occident" dans le christianisme naissant.

L'installation de saint Pierre à Rome fut un trait de génie providentiel. En devenant martyrs à Rome, Pierre et Paul ont centré le christianisme, au plan ecclésial, en le mettant au centre du monde païen à évangéliser, proclamant ainsi sa catholicité.  Mais la fixation de saint Pierre comme évêque de Rome n'a pas enlevé à la ville d’Antioche, la capitale de la Syrie, aujourd’hui en Turquie, son ancienneté historique, elle a, au contraire, consacré sa gloire missionnaire.

À partir d’Antioche...

Dans les Actes des Apôtres, saint Luc montre que l'évangélisation et la fondation de l'Église d'Antioche furent une suite directe du martyre d'Étienne et des persécutions qui le suivirent. C'est dans cette ville, après la destruction de Jérusalem par Titus et les Romains, que se regroupèrent beaucoup de disciples de Jésus si bien que "c'est à Antioche, que pour la première fois, les disciples de Jésus-Christ furent appelés chrétiens".

Antioche, l'ancienne capitale des Séleucides devenue capitale romaine de la Syrie, avait été évangélisée par des Apôtres : Pierre, Paul, Jean et Barnabé, et avait été le premier siège épiscopal du chef des Apôtres. La liturgie latine a longtemps célébré le 22 février, le siège de Pierre à Antioche, avant de célébrer ce jour-là son siège romain, célébré précédemment le 18 janvier. Aujourd’hui on peut toujours y visiter l’église de saint Pierre.

D’une façon paradoxale Antioche se trouve aujourd’hui en Turquie et non plus en Syrie, elle qui fut la capitale de ce pays et qui est toujours au plan ecclésiastique le centre de plusieurs de nos Patriarcats.

C'est d'Antioche que saint Pierre et saint Paul partirent pour leurs voyages apostoliques vers l`Occident, c'est également d'Antioche que d`autres Apôtres partirent vers l'Orient de l'Est, comme saint Thomas qui se dirigea vers la Mésopotamie et l'Inde, en passant par Edesse qu'il évangélisa (aujourd'hui c’est Urfa, ou Sanliurfa en Turquie).

Saint Luc nous a décrit un départ en mission : Un jour, tandis qu'ils célébraient le culte du Seigneur et jeûnaient, l'Esprit Saint dit : " Mettez-moi donc à part Barnabé et Saul en vue de l’œuvre à laquelle je les ai appelés ". Alors après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les laissèrent à leur mission (Actes des Apôtres, 13,1).

Orient chrétien et Terre Sainte

L'Orient chrétien, de par sa géographie et par son histoire, est inséparable des «  Terres Saintes » au sens large du mot.

La Galilée est un beau symbole de cette union entre la Terre Sainte et chrétienté d'Orient, car cette région fut le berceau du christianisme, elle vit l'Incarnation du Verbe, la jeunesse et l'essentiel de la prédication de Jésus et de ses miracles. Cette région était appelée "Galilée des Nations", car depuis les invasions assyriennes et chaldéennes, elle était devenue cosmopolite, composée de peuples d'origines variées ; c'était aussi une région où les voies de communications étaient nombreuses et aisées, une région ouverte sur les pays voisins, par mer comme par voies terrestres.

Il y a donc un lien indissociable entre le « christianisme oriental » et la « Terre Sainte » ou plus largement avec les Terres bibliques. Ceci explique la place éminente des Églises d'Orient dans le christianisme universel.

Le pèlerinage chrétien en Terre Sainte

Dés le début du christianisme, les fidèles ont aimé venir visiter en Orient les Lieux Saints témoins de la vie du Christ. Ce réflexe consacrait le lien indissoluble entre les Églises d'Orient et les Lieux Saints. D'une certaine façon le domaine des Terres Saintes et celui des chrétientés d'Orient étaient identiques. Cela donnait à l'Orient chrétien des lettres de noblesse supplémentaires. De nos jours, nous savons combien les chrétientés orientales sont très immédiatement touchées par les souffrances des conflits qui sévissent dans les Terres Saintes.

Le Concile de Vatican II a souvent rappelé la place éminente de l'Orient, la première, au cœur du monde chrétien. C’est pour cela que l'Orient chrétien constitue une source intarissable d'inspiration pour la pensée et la vie chrétiennes, il est par excellence un lieu théologique dont les richesses sont inépuisables pour la pensée chrétienne. Par ses Pères de l'Église et ses Docteurs, par les grands Conciles œcuméniques qui s'y célébrèrent dans ce qui est aujourd’hui la Turquie, l’Orient chrétien est un trésor pour les théologiens, les contemplatifs, les artistes, les historiens, les voyageurs et les pèlerins.

L'Orient chrétien est enfin pétri de la Bible et il nous véhicule aussi les premières Traditions de l'Église naissante qu’elle a conservées, comme il a conservé sa première langue, l'araméen, la langue de Jésus, toujours très parlée par les fidèles des Églises antiochienne et mésopotamienne de Syrie, d’Irak de Turquie et d’Iran. Cette langue nous pouvons l’entendre parler aujourd’hui dans bien des villes d’Occident où ces chrétiens  ont émigrés, à Marseille par exemple.


Les « deux poumons» de l’Église

Le Pape Jean Paul II a souvent rappelé l'existence de deux "poumons" dans l'Église, grâce auxquels elle doit respirer pleinement et être en bonne santé : ces deux poumons sont les deux faces de l'Église, l'orientale et l'occidentale.

Aux cours des siècles, a rappelé Jean Paul II, " l'Occident a beaucoup reçu de l'Orient dans le domaine de la liturgie, de la tradition spirituelle, du droit ". Grâce aux trésors de l'Orient, où elle a puisé largement à Vatican II pour orienter son aggiornamento, l'Église a pu faire profiter sa partie "latine" des "traditions vénérables de l'Orient". Ceci a été constaté, par exemple, par l'adoption de la langue courante dans la liturgie, le rétablissement de la concélébration, de la communion sous les deux espèces et du diaconat permanent.

Les traditions liturgiques et ecclésiales pratiquées au cours des siècles par les Églises locales en Orient ont un intérêt capital pour la vie de l'Église tout entière. Leur proximité avec des traditions venues des Apôtres, l'héroïcité de leurs martyrs, la science de leurs Pères de l'Église, en font de véritables "lieux théologiques" dans lesquels l'Église reconnaît sa Tradition authentique et dans lesquelles elle peut venir puiser comme à une source très riche.

La reconnaissance des services que le poumon oriental a apportée à toute l'Église ces dernières années a conduit bien des fidèles à adopter une attitude plus œcuménique. En Orient, bien des catholiques possèdent ces richesses en commun avec leurs frères séparés ; " L'Église doit apprendre à respirer de nouveau avec ses deux poumons l'oriental et l'occidental ". Le Pape Jean Paul II a invité tous les catholiques à étudier et à bien connaître ce patrimoine spirituel et liturgique : il est source d'unité.

 Jean-Marie Mérigoux, o.p.


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