Les Patriarcats dans l'Église
Qu'est-ce qu'un patriarcat ? Poser cette question, c'est aller au devant de beaucoup d'interrogations que l'on se fait au sujet des chrétiens d'Orient.
Ce qui surprend souvent bien des chrétiens d'Occident, ou d'une façon plus générale les pèlerins ou les touristes venant en Orient, c'est l'existence de communautés chrétiennes, nombreuses et très variées, catholiques ou orthodoxes, qui se définissent et se situent dans le cadre d'un patriarcat, ce que l'on perçoit confusément comme un ensemble de rites liturgiques différents du rite latin et dont on oublie parfois que beaucoup de ces patriarcats sont catholiques romains, donc unis à Rome.
Une Église patriarcale est une région, comme une zone de l'Église universelle caractérisée par un territoire géographique, façonnée par une culture, une langue, une histoire et surtout par son caractère "apostolique", c'est-à-dire qu'elle correspond à une grande ville païenne de l'Antiquité devenue chrétienne comme Antioche, Rome, Alexandrie, évangélisée par un Apôtre ou plusieurs Apôtres.
Chacune de ces grandes villes païennes de l'Antiquité évangélisée par les Apôtres étaient des « Métropoles » ou « Villes mères », métro-polis. C'étaient des capitales dont dépendaient des régions entières. Elles étaient un centre d'administration, le foyer d'une culture, d'une langue et se trouvait à la tête de toute une zone géographique, culturelle, linguistique et artistique.
- À partir d'Antioche, la grande métropole de la Syrie, il y avait le monde araméen qui s'étendait jusqu'en Mésopotamie.
- À partir d'Alexandrie, tout le pays d'Égypte qui remontait le Nil jusqu'à l'Éthiopie, avec sa langue millénaire qui allait un jour donner la langue copte.
- Il y avait Rome dans la péninsule italique, la capitale politique de l'Empire romain, qui était le centre de la civilisation latine et qui s'étendait dans les Gaules et au-delà.
- Et il y avait le monde grec de l'Asie mineure et de la Grèce, avec les grandes villes d'Éphèse et d'Athènes et par la suite Constantinople.
Devenues chrétiennes, ces « métropoles » continuèrent d'esune façon nouvelle leur vocation de « Villes mères » en devenant les sièges de communautés ecclésiales importantes qui rayonnaient par leurs évêques « métropolites » sur ces mêmes régions avec leur culture et leurs langues propres avec la responsabilité des églises locales qui dépendaient d'elles. Elles furent appelées « patriarcats » à partir du concile de Chalcédoine en 451. Parler de Jean Chrysostome ou de Cyrille d'Alexandrie comme « patriarches » est donc un anachronisme. Les villes patriarcales sont les villes d'Antioche, de Rome, d'Alexandrie, de Constantinople et de Jérusalem. Par la suite furent ajoutés des quasi-patriarcats, ou « catholicossat » des Arméniens et des Chaldéens.
C'est ainsi que ces chrétientés furent ici araméennes ou syriaques, grecques, latines et ailleurs égyptiennes. Dans chacune de ces régions, l'inculturation du christianisme à la culture locale donna naissance à des liturgies diverses, à des traditions administratives propres, à un art et à une spiritualité originale.
On rencontre au Liban des chrétiens qui sont des Maronites, c'est-à-dire que leur autorité spirituelle est le Patriarche maronite, ou bien en Égypte des coptes catholiques et des coptes orthodoxes qui se rattachent au patriarche copte catholique ou au patriarche copte orthodoxe ; en Irak les catholiques sont du Patriarcat chaldéen, et il y a aussi les fidèles des Patriarcats arméniens, grecs melkites et encore syriens catholiques et orthodoxes.
Les patriarches catholiques
Volontairement, j'insisterai en présentant en priorité les patriarches catholiques, car ils ne peuvent être ignorés des catholiques latins. Je n'oublie pas pour autant les patriarches orthodoxes, plus nombreux et représentant davantage de fidèles. Ces derniers ont souvent la faveur dans les rencontres oecuméniques et de ce fait ils risquent d'éclipser nos propres patriarches, faisant ainsi de « l'Orient chrétien » un domaine orthodoxe et du « domaine latin occidental » le domaine catholique. Ceci est contraire à la vérité, et à la nature de l'Église.
Pour donner la liste au moins des patriarcats catholiques je donnerai tout simplement la liste des grands rites patriarcaux de l'Église catholique, puisqu'un patriarcat peut se définir par un rite liturgique.
Un rite est en effet une réalité ecclésiale, culturelle, linguistique, artistique, géographique et historique. Un rite, ou une liturgie, dans l'Église, qu'il soit pratiqué par des catholiques ou des orthodoxes, se rattache toujours à une "ville patriarcale", dont il est l'expression. On parle du rite syrien d'Antioche, copte d'Alexandrie, latin de Rome, etc.
Voici quels sont les rites liturgiques patriarcaux existant dans l'Église catholique :
- le rite copte
- le rite latin
- le rite syrien
- le rite maronite
- le rite chaldéen
- le rite arménien
Les langues liturgiques de ces rites sont pour le premier rite le grec, pour le second le copte, pour le troisième le latin, pour les trois suivant le syriaque et l'arménien pour le dernier. Mais ces liturgies sont en grande partie et parfois totalement célébrées en arabe.
La liste de ces rites nous permets de donner la liste des patriarcats catholiques dans l'Église, qui constituent "le poumon oriental" de l'Église dont aimait parler Jean Paul II :
- Patriarcat d'Antioche pour les Maronites.
- Patriarcat d'Antioche pour les Syriens catholiques.
- Patriarcat d'Antioche pour les Grecs melkites catholiques.
- Patriarcat de Jérusalem pour les Latins catholiques.
- Patriarcat arménien catholique.
- Patriarcat de Babylone pour les Chaldéens.
Il est intéressant de remarquer que tous les Patriarches orientaux de l'Église catholique ont la nationalité d'un pays arabe : libanaise, syrienne, irakienne, palestinienne et égyptienne. Bien sûr, il ne s'agit pas d'oublier les patriarcats orthodoxes, car ils sont pour la plupart centrés sur les mêmes villes patriarcales, Antioche, Alexandrie et Jérusalem. Mais ces patriarcats sont bien plus nombreux et ils dépassent de beaucoup l'Orient arabe.
La place de nos Patriarches dans l'Église
Dans ses Souvenirs du Concile Vatican II, Mgr Edelby (1920-1995), qui fut archevêque grec catholique d'Alep, raconte sa déception le jour de la cérémonie d'ouverture du Concile le 11 octobre 1962 en voyant que son patriarche Maximos IV Saigh et les autres patriarches catholiques d'Orient avaient été un peu négligés et qu'on les avait placés à un rang nettement inférieur à celui des cardinaux.
Cette méconnaissance des patriarches d'Orient ne convenait guère pour la « personnalité juridique » du patriarche dans l'Église, que le droit canon appelle « père et chef d'Église », pater et caput ecclesiae. Ces Patriarches étaient, pourrait-on dire, « plus que des cardinaux », ils étaient juste « au dessous du pape », lequel porte (au moins jusqu'à Benoît XVI qui modifie actuellement ce titre, mais le Patriarcat d'Occident existe bien toujours !) aussi un titre patriarcal dans la partie latine de l'Église.
En mars 1991, la réunion des patriarches catholiques orientaux avec le Pape Jean-Paul II à Rome, et dans le contexte de la guerre du Golfe, a constitué une vraie « première ». C'était la première réunion patriarcale au sommet. Cette réunion des patriarches devait se tenir initialement au Caire mais les événements l'avaient empêchée. C'est alors que le pape invita à Rome ses collègues patriarches. Les photos où l'on voit le Saint-Père en compagnie des patriarches catholiques d'Orient donnent une belle image de l'Église. Il y a entre le pape et les patriarches une forme visible de « collégialité » patriarcale, une certaine égalité de chefs d'Églises qui n'exclut en rien l'esprit filial et la déférence envers le pontife suprême de l'Église.
Écouter les Patriarches : « Vous avez des frères catholiques orientaux ! »
Parfois, des catholiques latins, sans ignorer l'Orient chrétien, semblent mal connaître leurs frères catholiques orientaux et semblent identifier parfois ce qui est « oriental » avec ce qui est orthodoxe, et ce qui est catholique avec ce qui est latin, occidental. Pour bien affirmer la réalité à la fois orientale et occidentale de l'Église catholique, l'Orient catholique fait heureusement souvent entendre sa voix parmi les fidèles catholiques d'Occident. Il le fit fort bien durant le concile de Vatican II. Et ce qui passa en France avec la douloureuse affaire d'Aubazine donna lieu à une vigoureuse mise au point du patriarche grec catholique, Maximos V Hakim. Ayant eu l'occasion d'évoquer cette question avec le patriarche lui-même, je présenterai ainsi les points qui m'ont semblé lui tenir spécialement à cœur : « Si des catholiques latins aiment l'Orient chrétien, sa spiritualité, ses richesses spirituelles et liturgiques, il n'est pas nécessaire qu'ils se fassent orthodoxes et qu'ils quittent l'Église catholique pour vivre de ces valeurs. Qu'ils sachent que leurs frères orientaux de l'Église catholique vivent de ces mêmes richesses spirituelles dans l'unité catholique. Il faut leur dire : « Vous avez des frères catholiques orientaux ! »
Multiplicité des patriarcats et catholicité
Parfois, on entend dire par des visiteurs qui viennent en Orient, que l'on s'y perd dans toute ces multitudes d'Églises, de liturgies, de langues et l'on en appelle alors à l'unité de l'Église qui semble très malmenée par tant de différences : « Comment voir l'Unité de l'Église au milieu des Chaldéens, des Maronites, des Arméniens, des Latins, des Syriens et des Grecs ? ». Mais, précisément, l'Unité elle est là : une même et unique foi théologale vécue et exprimée à travers des variétés humaines légitimes. Nous pouvons lire dans le texte conciliaire Lumen Gentium, § 29 : « La variété des Églises locales montre avec plus d'éclat, par leur convergence dans l'unité, la catholicité de l'Église indivise ».
La réponse à cette interrogation est d'abord à un niveau de géographie des cultures, des langues et des peuples divers qui composent le christianisme. Mais il faut ensuite découvrir l'extraordinaire capacité d'adaptation et d'inculturation du christianisme au titre de sa « catholicité » et du fait qu'en prenant place parmi les peuples du monde, il le fait dans la logique même qui fut celle de l'Incarnation du Verbe de Dieu parmi les hommes.
Ce n'est que par la suite, après avoir admis la juste légitimité des variétés culturelles et des pratiques religieuses que l'on pourra clairement situer un autre type de « variétés » qui sont bien des divisions et qui, elles, ont pu en un temps relever de péchés contre l'Unité de l'Église. Nous savons comment les « après-Conciles » ont souvent été des périodes de crises dans l'Église. Comme le furent « l'après Éphèse » en 431, et « l'après Chalcédoine » en 451. Étant donné l'importance de l'histoire byzantine pour comprendre l'histoire du christianisme oriental, on pourra remarquer que la très rapide croissance politique de Constantinople, la nouvelle capitale de l'Empire, en éclipsant Alexandrie et Antioche, multiplia ce que le Père Yves Congar aimait appeler des « facteurs non-théologiques » de division.
Jean-Marie Mérigoux, o.p.