Cent ans de laïcité
Le 9 décembre 2005 marque le centième anniversaire de la Loi portant séparation des Églises et de l’État. Dans
notre région comme dans le reste de la France, colloques, rencontres, fêtes et initiatives pédagogiques n’ont pas manqué pour célébrer ce centenaire. Les chrétiens ne peuvent que s’en
réjouir.
Cela vaut pour les Protestants, qui se sont montrés dès l’origine favorables à la Loi. On sait
d’ailleurs que nombre de ses rédacteurs étaient de confession réformée. Mais cela vaut tout autant pour les Catholiques. Le « devoir de mémoire » leur impose, certes, de ne pas occulter ce que
fut l’indignation et jusqu’à la révolte de leurs aïeux, pour qui décembre 1905 était à marquer d’une pierre noire. Venant après la Loi sur les congrégations et d’autres mesures qu’ils jugeaient
vexatoires, voire spoliatrices, la Loi de séparation a marqué pour eux un nouveau degré dans ce qu’ils vivaient comme une persécution. Car dans leurs journaux et leurs brochures, le régime de la
IIIème République était dépeint comme le règne de l’Antéchrist. Inutile d’en sourire ou de se scandaliser, d’autant que ce passé pèse son poids de souffrances : l’historien, comme le disait L.
Febvre, n’a pas à être « le juge suppléant de la vallée de Josaphat ». Ces réactions se comprennent d’autant que, dans l’autre camp, la presse anticléricale était au moins aussi outrancière que
la presse catholique. Le temps, depuis, a heureusement fait son œuvre d’apaisement. Il a permis un réapprivoisement réciproque des Églises et de l’État et, partant, toute une évolution des
pratiques et de la jurisprudence. Du coup, qui peut encore nier les effets bénéfiques de la Loi ? Même parmi les catholiques traditionalistes, qui ne reconnaît ce qu’elle a apporté d’indépendance
aux Églises ? Car qui accepterait, aujourd’hui, que les ministres du culte soient des fonctionnaires sous les ordres du Ministre de l’Intérieur ?
Parmi nos concitoyens athées, agnostiques ou d’autres confessions, les choses sont plus limpides encore. En dépit du caractère
très spécifique de ses dispositions (et de sa non-application en Alsace-Moselle), la Loi de 1905 est pour eux le symbole même de la laïcité. Voire la pierre d’angle du « pacte républicain ». Le
consensus est si fermement établi que les seuls débats qu’elle suscite maintenant sont pour imaginer comment elle pourrait être améliorée ou pérennisée. Des voies sont tentées pour faire plus
largement place à l’Islam, qu’elle avait laissé à l’écart. Non sans raison, d’ailleurs : dans l’hexagone du moins, il ne rassemblait en 1905 qu’un nombre très limité de fidèles. Et l’on
s’interroge d’autre part sur les chances et les risques de la laïcité au sein de l’Europe en gestation et, plus largement, dans notre monde en recherche d’une gouvernance planétaire. Ne
risque-t-elle pas d’apparaître à nos partenaires comme une « exception culturelle » française, plus singulière et plus bizarre encore que notre attachement à un cinéma autre que celui d’Hollywood
?
Ce sont là autant de défis qu’il convient de relever avec détermination, et non comme on entre dans un
combat d’arrière-garde où il s’agit surtout de sauver l’honneur. On comprend que les Rencontres organisées les 9 et 10 décembre 2005 à Marseille afin de célébrer cent ans de laïcité dans notre
région aient pour thème : « Des chemins pour l’avenir ». Car c’est bien de l’avenir qu’il s’agit. Et d’un avenir incertain quand le vent souffle fort, jusqu’en France, dans le sens du
communautarisme. Les récents événements qui ont touché notre pays le montrent assez : il en va de notre « vivre ensemble », ce qui requiert un engagement décidé de tous et de chacun. Et
singulièrement des chrétiens. Car – que nos amis athées ou anticléricaux le comprennent – nous reconnaissons une saveur évangélique à cette vertu républicaine qu’est la laïcité. L’idéal laïque
peut bien tenir autant qu’on voudra aux combats des Lumières, pour nous autres chrétiens, il s’enracine aussi dans ce précepte qui nous vient du Seigneur lui-même, « Rendez à César ce qui est à
César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Le commandement était suffisamment important pour que tous les synoptiques l’aient scrupuleusement enregistré (Mt 22, 15-23 ; Mc 12-13-17 ; Lc 20, 20-26). Les
tours et détours de l’histoire font sans doute que nos Églises l’ont parfois oublié ; il a pourtant si bien pénétré les consciences des fidèles que, même au zénith de la chrétienté médiévale,
l’Occident n’a jamais connu la théocratie.
Sur les chemins nouveaux qui s’ouvrent à elle, « Garrigues et
sentiers » souhaite accompagner la laïcité. Et participer de la vigilance dont il convient de l’entourer. Puisse-t-elle rester pour notre République une valeur fondatrice. Plus même – car
l’avenir n’advient que si l’on en rêve – puisse-t-elle devenir pour l’humanité un patrimoine commun, en ce XXème siècle dont on a assez dit et redit qu’« il serait religieux ou ne serait pas. »
Car ce que nous avons appris depuis 1905 montre assez que l’un n’est nullement exclusif de l’autre. Au contraire.