L'aventure du yod
Pour cela, nous
allons nous intéresser à un épisode de la Genèse qui passe assez inaperçu à nos esprits d’occidentaux gréco-latins:
[Dieu dit à Abram :] « Voici mon alliance avec toi : tu deviendras père d'une multitude de nations. Et on
ne t'appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te fais père d'une multitude de nations. (…) Ta femme Saraï, tu ne l'appelleras plus Saraï, mais son nom est
Sarah. Je la bénirai et même je te donnerai d'elle un fils ; je la bénirai, elle deviendra des nations, et des rois de peuples viendront d'elle (Genèse
17,4-5.15-16).
Résumons :
Abram devient Abraham, Saraï devient Sarah (17,5.15). « Et alors, me direz-vous, nous savons qu’Abram devient le Père des peuples (il y en a eu un autre, petit, bien après
lui !) ; passons à autre chose ! »
Puisque vous parlez de chose, profitons-en !
La femme d’Abram s’appelait Saraï, c’est-à-dire : ma princesse ; elle devient Sarah, c’est-à-dire : princesse. Cette modification apparemment
anodine permet à Abram de prendre conscience que sa femme Saraï n’est plus sa chose, mais une femme pleinement propriétaire de son être et de son corps, prête – enfin ! – à
devenir féconde dans sa vieillesse : elle donnera naissance à Isaac, dont le nom rappelle que Dieu a donné à Sarah de quoi rire en annonçant cette naissance
inespérée…
Voilà les faits ; passons dans le monde des lettres et des mots…
Le mot hébreu Saraï se termine par la lettre yod, 10e lettre de l’alphabet, la première lettre se
rapportant au monde créé (les 9 premières représentant des concepts), la plus petite de l’alphabet, à peine plus grosse qu’un point, le germe de tout l’Univers, lettre
« masculine ».
Le mot hébreu Sarah se termine par la lettre hé, 5e lettre de l’alphabet, lettre dite « ouverte », à cause du petit espace qu’on aperçoit en
haut à gauche de son hiéroglyphe (voir ci-dessous), et à ce titre lettre « féminine », symbole de fécondité, lettre de l’Esprit de Dieu (rappelez-vous l’Annonciation !). Il ne faut pas
oublier qu’il y a deux hé dans le tétragramme sacré YHVH.
Saraï « perd » donc son yod et en échange reçoit un hé pour
devenir Sarah.
Abram, lui, ne perd aucune lettre, et reçoit un hé pour devenir Abraham.
C’est alors qu’il faut faire une observation qui donne tout son sens à cette affaire : nous venons d’évoquer un yod et deux hé ; or, le yod vaut
10 et le hé vaut 5 et, comme par hasard, 2 fois 5 font 10…
Nous pouvons donc dire, avec la tradition kabbaliste juive, que Saraï a donné son yod (10) « masculin », qui s’est partagé en deux hé (2 fois 5), dont l’un
lui est resté pour donner Sarah et l’autre est allé sur Abram pour donner Abraham.
Saraï, comme on l’a vu, a gagné par ce don sa liberté et sa fécondité ; Abram – sans rien donner de sa virilité ! – a gagné une lettre
« féminine » de fécondité, lui aussi ; il est donc devenu un peu moins macho (!) et le père d’une multitude, comme le lui prédit Dieu (Genèse
17,5).
Voilà un exemple de la subtilité de l’alphabet hébreu au service d’un peuple qui est capable de décrypter les messages les plus subtils de la Torah.
Mais, pour justifier le titre de cet article, il faut faire appel à la tradition juive qui raconte que le yod s’est plaint à Dieu, qui avait bien dit qu’il ne fallait pas enlever le moindre yod (le iota qu’évoquent les évangiles, repris dans une expression française) de la Torah. En substance, il a dû lui dire : « si toi, Dieu, tu es le premier à ne pas respecter tes propres interdits, où va-t-on ! » N’oublions pas que le yod est une lettre « masculine » et qu’à ce titre il ne craint personne (à Marseille on dirait : y craint dégun) !
Alors Dieu, sans doute très impressionné par tant d’aplomb, a accordé au
yod d’aller se loger au début du nom d’un autre grand personnage de la Torah, Hoshéa’ (comme il est dit en Nombres 13,16), nom qui signifie salut
et dont la valeur numérique est 48.
Ceux qui ont gardé malgré tout cela un fond de machisme disent aussi que Dieu convainquit le yod en ajoutant : « tu étais à la fin du nom d’une femme ; je te mettrai à
la tête du nom d’un homme » !
C’est ainsi que Hoshéa’ est devenu Josué, Yahoshoua’, Dieu sauve, dont la valeur numérique est
58.
Évidemment, ce nom est aussi celui de Jésus de Nazareth.
On sort là de la tradition juive, mais c’est quand même un nouveau détour par le Premier Testament qui va nous permettre de mettre le
point d’orgue à cette aventure du yod.
En cherchant dans nos souvenirs, nous pouvons nous rappeler qu’en Genèse 49,10, dans le grand épisode des bénédictions que Jacob, sur le point de mourir, donne à ses douze fils, il est
écrit : Le sceptre ne s'éloignera pas de Juda, ni le bâton de chef d'entre ses pieds, jusqu'à ce que vienne le Shiloh et que les peuples lui obéissent.
Ce Shiloh, à côté duquel passent, sans le voir, la plupart des bibles (sauf, par exemple, Chouraqui ou
Segond), n’est autre que l’envoyé (du verbe hébreu shalach) de Dieu, que
ceux qui le voient assimilent au Messie ; sa valeur numérique est 48.
Jésus est l’envoyé de Dieu, chargé par Lui, comme son homonyme Josué, de mener son Peuple sur la voie du salut ;
il porte dans son nom-même la marque du Salut que notre Dieu veut pour nous et pour l’humanité tout entière, ici et partout, de toujours à toujours !
Rendons grâce à Dieu pour nos frères juifs qui nous ouvrent ces sublimes sentiers de découverte, et pour son Fils qui nous mène jusqu’au bout de leur chemin, là où l’horizon s’ouvre sur Sa gloire
éternelle !