Une coupe, des coupes... Une Pâque, des Pâques

Publié le par Garrigues et Sentiers

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d'une partie de l'ouvrage que j'ai publié à compte d'auteur
sous le titre
LES ÉVANGILES DES MONTÉES
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A
Cela n’a pas fait de bruit. En tous les cas, pas le bruit d’un repas intime de nos fêtes, même les plus religieuses. Sur le moment, personne n’a vraiment saisi ce qui était en train de se passer, plus précisément, qui était en train de passer, excepté Jésus. Un repas de pâque, tout simple, comme lui et les douze autres en avaient connu. Car c’était bien un repas de pâque : « Allez nous préparer la pâque que nous la mangions » (Lc 22,7).<br /> Ce qui se passait : un rituel d’une communauté de table, dont René a su restituer la tradition complexe, bien connue par n’importe lequel de ces enfants d’Israël et qui, par bien des aspects, rejoignait les significations de la communauté de table de tout oriental du temps de Jésus. Après tout, nous en avons gardé quelque chose lorsqu’on célèbre un repas d’anniversaire qui nous associe à la joie du célébré, ou, jadis, un repas funéraire qui associe les commenceaux à la mémoire du défunt.<br /> Mais ce soir là, l’ordinaire devint un moment unique de l’Histoire du vivant. Un moment qui pose l’unique paradoxe des Evangiles : ce soir là, rien n’est changé et pourtant tout est changé.<br /> L’étude de René, suivie pas à pas, est un régal d’explications et d’allusions. Sa « technicité » fait ressortir les trois « lieux » de prière que j’ai toujours trouvé dans le récit de la Cène : <br /> Jésus, frère des hommes ; Jésus Agneau, sauveur des hommes ; Jésus Messie, Dieu vivant parmi nous. Et c’est dans ces trois dimensions que se trouve je crois la plénitude divine de ce repas : ce soir là, de lieu maudit, objet de « la colère de Dieu », de non-sens, ma vie, ma mort, le réel dans sa substance même de pain et de vin, est devenu « miséricorde débordante », lieu d’amour une fois pour toute. Ce soir là, la porte s’est ouverte sur la lumière et la joie qui n’en finissent pas quand on les a vues. La porte c’est la mort. Elle n’est plus l’ennemie, la chose qui fait peur parce qu’elle met fin à tout. Elle est l’amie de celui qui aime et désire la vie. Pour comprendre les gestes et les paroles de la Cène, pour habiter aujourd’hui encore ce moment d’une incroyable simplicité, c’est simple : il faut aimer assez la vie pour désirer la recevoir, encore, toujours. Il n’y a pas besoin pour ça de croyances et de savoirs, il n’y a pas de moments particuliers non plus, mais tous les moments, jusqu’aux derniers.<br /> Les disciples ont-ils compris ce qui se passait ce soir-là, eux qui peu après, s’étaient terrés quelque part dans Jérusalem, « toute portes closes parce qu’ils avaient peur » (Jn 20,19)<br /> Quoi donc alors ? Merci René d’avoir pointé l’essentiel - IV partie de l’étude § la question de l’aphicoman - : les paroles d’interprétation de Jésus (Ceci est…) ne s’appliquent pas à un rituel, le fait de rompre le pain et de verser le vin. Après tout, un rituel, tout le monde (ou presque) pouvait le faire. Et surtout, un rituel, ça peut-être l’objet de multiples interprétations. <br /> Ce soir-là, c’est bien le pain et le vin qui sont désignés par le « Ceci est » (touto estin). C’est ça qui change tout. Nous ne sommes pas dans un processus de symbolisation, le pain et le vin devenus des symboles de ceci ou de cela. Nous sommes dans l’alimentaire, la matière, la réalité humaine dans ce qu’elle est substantiellement : du vivant, de la nourriture qui fait vivre.<br /> Un symbole n’a jamais nourri personne, ni le monde du vivant, ni le monde physique, d’où vient le vivant, mais seulement l’imaginaire, le culturel. Et je comprends la joie intérieure que René a pu éprouver en écrivant : « Jésus est la nourriture au-delà de toute nourriture, celle dont on a besoin encore et encore même quand on pense être rassasié. Il est le pain et la source de la vie… »<br /> S’il en est ainsi, alors le mot de Paul «le Christ, notre Pâque » prend sens. D’ailleurs l’étude de 1Co 10,23-26 par rapport aux textes évangéliques m’a manqué et je ne serais pas surpris que René ait rongé son stylo. Non parce que « ça » se fait d’ordinaire dans l’approche exégétique de la Cène, mais parce que le texte paulinien, qu’il faut faire précéder par la lecture de 1Co 10, 16-17 placé peu avant, nous introduit dans l’acte de grâce qui est au centre de la Cène et qui est notre salut : si Jésus, immédiatement après avoir prononcé les paroles « ceci est… », donne ce même pain et ce même vin à manger et à boire à ses disciples c’est parce que en mangeant et en buvant ils les rend participants de ce qui est en train de s’accomplir, à ce moment, ce soir-là : la réalisation de la puissance expiatrice de sa mort, de « l’abondance de miséricorde » dont parle René au sujet de la quatrième coupe. Avons-nous assez conscience, chaque fois que nous mangeons ce pain et ce vin, de l’œuvre du Seigneur Jésus qu’il accomplit en nous, pour nous, « pour beaucoup » ?<br /> Du coup, le « faites ceci en mémoire de moi » de Luc sur le pain, reprit par Paul pour le pain et le vin et augmenté par lui de « chaque fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez cette coupe, vous annoncerez la mort du Seigneur Jésus » montre une évolution de l’interprétation des paroles de Jésus, qui, personnellement me nourrit énormément. Marana tha ! <br /> Et c’est à « cette mémoire de moi », à son sens, que fait allusion la dernière phrase de l’étude : « un soir la pâque a commencé son chemin vers pâques ». C’est sans peine que je suppose que le déplacement du singulier au pluriel en dit long chez René. S’agit-il de se souvenir de ce qu’a fait Jésus ce soir là ? Bof. S’agit-il de se souvenir de Jésus ? Re bof. A ce qu’en disent les psy de la mémoire et de ses tricotages cognitifs, ça ne voudrait pas dire grand-chose de bien dynamique. Et puis, le in memoriam façon « païen » active un souvenir, un savoir, un affect. Un Epicure avait testé pour que ses disciples se réunissent une fois par mois pour une célébration en souvenir de lui et d’un ami. Les latins, avec leur repas funéraire et autre ad memoriam n’étaient pas en reste non plus. Est-on dans le registre jamais bien parlant du commémoratif et du monument aux morts ? Il est vrai que des fois…<br /> Mais si, comme le dit Paul, en mangeant et en buvant « nous annonçons la mort de Jésus », nous participons à son grand désir de manger cette pâque avec nous, alors, toutes les pâques à venir ne sont pas faite pour se souvenir de Jésus mais pour que Dieu se souvienne de Jésus, pour que Dieu accomplisse l’abondance de miséricorde qu’à voulu Jésus, le frère des hommes, l’Agneau, le Messie, pour moi, pour nous, pour beaucoup. « Je ne vous appelle plus serviteurs car le serviteur ne sait pas ce que fait le maître, je vous appelle amis » (Jn 15,15)<br /> « Amis ». Et d’un ami, on peut reprendre et faire sien le désir, la volonté, la tristesse, la joie, la douleur, l’espérance, et en tout cela, la présence, la simple présence. A ce qu’en disent les neuroradiologues, la seule représentation d’un plaisir ou d’une douleur affectant quelqu’un qu’on aime (ça se passe dans la même zone cérébrale), provoque la même réaction électrique et chimique que si on l’éprouve réellement soi-même, semblable évidemment à celle éprouvée réellement par l’être aimé. C’est bien différent de la commémoration. <br /> Communier n’est pas un mot vide de substance. C’est pourquoi, j’entends bien les derniers mots de l’étude : « un soir la pâque a commencé son chemin vers pâques… »<br /> <br /> Avec le temps, c'est-à-dire avec la paresse irrésistible qui s’est installée dans l’activité de l’esprit, il y a deux endroits de l’Evangile où je retrouve facilement le Seigneur avec les psaumes: Gethsémani et la Cène. Alors merci à René pour son travail, une suite allant de soi, sur cette question.<br /> <br /> Ag.
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