Noël 2024 *

Publié le par Garrigues et Sentiers

Jésus-Christ, Fils du Père depuis l’éternité, incarné dans notre monde, « vrai Dieu et vrai Homme »... Que d’encre a coulé sur ce sujet, combien de disputes de conciles (Nicée, Constantinople, Chalcédoine) et de condamnations (Nestoriens, Ariens, etc.) !  Toutes ces disputes nous dépassent quelque peu et ont bien peu d’incidence sur nos vies. Essayons de rester à notre niveau pour donner sens, pour nous, à l’Incarnation.

Si l’on se réfère aux premiers enseignements des apôtres, Paul y compris, ils s’adressaient à des populations qui reconnaissaient la grandeur, la magnificence, la toute-puissance de Dieu. Ils n’avaient pas de difficultés à convaincre sur ce chapitre. Leur apport, par les récits tant de Mathieu que de Luc, est justement d’annoncer un Dieu fragile et humble. L’enseignement de Noël, allié à celui de la Croix, est ainsi à rebours de la vision que le monde avait de Dieu, ce qui a été un « scandale pour les Juifs, une folie pour les païens » (1 Cor 1,23). Dieu est « tout-puissant », mais c’est à travers sa fragilité qu’il se révèle. « Loin des fanfares triomphales, des grandes réussites économiques et militaires, c’est cette fragilité qui apparaît plus forte que tout » écrivait récemment Bernard Ginisty.

Il nous est difficile encore aujourd’hui d’admettre cela : Dieu ne vient pas à nous dans sa grandeur mais dans sa fragilité. Il met à bas tous nos désirs de grandeur, de domination. Combien ont utilisé Dieu (y a-t-il un péché plus grand ?) pour asseoir leur propre désir de puissance, pour asséner leur vérité ? Noël retourne totalement la façon dont les hommes et les sociétés doivent se comporter. Dieu est à l’opposé de toute domination, morale, religieuse ou autre. Il propose son amour, ne l’impose pas. Il propose sa vérité à ceux qui veulent bien s’ouvrir à son appel.

Cela va tellement contre nos visions du monde et de ce que peut être Dieu que très vite dans les siècles suivants, on a recommencé d’insister sur la « grandeur » de Dieu, qui est incontestable mais n’est pas la qualité qu’Il a voulu nous révéler. Puis à partir de Constantin, on a fait de Dieu un « super-empereur » avec tous les attributs de l’empereur mais encore magnifiés. Cela est encore bien visible dans nombre de nos liturgies ou démarches religieuses. Les retours en arrière opérés ces dernières années sont marqués par le désir de glorifier cette grandeur et toute-puissance de Dieu, le tout-Autre (et ainsi bien souvent de se glorifier soi-même par retour). N’en déplaise aux tenants de ce retour à ce qu’ils appellent la tradition, c’est au Dieu des Musulmans (qui est tout-à-fait digne de respect) qu’ils s’adressent... occultant ainsi l’enseignement de Noël.

Noël ne se limite pas à cette révélation de la fragilité de Dieu. De toute éternité le plan de Dieu a été d’appeler l’humanité à se fondre dans son amour. En soi Il nous est inconnu, pour nous Il s’est manifesté comme relation, relation d’amour, d’où la Trinité : le Père et le Fils s’aiment dans l’Esprit. Cette part de Dieu qui est réponse à l’amour du Père et que nous appelons le Fils s’est donc « faite chair », c’est-à-dire s’est incarnée – la même racine que celle du mot « chair » – dans l’humanité pour l’attirer dans la vie trinitaire. Ce Dieu incarné a donc vécu totalement sa vie d’humain, de la naissance à la mort, pour alors, après sa mort, permettre à tous les humains de devenir par lui Fils de Dieu. C’est cela le plan que Dieu nous a révélé. Qui prétend que Dieu voulait que ce Christ, part de Dieu incarnée dans l’humain, meure crucifié ? Cela a été dû au péché des hommes, cela aurait pu ne pas arriver, mais ce qui devait arriver est que le Christ devait mourir comme tout humain (sinon l’incarnation serait un bluff) et par sa Résurrection attirer toute l’humanité auprès du Père :
« Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 32)

Toute la vie de Jésus est en cause, l’Incarnation n’est pas uniquement le jour de sa naissance, elle est toute sa vie terrestre. Noël est le premier jalon de cette histoire (jalon préparé par l’Immaculée Conception et l’Annonciation). La joie de Noël est la joie de savoir que Dieu vient nous prendre comme ses fils. C’est le fondement de notre espérance, et aussi l’appel pressant à accueillir ce Dieu qui vient. Fête de l’espérance qui nous engage…

L’Incarnation, temps de la vie de Jésus qui deviendra Christ par sa résurrection, est le temps du retournement de l’histoire des hommes. Auparavant (Premier Testament) Dieu préparait son peuple, il était le Dieu tout-puissant qui, par la Loi, guidait le peuple. Sa relation était souveraine, aimante mais souveraine. Son peuple avançait au fil du temps sous sa direction. Après la résurrection de Jésus, la relation de l’humanité à Dieu est une relation de fils à son Père, et l’histoire se déroule éclairée par la fin des temps, quand tout sera remis entre les mains du Père. Rappelons l’épître aux Hébreux :
« Le Christ commence donc par dire : Tu n’as pas voulu ni agréé les sacrifices et les offrandes, les holocaustes et les sacrifices pour le péché, ceux que la Loi prescrit d’offrir. Puis il déclare : Me voici, je suis venu pour faire ta volonté. Ainsi, il supprime le premier état de choses pour établir le second. » (He 10, 8-9)

L’espérance des Juifs de l’Ancien Testament était l’espoir que Dieu les soutiendrait, les sauverait de leurs ennemis, y compris du sheol. L’espérance des chrétiens est la foi en cette relation définitive qu’ils ont avec le Père comme ses fils, et donc l’assurance d’être « incorporés » à la vie trinitaire (« incorporés » : « résurrection de la chair », la chair étant tout ce qui fait notre être d’humains) (1). Nous devenons fils du Père avec le Fils dans l’Amour qui est l’Esprit. C’est à la lumière de cette espérance, cœur de notre foi dans le Christ, que nous lisons et comprenons notre histoire.

Alors ne ramenons pas Noël à une fête de la « gentillesse » de Dieu manifestée par un tout petit enfant. Ne ramenons pas la vie de Jésus à un enseignement moral ou religieux. Il est venu nous annoncer le salut (annonce performative) mais surtout le réaliser : le salut c’est la libération de nos entraves (d’où son appel constant à l’amour) pour faire de nous des êtres en capacité de devenir, par Lui, fils du Père. C’est l’Incarnation du Verbe de Dieu qui réalise cela. Elle est d’abord Salut. La Mission de Jésus a été ce Salut, et notre envoi en mission à sa suite est la marque de ceux qui veulent le suivre, œuvrer pour que tout homme puisse devenir fils du Père par la grâce de l’Esprit. Enfin ce Salut est offert à tous les humains, tous « capables » de Dieu grâce à l’Incarnation.

Marc Durand

* Cet article tente de donner un certain sens à l’Incarnation. Un de mes relecteurs me propose d’ajouter ce qui suit, je pense qu’il a eu raison.

« Notre méditation ne doit pas nous faire oublier ce qui se passe actuellement dans ce monde où nous sommes incarnés. Un certain nombre d’associations et de partis tout à fait laïques ont appelé à une veillée à Aix avec un texte dont nous donnons quelques extraits. Cela nous ramène à une certaine réalité. » Le voici :
Le 24 décembre, dans le monde entier, les chrétiens célébreront la naissance de Jésus dans la basilique de la nativité, à Bethléem. Cette veillée nous rassemble pour ne pas oublier qu'au même moment, le peuple palestinien de Gaza est victime d’un génocide et d'un nouvel exode et vit les jours les plus tragiques de son histoire. Les attentats terroristes du 7 octobre 2023 commis par le Hamas sur le territoire israélien sont des crimes de guerre qui doivent être jugés, mais ils ne justifient en aucun cas la barbarie du colonisateur...
C'est une veillée de deuil à la mémoire de tous les morts. Une veillée de solidarité aux peuples palestiniens et libanais ... Une veillée pour exprimer notre revendication d'une paix juste et durable entre les deux peuples [palestinien et israélien]...

(1) La communion au Corps et au sang du Christ au cours de l’Eucharistie qui remémore le Salut offert à tous, prend toute son importance : elle fait de nous les fils du Père en nous incorporant au Christ. Elle nous fait « corps du Christ », du Christ lui-même incarné. Alors nous devenons avec Lui fils du Père.

Publié dans Réflexions en chemin

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