Les graines du figuier sauvage
Pour bien pénétrer dans le film iranien « Les graines du figuier sauvage », un petit rappel historique sur la révolution iranienne de 1979 n’est pas inutile.
En 1979 l’ayatollah Khomeiny conduit une révolution en Iran qui fonde un régime théocratique avec l’adhésion de la majeure partie de la population, hommes et femmes, soulevés contre le régime impérial du Shah d’Iran, sa police secrète, sa corruption, et une partie de la population des campagnes opposante aux réformes qui touchent le statut de la femmei. Le clergé chiite se drape de toutes les vertus de probité, de frugalité et Khomeiny dans un premier temps donne des gages pour une république islamique démocratique.
Ses gages ne feront pas long feu… Un régime totalitaire s’abat sur le pays, une police secrète en remplace une autre et les assassinats de tous les démocrates et religieux, tous ceux qui ne croient pas au Chisme Duodécimain de Khomeiny, mettent fin aux espoirs d’un renouvellement démocratique.(1)
Si la victoire de ce nouveau régime est éclatante, il commet sans s’en rendre compte une grave erreur qui à long terme va se retourner contre lui : il permet et encourage l’instruction des filles moyennant la séparation des sexes dans les écoles, les Universités. Qu’à cela ne tienne ! En trente ans l’Iran s’affronte à des générations de femmes instruites, diplômées, qui ont envahi toutes les strates de la société et qui… Détestent leurs voiles.
Revenons à Téhéran de nos jours, dans ce même Iran où sous le couvert d’un paisible tableau familial nous basculons dans l’actualité d’une nouvelle révolution. Le père a reçu une promotion, il est nommé juge d’instruction, sa femme, Najmeh, s’en réjouit et rêve de l’achat d’un lave-vaisselle, quant aux jeunes filles Revzan et Sana, elles témoignent de la vitalité et de la bonne humeur qui règne dans un foyer où « on leur a donné tout ce qu’il fallait » pour être instruites, en bonne santé physique et mentale. L’histoire devrait se poursuivre dans les péripéties des petits bonheurs/malheurs de la vie familiale, mais sous les fenêtres de leur appartement se déroulent des manifestations qui vont emporter cette vie familiale et ses joies paisibles dans les tourments contemporains de la grande histoire. On entend « A bas la théocratie », jeunes gens, jeunes filles défilent bras dessus-dessous, tous les jours et crient leur détestation du régime.
Observons, cette révolution qui se passe de nos jours, elle ne souscrit en rien aux schémas marxistes de la lutte des classes, entre ceux qui possèdent les moyens de production et les ouvriers qui en sont dépossédés. Non ! Abandonnons l’idéologie pour la vraie vie, pour le réel partagé par les iraniens en ce XXIe siècle qui étouffent sous les interdits culturels et religieux et qui accouchent d’une révolution… culturelle.
Il faudra qu’une amie de Revzan et Sana déboule dans l’appartement avec le visage défiguré par un tir de chevrotine pour que le drame s’enclenche, pour que se pose à tous les protagonistes la question de ce qu’ils sont, complices ou parties prenantes ? Pour que se dévoilent leur vérité débusquée par celle du moment présent.
Si le meurtre du père a lieu et clôture momentanément le récit familial, il laisse à la spectatrice que je suis la question de l’avenir ouverte : où va cette révolution ? Le sol social est-il en train de s’effondrer comme nous l’évoque la métaphore terminale ? Ce film illustre-t-il les prévisions politiques des experts du Moyen Orient ?(2)
La séance se termine quand il me revient une scène des informations télévisées : nous sommes au moment où Israël en guerre avec le Hamas à Gaza, des représentants du gouvernement iranien haranguent une foule dans un stade de Téhéran pour soulever leur compassion pour leurs « frères palestiniens ». La réponse ne se fait pas attendre, la foule hurle à l’unisson « le drapeau palestinien vous pouvez-vous le mettre dans le c.l »… Ce n’est pas très élégant mais cela a le mérite d’être clair… Que voulez-vous s’il y a des peuples soumis, soumis jusqu’à en mourir, il y en a qui crachent à la face de leurs tyrans en prenant le risque d’ouvrir grand les portes de l’avenir !!
Christiane Giraud-Barra
(1) Il s’agit de la Révolution blanche du Shah d’Iran de 1963 qui concerne des réformes agraires mais aussi des réformes en faveur des femmes dont l’octroi du droit de vote.
(2) Exemple de Gilles Keppel qui émet l’hypothèse d’un gouvernement iranien entravé dans ses ripostes au conflit avec Israël par la menace de son effondrement , dans le contexte d’une conjoncture, entre une opposition intérieure nationale et la guerre du Moyen Orient sur le plan international.