Choses vues (ou entendues) 18 : « Et maintenant, tous ensemble, chantons notre hymne national » (Charles de Gaulle)
Les Français chantent, souvent mal mais avec cœur, « notre hymne national », et ce en toutes occasions : congrès politiques, manifestations revendicatives, commémorations diverses (et nombreuses), obsèques de personnalités, victoires sportives…
Ce chant de guerre, écrit à Strasbourg pour l’armée du Rhin partant combattre contre les envahisseurs autrichiens en 1792, est devenu le chant de marche des volontaires marseillais montant à Paris, puis notre hymne national par décision de la Convention du 14 juillet 1795, reprise par la IIIe République, le 14 février 1879.
L’histoire de la « Marseillaise » est complexe et elle a été l’objet de modifications non pas tant du texte, que du rythme. En 1974, le président Giscard ‘Estaing en fait changer le tempo, le rendant plus lent afin d’atténuer son aspect de « marche militaire. »
Les six premiers couplets ont été rédigés par Rouget de Lisle, officier du génie, dans la nuit du 25 au 26 avril 1792. L’hymne est donc « patriotique », et pas encore expressément « républicain », puisque la République n’a été proclamée par la Convention que le 21 septembre 1792 (au lendemain de la victoire de Valmy). Le septième couplet, dit « des enfants » n’est pas du même auteur.
On a proposé d’autres versions, telle, en 1871, une « Marseillaise de la Commune » plus libertaire et surtout plus sociale. Des tentatives pour rendre le texte moins belliqueux ont aussi existé, entre autres, dans les années 90, « La Marseillaise de la fraternité » de Jean Toulat, l’abbé Pierre et Théodore Monod.
ll n’est pas question de mettre en doute la « noblesse » que l’histoire a donnée à cet hymne patriotique, ni de le ridiculiser comme Gainsbourg ou même Desproges. Il a été chanté dans des moments dramatiques : pendant la Résistance par des patriotes au moment où on les fusillait ; on l’a entendu en France et à l’étranger lors de révolutions ou de grands conflits. Les paroles ne manquent ni de souffle ni d’héroïsme. Cependant les paroles de 1792, demeurant presqu’inchangées dans la version officielle de la République française, ne sont pas sans poser quelque problème à des consciences contemporaines par des bizarreries d’expression. C’est sur trois d’entre elles que l’on voudrait s’attarder.
Le refrain comporte une expression qui a beaucoup suscité de commentaires. Ce « sang impur » qui abreuve nos sillons peut-il, comme on a pu le prétendre, être celui des patriotes, considéré ainsi parce qu’ils étaient roturiers ? Peut-on penser que des citoyens, partant défendre la patrie au prix de leur vie, se dévalueraient ainsi eux-mêmes ? S’il est « impur » ce ne peut être que celui des envahisseurs « féroces » et « mercenaires. » On retrouve d’ailleurs ce type d’expression dans certains discours de meneurs révolutionnaires.
Au premier couplet la sortie contre « ces féroces soldats [qui] viennent jusque dans vos bras, égorger vos fils, vos compagnes » suscite une première remarque : telles quelles, ces paroles devraient attirer l’ire de militantes féministes. Pourquoi, en effet, pleurer les fils et pas les filles ?. Est-il secondaire que les filles puissent être assassinées ? Mais surtout à quoi servent les armes confiées aux « enfants de la patrie » s’ils laissent, sans réagir, se faire égorger « leurs fils et leurs compagnes » ?
Mais c’est peut-être le couplet 7, dit « des enfants », et qui n’est pas de Rouget de Lisle, qui est problématique et difficile à interpréter. « Bien moins jaloux de leur survivre / Que de partager leur cercueil / Nous aurons le sublime orgueil / De les venger ou de les suivre ». Cet « orgueil » paraît un peu excessif en même temps que dépressif. Il suppose que, si on ne peut « venger les ainés », réduits en poussière, on doit périr (de honte d’avoir échoué ?). Les héros morts laisseraient le pays sans vision d’un avenir possible, sans que des citoyens tentent de survivre pour reconstruire la patrie, alors objet d’un véritable culte.
Question annexe : lorsque la foule crie aujourd’hui son hymne national a-t-elle vraiment conscience du sens des paroles proférées ?
Jean-Baptiste Désert