Profanons la croyance

Publié le par Garrigues et Sentiers

Profaner la croyance ! Termes qui semblent opposés et même contradictoires, pourtant l’auteur nous invite ici à nous replacer face à nos propres croyances et à découvrir leurs forces de progrès et de mouvement. Une authentique croyance libérée des antiques croyances. La liberté face au dogmatisme pour faire des libres-croyants·tes.

Dans le drapeau du Brésil, mon pays d’origine, est arborée la devise « Ordre et Progrès ». Inspirée des idéaux positivistes, notamment propagés par le philosophe Auguste Comte, cette maxime renferme un paradoxe intrinsèque. En effet, le concept de progrès s’avère souvent difficile à réaliser au sein d’un système entièrement ordonné. En physique, le principe d’entropie dialogue avec ce paradoxe de manière concise : l’univers tend vers un accroissement du désordre. Pourtant, c’est dans ce flux chaotique qu’émerge une complexification subtile, une organisation qui se manifeste dans les tourbillons du chaos, guidant le développement et l’évolution des êtres. Cette évolution ne trouve pas sa place dans un système rigide et figé, mais justement dans un état de désordre et de chaos propice à l’émergence de l’organisation.

Ainsi, le chaos peut paradoxalement favoriser l’émergence de formes d’organisation, de progrès et d’évolution.

Il est donc nécessaire de déconstruire pour construire, de délier pour pouvoir lier. Dans cette formule empruntée à Olivier Abel, il est question d’évolution et de progrès, d’un désordre qui permet l’organisation. Le sociologue Edgar Morin résume bien cette perspective à travers ce qu’il appelle la pensée complexe : « dans un univers d’ordre pur, il n’y aurait innovation, création, évolution » (1).

Ainsi, tout en reconnaissant que le désordre absolu n’est pas l’idéal, il s’agit également de reformer, de refaire et de réconcilier notre pensée et nos interactions avec nos prochains et au sein de nos communautés. Or, les plus théologiquement orthodoxes sont incisifs : on ne touche pas au sacré, on ne touche pas à l’ordre établi. Contrairement aux idées d’une grande partie des réformateurs et des théologiens qui s’appuyaient sur le célèbre énoncé «  Ecclesia reformata semper reformanda » et militaient pour une culture d’Église ouverte au progrès, l’orthodoxie enferme la croyance dans des dogmes maintes fois considérés comme sacrés et intouchables. Après tout, comment s’en sortir et vivre la spiritualité et notre culture protestante de manière plurielle et tissée avec notre monde ?

Être un·e libre-croyant·e

Le progrès et la liberté ne sont pas possibles dans un environnement dogmatique rigide, ordonné et figé. Aucune évolution n’est possible dans un système despotique et totalitaire, aucune évolution n’est possible dans un environnement qui refuse d’être questionné et révisé. Mais, d’abord, distinguons la sacralité de la sainteté. Si d’un côté la sainteté est un vecteur de vie qui implique un processus comportemental et spirituel en constante évolution pour servir à une mission ou à un propos supérieur, la sacralité ne permet pas de mouvement. Le sacré est intouchable. Si la sainteté signifie plutôt une vocation, ce n’est pas pareil pour la sacralité. Le sacré est divin et immuable.

Être un·e libre-croyant·e présuppose donc une désacralisation de la croyance. C’est-à-dire, avoir la conscience que la croyance n’est pas Dieu, que la croyance n’est pas divine, mais plutôt humaine et partie essentielle d’un cheminement individuel. Être un·e libre-croyant·e nous permet de rencontrer l’autre et l’altérité de l’univers, nous permet, comme Job, de nous abstenir des explications trop rationnelles sur Dieu et d’accepter que le divin dépasse notre raison.

Se libérer des convictions

Un aspect fondamental de la liberté de croyance est donc justement la capacité de se libérer des convictions sans pour autant les effacer. Cette démarche exige, certes, une certaine flexibilité intellectuelle et une ouverture d’esprit permettant de remettre en question ses propres croyances et de reconnaître la relativité de toute affirmation dogmatique, de reconnaître les dogmes et la tradition comme des produits d’individus qui ont essayé d’interpréter et de rendre compte de leur relation avec Dieu. En ce sens, la croyance elle-même ne constitue pas l’objet ultime de la foi, mais plutôt le point de départ d’une quête spirituelle constante, caractérisée par la relation avec une transcendance qui dépasse la raison humaine et toute sorte de certitude.

Témoigner librement

L’exercice de la liberté de croyance implique également la liberté de témoigner de sa foi sans contrainte ni coercition. Cependant, le témoignage authentique repose sur une expérience personnelle et une réflexion théologique libre de toute pression dogmatique. Il s’agit d’une invitation à partager sa foi de manière sincère et ouverte, sans l’imposer, en reconnaissant la diversité des chemins spirituels et en respectant la liberté de conscience de chacun. Désacraliser la croyance signifie aussi pouvoir la déplacer sans vouloir la dépasser, signifie pouvoir l’assumer et s’en libérer librement, signifie pouvoir en parler sans tabou et servir aussi comme « un autre » dans un dialogue, servir comme une identité narrative existante unique dans une relation avec le monde.

Alors, profanons notre croyance ! Profaner la croyance ne veut pas dire que nous la blasphémons ou manquons de respect envers les traditions religieuses, mais cela libère la foi de ses entraves institutionnelles et dogmatiques.

À l’instar de la réflexion de Jacques Ellul sur la profanation de l’argent, où il propose de lui enlever son caractère divin et son emprise sur nous, nous pouvons appliquer ce principe aussi à la croyance.

En effet, profaner la croyance revient à lui enlever son caractère divin et son pouvoir oppressant sur les consciences, la rendant ainsi accessible, ouverte et au service du bien commun. Ainsi, la profanation de la croyance invite les croyants eux-mêmes à embrasser une foi authentique, libérée des carcans du passé et résolument tournée vers l’avenir, vers le progrès, vers l’amour, vers l’humble reconnaissance qu’il existe une vérité qui nous dépasse.

Thalès Dutra Auraùjo

(1) Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, Paris, Éditions du Seuil, 2005, p. 118.

Sources : https://www.libre-croyant-e.fr/profanons-la-croyance/
https://nsae.fr/2024/09/11/profanons-la-croyance/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_source_platform=mailpoet&utm_campaign=newsletter-nsae_97

Publié dans Réflexions en chemin

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H
En effet, l'Evangile ne nous somme pas de CROIRE, mais de FAIRE (voir les deux commandements de Jésus et le chapitre 25 de Mathieu, ainsi que les béatitudes). La Foi n'est pas un catalogue de Croyances, ni de Dogmes. Ce mot vient de Fides, qui veut dire Fidélité et Confiance. Fidélité à Jésus et à ses invitaions à Faire. "Ce ne sont pas ceux qui DISENT "Seigneur, seigneur" qui entreront dans le Royaume, mais ceux qui FONT la volonté du Père".
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L
Le sacré apparait ainsi comme une fixation dans le passé de la conception du croire. Une fixation qui dès son premier jour s’est déclarée immuable, et qui entend ériger le dogme. Contre toutes les affirmations qui se sont légitimées à statuer que « Di eu est (ceci ou cela) », ce très bel article nous appelle à la liberté en tant qu’humilité des cheminements du croire. Le désordre est bien la voie de la création.
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P
Ne faut-il pas alors revoir la formulation des dogmes qui sont donnés comme des vérités intangibles dans une formulation close et contraignante ? Formulation rédigée aux premiers siècles avec l'arsenal mental dont disposaient les évangéliste et les successeurs ? ? ?